Ada Lovelace

Ada Lovelace, de son nom complet Augusta Ada King, comtesse de Lovelace, née Ada Byron le à Londres et morte le à Marylebone dans la même ville, est une pionnière de la science informatique.

Pour les articles homonymes, voir Ada et Lovelace.

Elle est principalement connue pour avoir réalisé le premier véritable programme informatique, lors de son travail sur un ancêtre de l'ordinateur : la machine analytique de Charles Babbage. Dans ses notes, on trouve en effet le premier programme publié[Woolley 1], destiné à être exécuté par une machine, ce qui fait considérer Ada Lovelace comme « le premier programmeur du monde[1] ». Elle a également entrevu et décrit certaines possibilités offertes par les calculateurs universels, allant bien au-delà du calcul numérique et de ce qu'imaginaient Babbage et ses contemporains[Woolley 2],[Swade 1].

Elle est assez connue dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, notamment dans les milieux féministes ; elle est moins connue en France, mais de nombreux développeurs connaissent le langage Ada, nommé en son honneur.

Biographie

Environnement familial

Ada Lovelace enfant. Portrait par Alfred d'Orsay en 1822, conservé au Somerville College d'Oxford.

Ada était la seule fille légitime du poète George Gordon Byron et de son épouse Annabella Milbanke, une femme intelligente et cultivée, cousine de Caroline Lamb, dont la liaison avec Byron fut à l'origine d'un scandale. Le premier prénom d'Ada, Augusta, aurait été choisi en hommage à Augusta Leigh, la demi-sœur de Byron, avec qui ce dernier aurait eu des relations incestueuses[Swade 2]. Le prénom Ada aurait été choisi par Byron lui-même[Stein 1], car il était « court, ancien et vocalique »[Wolfram 1]. C'est Augusta qui encouragea Byron à se marier pour éviter un scandale, et il épousa Annabella à contrecœur[réf. souhaitée], en . Ada naît en décembre de cette même année. À la suite de quatre tentatives de viol en état d'ivresse de la part de Byron[Swade 2], Annabella quitte Byron le , gardant Ada avec elle. Le 21 avril, Byron signe l'acte de séparation, puis quitte le Royaume-Uni pour toujours. Il ne les revit jamais.

Annabella adorait les mathématiques. Byron l’appelait même parfois « la princesse des parallélogrammes[Swade 2] ». Annabella fit en sorte que les tuteurs d'Ada lui donnent une éducation approfondie en mathématiques et en sciences, ce qui était tout à fait inhabituel à l'époque dans l'éducation d'une jeune fille de la noblesse. En 1832, Ada rencontre Mary Somerville, éminente chercheuse et auteur scientifique du XIXe siècle, qui l'encourage et l'aide à progresser en mathématiques. Le , Mary lui présente Charles Babbage, et Ada  alors âgée de 17 ans  est immédiatement fascinée par ses machines à calcul. Ils deviennent très proches, Ada semblant trouver en Babbage le père qu'elle n'avait jamais eu[Collier 1]. Parmi ses autres connaissances, on compte David Brewster, Charles Wheatstone, Charles Dickens et Michael Faraday.

Elle se marie en 1835 avec William King, 1er comte de Lovelace. Ils auront trois enfants : Byron, né le , Annabella (Anne Blunt) née le et Ralph Gordon né le . William était dévoué à Ada et encourageait les goûts et les activités d'Ada en mathématiques. La famille vécut à Ockham Park, à Okham (en). Son titre et son nom complet furent pendant la plus grande partie de sa vie La très honorable Augusta Ada, comtesse de Lovelace. Elle est plus connue sous le nom de Ada Lovelace ou Lady Lovelace.

Lettre de Ada Lovelace à De Morgan, à propos du calcul différentiel.

La santé fragile d'Ada, mise à l'épreuve par les grossesses, ainsi que ses responsabilités de mère et de maîtresse de maison, la tiennent écartée de ses activités mathématiques jusqu'en 1839. À cette date, elle éprouve le besoin de reprendre l'étude des mathématiques et demande à Babbage de lui recommander un tuteur : le célèbre mathématicien Auguste De Morgan accepte cette charge. Les études d'Ada reprennent, et De Morgan trouve en Ada une élève enthousiaste et créative[Swade 3]. Ada prend confiance dans ses capacités en mathématiques, encouragée par les retours positifs de De Morgan[Wolfram 2]. Le , Ada écrit à sa mère une lettre où elle parle de ses goûts et aspirations : « Je crois que je possède une singulière combinaison de qualités, qui semble précisément ajustées pour me prédisposer à devenir une exploratrice des réalités cachées de la Nature ». Elle mentionne son « énergie inépuisable et insatiable » et pense avoir trouvé un sens à sa vie[Wolfram 3].

En 1841, Ada a de nouveau des problèmes de santé, mais elle revient aux mathématiques fin 1842. Elle tourne dès lors entièrement son travail vers la machine analytique de Babbage, et propose à ce dernier ses services pour en poursuivre le développement et la promotion.

Mémoire sur la machine de Babbage

« Programme » de calcul des nombres de Bernoulli dans la note G d'Ada Lovelace (1843).

En , paraît en français, dans un journal suisse[2], une description de la machine analytique de Babbage réalisée par le mathématicien italien Louis-Frédéric Ménabréa (1809-1896). Charles Wheatstone propose à Ada Lovelace, qui a un bon niveau de français, de traduire ce mémoire pour le journal Scientific Memoirs spécialisé dans les articles scientifiques étrangers.

Elle passe neuf mois, entre 1842 et 1843, sur cette traduction. Babbage lui-même n'intervient que très peu, étant malade pendant cette même période, et la traduction lui est présentée au début de l'année 1843 un peu comme un « fait accompli[Swade 4] ». Il demande alors à Ada pourquoi elle n'avait pas fait elle-même un mémoire présentant la machine analytique, ce à quoi elle répondit que l'idée ne lui était pas venue à l'esprit. Babbage propose alors à Ada d'augmenter la traduction avec des notes développant et commentant certains aspects du mémoire, idée immédiatement adoptée avec enthousiasme par Ada.

S'ensuit une période de travail frénétique sur ces notes, en collaboration étroite avec Charles Babbage qui annote les brouillons, corrige les incompréhensions tout en encourageant et félicitant Ada de son travail[Swade 5]. Elle ajoute à cet article sept notes, labellisées de A à G, représentant près de trois fois le volume de texte de l'article original. La note G s'appuie sur un véritable algorithme très détaillé pour calculer les nombres de Bernoulli avec la machine[3]. Le programme qui en résulte est souvent considéré comme le premier véritable programme informatique au monde[3], car les algorithmes décrits jusque-là n'étaient pas décrits avec un formalisme, dans un langage véritablement destiné à être exécuté sur une machine. De plus, ce programme comporte selon Catherine Dufour[4] la première boucle conditionnelle, véritable concept informatique, contrairement aux programmes séquentiels qui avaient pu être faits auparavant par Babbage, ou dans les métiers à tisser Jacquard.

On ne sait pas exactement dans quelle mesure Ada Lovelace a programmé elle-même cet algorithme[Toole 1], ayant été en relation constante et étroite avec Babbage. Ce qui semble sûr c'est qu'Ada a eu l'idée de donner un exemple de programmation de la machine en utilisant le calcul des nombres de Bernoulli, et que Babbage a fourni à Ada au minimum les formules mathématiques de base. Selon Betty Toole, Ada était tout à fait en mesure de réaliser elle-même le programme, ayant montré une profonde compréhension de la machine dans sa traduction et ses notes, et des lettres entre Babbage et Ada semblent indiquer que le rôle de Babbage s'est effectivement limité à fournir les formules mathématiques[Toole 1]. En revanche, Bruce Collier, un des meilleurs spécialistes de la machine de Babbage, porte le jugement sévère suivant : « Cela ne serait qu'une légère exagération de dire que les notes du mémoire ont été écrites par Babbage, et que — pour des raisons qui lui sont propres — il a entretenu l'idée dans l'esprit d'Ada Lovelace, et dans l'esprit du public, que ces notes étaient d'elle[Swade 6]. »

Algorithme de calcul des coefficients du produit de deux polynômes, par Charles Babbage (1838), écrit avant Lovelace, mais simple programme séquentiel.

Selon Stephen Wolfram, on n'a jamais retrouvé, dans les documents et publications de Babbage, des algorithmes aussi complexes et aussi propres que celui sous-jacent au programme de calcul des nombres de Bernoulli. Babbage, à la fin de sa vie, avait compilé une liste datée de 446 calculs possibles avec sa machine analytique (446 Notations of the Analytical Engine), tous datés de 1830 à mi 1840, date après laquelle on ne trouve plus de travaux de Babbage sur les algorithmes[Wolfram 4]. Ces éléments laissent penser qu'Ada Lovelace a conçu ce programme, avec la simple supervision bienveillante de Babbage[Wolfram 5].

Dans d'autres notes, Ada Lovelace montre une perception des potentialités de la machine que Doron Swade considère comme « visionnaire, même dans une perspective moderne »[Swade 1]. Babbage avait une vision de sa machine comme étant tournée vers le calcul numérique, avec à la limite des extensions vers le calcul algébrique avec la possibilité de manipuler des symboles plutôt que des chiffres. Mais il n'a rien publié allant dans ce sens, et il n'a pas approfondi cette possibilité, allant même jusqu'à imaginer un autre type de machine spécifique pour les calculs algébriques[Swade 1]. En revanche, Ada Lovelace décrit explicitement des possibilités allant au-delà d'un contexte mathématique, comme l'hypothèse que « la machine pourrait composer de manière scientifique et élaborée des morceaux de musique de n'importe quelle longueur ou degré de complexité ».

Ada Lovelace (1840).

Un autre passage des notes d'Ada, cité par Doron Swade, illustre cette vision de calculateur universel :

« Beaucoup de personnes […] s'imaginent que parce que la Machine fournit des résultats sous une forme numérique, alors la nature de ses processus doit être forcément arithmétique et numérique, plutôt qu'algébrique ou analytique. Ceci est une erreur. La Machine peut arranger et combiner les quantités numériques exactement comme si elles étaient des lettres, ou tout autre symbole général ; en fait elle peut donner des résultats en notation algébrique, avec des conventions appropriées. »

Il fallut attendre les années 1930 avec Alan Turing pour formaliser une telle notion de calculateur universel qui manipule des symboles généraux, et abandonner la notion de calculatrice purement numérique.

Ruine et mort

Dans l’espoir de subventionner les projets de Babbage, qui n'avaient pas obtenu de financement du gouvernement britannique, Lady Lovelace se mit à jouer. Elle travailla à un système qui devait lui permettre de remporter les paris du derby d'Epsom mais ne l'entraîna que dans l'accumulation de dettes.

Elle mourut à l'âge de 36 ans d'un cancer de l'utérus, dans d'horribles souffrances. Elle laissait deux fils et une fille. Cette dernière, Anne Blunt, est connue pour avoir voyagé au Moyen-Orient et pour avoir élevé des chevaux arabes.

Elle fut enterrée conformément à son souhait près de son père qu'elle n'avait jamais connu, à l'église Sainte-Marie-Magdalene de Hucknall, à Newstead Abbey, dans le comté de Nottingham.

Notoriété posthume

Tombés dans l'oubli, Ada Lovelace et ses travaux furent exhumés avec l'avènement de l'informatique. Et c'est en son hommage qu'on a appelé Ada le langage de programmation conçu entre 1977 et 1983 pour le département de la Défense américain (DoD) par une équipe de CII Honeywell Bull dirigée par le Français Jean Ichbiah. L'idée de choisir le nom Ada est attribuée à Jack Cooper, du Naval Material Command, et remonte à [réf. nécessaire].

Ada Lovelace est considérée par les historiens de l'informatique comme la première personne à avoir programmé de l'histoire[1]. On peut voir notamment son portrait sur les hologrammes d'authentification des produits Microsoft.

L'astéroïde (232923) Adalovelace porte son nom.

Dans la fiction

  • Ada est l'un des personnages principaux de l'histoire alternative La Machine à différences de Bruce Sterling et William Gibson, qui décrit un monde dans lequel la machine de Babbage aurait été produite de manière industrielle et où l'ère informatique aurait commencé un siècle plus tôt.
  • Le film Conceiving Ada (en) (1997), réalisé par Lynn Hershman Leeson, établit un parallèle entre l'existence d'une Britannique contemporaine et la biographie d'Ada Lovelace (interprétée par Tilda Swinton).
  • Le personnage d'Ada, une petite fille douée en mathématiques, dans la bande dessinée Nombre, par Egger et Thierry Smolderen, est un clin d'œil à Ada Lovelace.
  • Le personnage de Ada Enigma, jeune fille libre et indépendante, dans la série homonyme, par Vincent Dutreuil et François Maingoval, doit son nom à un clin d'œil à Ada Lovelace et à la machine Enigma.
  • Le nom d'Ada Byron a été choisi par la 37e promotion (2007-2008) des élèves attachés chargés du traitement de l'information de l'IRA (Institut régional d'administration) de Lille.
  • ADA est le nom de l'intelligence artificielle qui copilote le robot Jehuty dans le jeu vidéo Zone of the Enders, la voix synthétique d'ADA ayant une tessiture féminine.
  • Lady Ada Lovelace est un personnage expert en machine de calcul et une thaumaturge émérite dans le jeu de rôle steampunk Castle Falkenstein de Mike Pondsmith.
  • Lovelace (Lovey) est une intelligence artificielle, personnage à part entière du roman L'Espace d'un an, de Becky Chambers.
  • Ada Lovelace, d'abord présentée sous son nom de jeune fille Ada Gordon (car l'action la concernant se déroule en 1834), apparaît dans l'épisode 2 de la saison 12 de Doctor Who, La Chute des espions : partie 2. Elle accompagne le Docteur à travers diverses époques (la sienne, 1943 et le présent) pour lutter face à une crise mondiale menée par le Maître.
  • Ada, présentée comme programmeuse, est l'un des personnages principaux de la trilogie Arena 13 de Joseph Delaney.

Articles connexes

Notes et références

  1. « […] a certainement été le premier programmeur du monde » Stuart Russell et Peter Norvig, Intelligence artificielle, Pearson Education France, (lire en ligne), p. 15.
  2. Bulletin de la Bibliothèque universelle de Genève, octobre 1842, n° 82.
  3. (en) Biographie de Ada Lovelace par le Dr Toole, université Yale.
  4. Catherine Dufour Ada ou la beauté des nombres : Lovelace, la pionnière de l'informatique Fayard, 2019.

Annexes

Bibliographie

  • (en) Benjamin Woolley, The Bride of Science: Romance, Reason, and Byron's Daughter, McGraw-Hill,  :
  1. p. 269.
  2. p. 267.
  • (en) Dorothy Stein, Ada: A Life and a Legacy, Cambridge, Mass., The MIT Press, (ISBN 0-262-19242-X) :
  1. p. 17.
  • (en) Doron Swade, The Difference Engine: Charles Babbage and the Quest to Build the First Computer, Penguin (Non-Classics),  :
  1. p. 169.
  2. p. 156.
  3. p. 157.
  4. p. 160.
  5. p. 161.
  6. Cité par Swade, p. 168.
  1. p. 69.
  • (en) Betty Toole, Ada and the first computer, Scientific American, (lire en ligne) :
  1. p. 80.
  1. « It is short, ancient, vocalic […]  » .
  2. « She was pleased by the mathematical abilities […] she finally had found a purpose for » .
  3. « I believe myself to possess […] de Morgan’s positive feedback about them » .
  4. « When Babbage died, he was writing […] not much happening in the summer of 1843 » .
  5. « But there’s nothing as sophisticated […] but she was definitely the driver of it. » .
  • Jean-Paul Soyer, Ada de Lovelace et la programmation informatique, éd. du Sorbier, Paris, 1998, 31 p. (ISBN 2-7320-3539-4)
  • Dorothy Stein, Ada Byron : la comète et le génie (trad. de Ada Byron, a life and a legacy, par Maurice Gabail), Seghers, Paris, 1990, 367 p. (ISBN 2-232-10145-2)
  • (en) Betty Alexandra Toole, Ada, the enchantress of numbers, prophet of the computer age : a pathway to the 21st century, Strawberry Press, Mill Valley (Calif.), 1998, 323 p. (ISBN 0-912647-18-3) (contient une sélection de sa correspondance)
  • Catherine Dufour, Ada ou la beauté des nombres, Librairie Arthème Fayard, , 244  p. (ISBN 2-213-71279-4)

Articles connexes

Liens externes

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