Aiguier

Un aiguier, en Provence, est une citerne creusée dans la roche et voûtée de pierres, servant à recueillir les eaux de ruissellement[1].

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Étymologie

Le terme provençal correspondant au français « aiguier » est aiguié (selon la graphie mistralienne)[2], l'un comme l'autre issus du latin acquarium.

Les aiguiers de Saint-Saturnin-lès-Apt

Il existe au nord-est de Saint-Saturnin-lès-Apt dans le Vaucluse, un « pays des aiguiers », ainsi baptisé car de nombreuses fermes y avaient, il y a encore quelques dizaines d'années, pour seul point d’eau une citerne creusée dans la roche calcaire et alimentée en eau de pluie par un système de récupération des eaux de ruissellement (en langage technique impluvium)[3],[4].

Mais la zone d'extension des aiguiers ne se limite pas à cette commune des Monts de Vaucluse : on en rencontre aussi à Villars, Gordes, Sault, Monieux, Blauvac et Villes-sur-Auzon[4].

Implantation et alimentation

Par nécessité, ces aiguiers sont toujours implantés sur des terrains en pente ou immédiatement en aval de ces derniers. Leur impluvium peut être un plan de roche dénudé et creusé de rigoles de collecte ou un chemin barré d'une rigole oblique poursuivie jusqu'à l'aiguier. Un autre dispositif, mais qui n'est pas attesté à Saint-Saturnin-lès-Apt, consiste en une toiture collectrice concave avec lauses inclinées convergeant en direction du trou de collecte[4].

Une crépine de petites branches, placée dans les trous de collecte réservés dans les parois arrières ou les côtés de la bâtisse, servait à filtrer l’eau et à empêcher les petits animaux de tomber à l’intérieur[4],[5].

La profondeur des bassins oscille principalement entre 0,9 m et 2,2 m. Un seul atteint 3,35 m [4].

Architecture

Si quelques aiguiers sont à ciel ouvert et libres d’accès aux bétail et au gibier (les grives étant tirées depuis un poste de chasse ou espère édifié à proximité), la plupart sont recouverts et protégés soit par une voûte encorbelée en forme de coupole, bâtie en pierres sèches, soit par une voûte clavée en berceau, aux voussoirs généralement liés par du mortier de terre ou de chaux[6]. Dans le premier cas, le bassin est de plan circulaire ou carré avec arrondissement des angles, dans le deuxième cas de plan rectangulaire. Un troisième type, plus rare, de couvrement est constitué par de grandes dalles rectangulaires taillées qui sont posées au niveau du sol, soit en plafond (dalles juxtaposées), soit en bâtière (dalles affrontées) au-dessus d'une cuve rectangulaire[4].

La porte d’entrée dans les deux premiers types est tenue soigneusement fermée[4].

Les aiguiers couverts par une coupole en encorbellement ont pour caractéristique commune d'avoir leur coupole légèrement en retrait par rapport au corps de base. La fonction de cette retraite reste énigmatique : abritait-elle un chéneau circulaire destiné à recueillir l'eau de pluie tombant sur le parement extérieur de la coupole ou est-elle la trace d'une couverture de lauses retirée après l'abandon de l'installation [4]?

Aiguier de Gayéaux couvert d'un dôme Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse)

De même, les aiguiers couverts par une voûte en plein cintre présentent un extrados à peine protégé par de la caillasse alors qu'on s'attendrait plutôt à une couverture de grandes lauses à deux pentes[4].

Enfin, les aiguiers à voûte clavée sont parfois renforcés intérieurement par une arche, maçonnée ou non, soit parallèle à la directrice de la voûte, soit perpendiculaire à celle-ci[4].

Un des aiguiers de Travignon couvert d'une voûte clavée en berceau à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse).

Quel que soit le type de couvrement employé, les parois intérieures de ce dernier sont toujours dans la continuation de celles du bassin creusé dans la roche[4].

Fonction

Dépendant généralement d'une ferme proche, l'aiguier servait, selon le cas, à un usage domestique (laver le linge, arroser le potager), un usage pastoral (abreuver les bêtes) ou encore un usage artisanal (distiller la lavande et refroidir le serpentin)[4].

Datation

Certains aiguiers portent un millésime, ainsi deux aiguiers au lieu-dit les Lazarins, datés respectivement de 1882 et 1906[4].

La tradition de creuser des citernes ou aiguiers est cependant antérieure à la fin du XIXe siècle. Une mention fort éclairante à ce sujet nous est livrée par Auguste Roux dans sa monographie « Villars, un village de l’ancienne Provence » : « Le , les Consuls font observer que la montagne "est fort sèche". Il y a un rocher au quartier de La Brasque "propre à creuser un aiguier" afin d’abreuver les troupeaux… "on verra un maître-coupeur de pierres". Le 6 juin, une partie du rocher est creusée. André Clément et d’autres ont payé le travail dont ils jugent la nécessité. Il est délibéré de poursuivre la besogne conformément "au marché fait", de "relarguer" le tout et de le payer »[7],[4].

Les aiguiers de Saint-Cézaire-sur-Siagne

Les puits de la Vierge ou puits d'Amon à Saint-Cézaire-sur-Siagne (Alpes-Maritimes) sont des puits creusés autour d'une source importante. Ils ont alimenté le village en eau potable jusqu'en 1870.

Les aiguiers-citernes du Grand Plan de Canjuers

La région du Grand Plan de Canjuers[8] est caractérisée par un habitat dispersé, qui était centré sur une trentaine de fermes ou bastides et 86 cabanes en pierre sèche localisées, mais disparues [9],[10], et seulement 8 puits, plus ou moins temporaires en bordure du Grand Margès.

Dans cette région, les ressources en eau sont limitées aux apports pluviaux qui sont très rapidement absorbés par le sol karstique pour re-surgir au niveau de l'exurgence de Fontaine-L'Evêque dans la retenue du lac de Sainte-Croix à Bauduen (1970).

Toutes ces bastides disposent d'un ou de plusieurs aiguiers-citernes, récupérant les eaux de pluie au travers d'un toit clavé ou par ruissellement des gouttières du toit lui-même ou des toits attenants. Ces aiguiers-citernes sont le plus souvent de forme arrondie, volontiers profondes et utilisent parfois des cavités naturelles (aven). Certains sont couverts de plantations d'iris (isolation thermique)[11].

Le puits aérien de Knappen à Trans-en-Provence

Le puits aérien de Trans-en-Provence (tour de récupération de la rosée ambiante[12]) de l'ingénieur belge Achile Knappen (1930)… toujours sec : matins et soirs, étés comme hivers. Il devait permettre de récupérer l'humidité nocturne par condensation pour irriguer les cultures, mais conçu pour l'Afrique, ses rendements furent décevants[13].

Bibliographie

  • François et Claude Morenas, Circuits de découverte des Monts de Vaucluse, guide de sentiers pédestres conçu par Regain, Auberge de jeunesse à Saignon (Vaucluse), Reboulin, Apt, 1974, 75 p., en part. p. 49-54 (le pays des aiguiers) + carte h. t.
  • Pierre Coste, Pierre sèche en Provence, dans Les Alpes de lumière, No 89-90, 1er et 2e trim. 1985, p. 3-60
  • Association pour la participation et l'action régionale (A.P.A.RE), Aiguiers et cabanes en pierre sèche des Monts de Vaucluse. Inventaire et mise en place d'un programme de sauvegarde et de découverte, rapport méthodologique : commune de Saint-Saturnin-d'Apt [Saint-Saturnin-lès-Apt], responsable : Sébastien Georgis, Avignon,
  • Association pour la participation et l'action régionale (A.P.A.RE), Aiguiers et cabanes en pierre sèche des Monts de Vaucluse. Inventaire et mise en place d'un programme de sauvegarde et de découverte, rapport méthodologique : commune de Villars, responsable de l'inventaire : Sylvie Detot, Avignon,

Notes et références

  1. Dans les Cévennes gardoises et ardéchoises, l'aiguier (en occitan aguièr), est un fossé creusé au pied du mur de soutènement afin de drainer les eaux de ruissellement vers le collecteur principal – soit ravine naturelle, soit canal empierré bordé de murs – qui conduit les eaux vers le ruisseau coulant en bas de pente, cf Daniel Travier, L'espace construit : premier marqueur de l'identité cévenole, dans La remise en valeur des terrasses de culture cévenoles, Actes des rencontres d'Alès des 23 et 24 octobre 1997, Parc national / Réserve de biosphère des Cévennes, 1999, p. 9-15, en part. p. 11.
  2. Vocabulaire occitan-français de l'architecture rurale en pierre sèche, 24 octobre 2004.
  3. François et Claude Morenas, Circuits de découverte des Monts de Vaucluse, guide de sentiers pédestres conçu par Regain, Auberge de jeunesse à Saignon (Vaucluse), Reboulin, Apt, 1974, 75 p., en part. p. 49-54 (le pays des aiguiers).
  4. Série : Témoins de l'architecture de pierre sèche de France, 1 - Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse) : les aiguiers, sur le site pierreseche.com.
  5. Pierre Coste, Pierre sèche en Provence, dans Les Alpes de lumière, No 89-90, 1er et 2e trim. 1985, p. 3-60, en part. p. 42-43.
  6. Pierre Coste, op. cit., p. 42.
  7. Cité dans A.P.A.RE, Aiguiers et cabanes en pierre sèche des Monts de Vaucluse, inventaire et mise en place d’un programme de sauvegarde et de découverte : rapport méthodologique, Commune de Saint-Saturnin-d’Apt, Avignon, octobre 1986; rapport méthodologique, Commune de Villars, Avignon, septembre 1987.
  8. C. Aubert, La politique d'installation des camps militaires, thèse D.E.S.S., Université de Nice, AD83 BIB C art 190.
  9. Cadastre d'Aiguines depuis 1643, AD83 : E DEPOT 3 art 25.
  10. Archives notariales d'Aiguines (maîtres Cogordan, père, fils, et petit-fils), AD83 3 E 18, art 659 et ss.
  11. Michel Royon, Les citernes et puits du Grand-Plan de Canjuers, Pierre Sèche Varoise, 2008-10, pp. 16-22.
  12. Voir aussi : Étang à la rosée
  13. Daniel Beysens, « Les puits de rosée, un rêve remis à flot », La Recherche, no 287, , p. 30.

Articles connexes

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