Anthony Blunt

Anthony Blunt, né le à Bournemouth et mort le à Westminster, est un historien d'art britannique, spécialiste de l'art classique français et du baroque italien.

Pour les articles homonymes, voir Anthony et Blunt.

Anthony Blunt
Nom de naissance Anthony Frederick Blunt
Naissance
Bournemouth, Hampshire, Royaume-Uni
Décès
Westminster, Londres, Royaume-Uni
Nationalité Britannique
Pays de résidence Royaume-Uni
Profession
Professeur, conservateur
Activité principale
Conservateur des collections royales britanniques (1945-1973)
Directeur de l'institut Courtauld (1947-1974)
Autres activités
Professeur à l'université de Londres (1947)
Formation

Il est également connu pour avoir été le « quatrième homme » des cinq de Cambridge, un groupe d'espions ayant travaillé pour le compte de l'Union soviétique pendant la guerre froide. George Steiner estime que l'on ne connaîtra jamais l'étendue exacte de son rôle en tant que taupe soviétique. À l'inverse, il ajoute : « Ce que Blunt a pu accomplir comme historien de l'art demeure illuminant[1]. »

Jeunesse

Les collèges de Cambridge

Né à Bournemouth, dans le sud de l'Angleterre, Anthony Frederick Blunt est le troisième fils d'un pasteur anglican et cousin d'Elizabeth Bowes-Lyon (épouse de George VI et mère de l'actuelle reine Élisabeth II).

Son père étant l'aumônier de l'ambassade britannique à Paris, Anthony Blunt y passe ses quatorze premières années et parle couramment le français. C'est à Paris qu'il découvre l'art et la culture de la France, en particulier le peintre Nicolas Poussin.

Plus tard, durant ses études à Marlborough College où il se classe dans les premières places, il se lie d'amitié avec deux futurs écrivains, Louis MacNeice et John Betjeman, ainsi qu'avec Ellis Waterhouse, puis, grâce à une bourse, il entre au Trinity College de l'université de Cambridge. Étudiant d'abord en mathématiques, ensuite en lettres modernes, puis, en graduate, en histoire de l'art, il rejoint le cercle d'artistes et d'intellectuels du Bloomsbury Group, puis avec ceux qui vont devenir ses « camarades espions » — Kim Philby, Guy Burgess et Donald Maclean, entre autres —, fait partie de la société secrète des Cambridge Apostles. Ce groupe d'étudiants, proche de la gauche britannique, se caractérise par ses convictions communistes et ainsi son hostilité envers le fascisme et le nazisme. C'est à l'automne 1933 que, selon Blunt, « le marxisme fait irruption à Cambridge[2] ».

Homosexuel, il est l'amant de Julian Bell, neveu de Virginia Woolf et proche de l'économiste John Maynard Keynes qu'il fréquente[3]. Ami de plusieurs des cinq de Cambridge, Bell est tué à 29 ans en 1937 lors de la bataille de Brunete[4]. Cette mort renforce la détermination des cinq de Cambridge dans leur volonté de combattre le fascisme.

L'historien d'art

Poussin, Et in Arcadia ego, Paris, musée du Louvre/

En 1939, Anthony Blunt est nommé maître de conférence en histoire de l'art à l'université de Londres et vice-directeur de l'institut Courtauld. Selon George Steiner, c'est à cette époque que l'œuvre critique de Blunt passe d'un « journalisme » savant à un approfondissement et à une érudition qui vont faire de lui « l'un des historiens les plus en vue de son époque[5] », en particulier grâce à ses articles dans le Burlington Magazine et dans le Journal of the Warburg and Courtauld Institutes.

Après la guerre, il devient le directeur de l'institut Courtauld. Le « professeur Blunt », considéré comme l'un des plus éminents historiens d'art britanniques, y donne de nombreuses conférences jusqu'à la fin des années 1970. De 1945 à 1973 il succède à Sir Kenneth Clark au poste de conservateur des collections royales, fonction qui lui vaut d'être anobli en 1956. La guerre froide et son poste de conservateur l'amènent à s'éloigner progressivement du MI5. Devenant alors inutile pour le KGB, il sert encore parfois de courrier entre son ami Guy Burgess et son officier traitant.

Poussin, L'Enlèvement des Sabines, Paris, musée du Louvre

En 1960, il est le commissaire général de la grande rétrospective Poussin au musée du Louvre, exposition qui rassemble la plupart des œuvres de l'artiste et grâce à laquelle le public international redécouvre ce peintre. En 1962, il occupe la chaire Slade à l'université d'Oxford, destinée à l'enseignement des beaux-arts et fondée dans trois universités différentes : Oxford, Cambridge et Londres. Celle d'Oxford, nommée « chaire John-Ruskin » en raison de son premier titulaire, a été occupée entre autres par John Pope-Hennessy en 1956, Kenneth Clark en 1961 et Quentin Bell en 1964. En 1965, Anthony Blunt devient titulaire de la chaire Slade de l'université de Cambridge, où il succède à John Pope-Hennessy.

Anthony Blunt est l'un des grands experts de Poussin, auquel il a consacré plusieurs ouvrages, articles et catalogues. Spécialiste de l'art classique français et du baroque italien, il a publié de nombreux textes qui font encore référence aujourd'hui, notamment sur Philibert Delorme, Borromini et sur le baroque napolitain.

Activités d'espionnage

Blunt effectue une visite en Union soviétique en 1933 et est recruté l'année suivante par l'agent du NKVD (futur KGB) Arnold Deutsch. À Cambridge, il a remarqué[6] l'Américain converti au communisme, Michael Straight. Après les purges staliniennes, il perd son officier traitant soviétique, si bien qu'il cesse de travailler pour le NKVD et se consacre entièrement à sa carrière dans les arts jusqu'à l'apparition d'un nouvel officier traitant, Anatoli Gorski en 1939.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, il s'engage dans l'armée britannique et entre au Security Service (MI5), le service de contre-espionnage du Royaume-Uni, où il a accès à des informations classées secret-défense, notamment au déchiffrage du code Enigma. Son pseudonyme, pour les Soviétiques, est « Johnson ». Son engagement au MI5 laisse perplexe dans la mesure où ce service de renseignement connaissait probablement ses convictions communistes.

En 1951, la fuite en URSS de Donald Maclean et Guy Burgess entraîne des soupçons à propos de Philby, Blunt et Cairncross. Blunt nie et parvint cependant à faire croire au MI5 qu'il ignorait les activités d'espionnage de Guy Burgess[7].

En 1964, grâce aux informations de Michael Straight, le MI5 arrive à faire avouer à Blunt son passé de taupe au service de l'Union soviétique : il est le quatrième homme des cinq de Cambridge. N'ayant d'autre issue que d'avouer, Blunt se confesse au MI5[8]. Il détaille les secrets qu'il a transmis aux Soviétiques et donne les noms d'autres espions en échange de l'immunité et du fait que ses activités ne seront pas rendues publiques.

Sa carrière d'espion reste donc un secret d'État jusqu'en 1979, lorsque l'auteur Andrew Boyle publie un livre, The Climate of Treason, dévoilant son rôle. Interpelée dans l'enceinte de la Chambre des communes, la Première ministre de l'époque, Margaret Thatcher, fait une déclaration reconnaissant son passé. Le scandale est considérable et son homosexualité lui vaut de violentes insultes homophobes. Son titre de chevalier lui est aussitôt retiré et, à sa mort, l'État britannique refuse son legs de tableaux de Poussin.

Distinctions

Principales publications

Ouvrages en français ou traduits en français

  • Philibert Delorme, Paris : Julliard, 1958. Rééd. 1963, Paris : G. Monfort, 1986
  • (avec G. Bazin, Ch. Sterling, M. Hours) Nicolas Poussin (exposition, Paris, musée du Louvre, mai-), Paris : Édition des musées nationaux, 1960
  • « À propos de l'exposition Poussin », Revue des Arts. Musées de France, 1960, n° 2, p. 1-26
  • Nicolas Poussin. Lettres et propos sur l'art, Paris : Hermann, 1964. Rééd. 1989
  • (avec J. Thuillier) Nicolas Poussin (exposition, Rome, Villa Médicis, nov. 1977-janv. 1978), Roma : Edizioni dell'Efefante [1977]
  • Art et Architecture en France, 1500-1700, Macula, 1983
  • Souvenirs, Paris : Christian Bourgois, 1985
  • La Théorie des arts en Italie, 1450-1600, Gérard Monfort, 1986

Ouvrages et articles en langue anglaise

  • "El Greco's 'Dream of Phillip II' : An Allegory of the Holy League", Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, vol. 3, 1939-40, p. 58-69
  • Artistic Theory in Italy: 1450-1600, Oxford: Clarendon Press, 1940
  • François Mansart and the Origins of French Classical Architecture, London: The Warburg Institute, 1941
  • The French Drawings of Windsor Castle, London, 1945
  • (avec W. Friedlander) The drawings of Nicolas Poussin : catalogue raisonné, Londres : Warburg Institute, 1949-1976
  • The Art and Architecture in France: 1500-1700 (Pelican History of Art, 4), Harmondsworth: Penguin Books, 1953
  • "The Precieux and French Art", Fritz Saxl, 1890-1948: A Volume of Memorial Essays, Donald J. Gordon (éd.), London : 1957, p. 326-38
  • Nicolas Poussin, "Mellon Lectures in the fine arts", s. l., s. n., 1958
  • Philibert de l'Orme, London: A. Zwemmer, 1958
  • The Art of William Blake, New York: Columbia University Press, 1959
  • Picasso, The Formative Years : A Study in His Sources, New York, 1962
  • The Paintings of Nicolas Poussin: Critical Catalogue, London: Phaidon, 1966
  • Nicolas Poussin (Bollingen series 35, 7) (A.W. Mellon lectures in the fine arts, 1958), New York: Bollingen Foundation, 1967
  • Nicolas Poussin, London : Phaidon Press, 1967
  • Studies in Renaissance and Baroque Art, presented to Anthony Blunt on his 60th birthday, London : Phaidon, 1967
  • Sicilian Baroque, Weidenfeld & Nicolson, 1968
  • Picasso's 'Guernica', London: Oxford University Press, 1969
  • The Drawings at Windsor Castle, Phaidon : London-New York, 1971
  • From Bloomsbury to Marxism, Studio International, Journal of Modern Art, 1973
  • Neapolitan Baroque & Rococo Architecture, London: A. Zwemmer, 1975
  • Rubens and Architecture, Burlington Magazine, n° 894, 1977, p. 609-621
  • Borromini, Cambridge, 1979
  • Souvenirs, Art Monthly, 1979
  • Roman Baroque Architecture : The Other Side of the Medal, Art History n° 1, 1980, p. 61-80
  • Nicolas Poussin, London : Pallas Athene Publishing, 1995
  • (avec J. M. Merz) Pietro da Cortona and Roman Baroque Architecture, New Haven : Yale University Press, 2008

Notes et références

  1. George Steiner, « Le clerc de la trahison », in Lectures : Chroniques du New Yorker, Gallimard, coll. « Arcades », 2010, p. 70 et passim.
  2. Anthony Blunt, Souvenirs.
  3. Jean-Marc Siroen, « John Maynard Keynes et le cercle des espions », The Conversation, (lire en ligne, consulté le ).
  4. en tant qu'ambulancier dans les rangs des Républicains pendant la guerre civile espagnole
  5. Lectures : Chroniques du New Yorker, op. cit., p. 34.
  6. Mitrokhine V. & Christopher A., Le KGB contre l'Ouest (1917-1991), p. 106-107.
  7. (en) Christopher Andrew, The Defence of the Realm : The Authorized History of MI5, Londres, Allen Lane, , 1032 p. (ISBN 978-0-713-99885-6), p. 428-429.
  8. (Andrew 2009, p. 436-437). Cet ouvrage semble cependant se contredire, ou du moins montrer qu'il ne dit pas tout, car lors du récit de la confession de Blunt, son interrogateur ajoute que John Cairncross avait avoué quelques semaines plus tôt, sans expliquer pourquoi.
  9. London Gazette : n° 40787, p. 3103, 31-15-1956
  10. London Gazette : n° 48005, p. 14427, 15-11-1979
  11. Anthony Blunt, un curieux agent double, Rendez-vous avec X, 3 mai 2020

Voir aussi

Bibliographie sur l'historien de l'art

  • W. Eugene Kleinbauer, Modern Perspectives in Western Art History: An Anthology of 20th-Century Writings on the Visual Arts, New York: Holt, Rinehart and Winston, 1971, p. 4, 51, 68, 70, 83, 88
  • Germain Bazin, Histoire de l'histoire de l'art, Paris : Albin Michel, p. 518-519
  • W. Eugene Kleinbauer, Research Guide to the History of Western Art. Sources of Information in the Humanities, n° 2, Chicago: American Library Association, 1982, p. 90
  • Dictionary of Art, vol. 4, p. 182
  • Dictionary of National Biography, 1981-85, p. 41-43
  • Ellis Waterhouse, Introduction to Studies in Renaissance & Baroque Art Presented to Anthony Blunt on his 60th Birthday, London: Phaidon, 1967

Ouvrages

  • (en) John Banville, The Untouchable (roman), 1997
  • Alan Bennett, Espions et célibataires : Un diptyque (théâtre), Christian Bourgois, 1994, (ISBN 2-267-01100-X)
  • (en) Andrew Boyle, The Climate of Treason, 1979
  • Miranda.Carter, Anthony Blunt: His Lives, New York: Farrar, Straus, Giroux, 2001. Éd. française : Gentleman espion, Les doubles vies d'Anthony Blunt, Paris : Payot/Rivages, 2006
  • (en) John Costello, Mask of Treachery, Collins, 1988
  • Philip Kerr, Les Pièges de l'exil (roman), Seuil, 2017 (ISBN 978-2021339932)
  • (en) Louis MacNeice, The Strings are False, Faber, 1965 et 1996
  • Youri Modine, Mes camarades de Cambridge, Robert Laffont, 1994
  • (en) Barrie Penrose & Simon Freeman, Conspiracy of Silence : The Secret Life of Anthony Blunt, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1987
  • Bernard Sichère, La Gloire du traître (roman), Denoël, 1986
  • (en) Michael Straight, After Long Silence : The Man Who Exposed Anthony Blunt Tells for the First Time the Story of the Cambridge Spy Network from the Inside, Collins, 1983
  • (en) Nigel West, Seven Spies Who Changed the World, Secker & Warburg, 1991
  • Peter Wright, Spycatcher, Robert Laffont, 1987

Articles et préfaces

  • (es) Antonio Lozano Palacios, « La traición de Anthony Blunt », Qué leer, n° 89, 2004, ISSN 1136-3916
  • (es) Walter Oppenheimer, « Un espía desempolvado : Ven la luz las memorias de Anthony Blunt, ex informador al servicio de la URSS », El País, 24/07/2009
  • George Steiner, « Le clerc de la trahison », in Lectures : Chroniques du New Yorker, Gallimard, coll. « Arcades », 2010 (initialement traduit en français dans Le Débat, n° 17, )
  • Franck Venaille, « Les enfants gâtés », in Les Diplomates disparus de Cyril Connolly, Salvy, 1989

Documentaire

  • Les Espions de Sa Majesté, réalisé par Franck Venaille, production de France Culture pour l'émission Les Nuits magnétiques.

Articles connexes

Liens externes

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