Abû Sulaymân al-Sijistânî

Muḥammad ibn Ṭâhir ibn Bahrâm, dit Abû Sulaymân al Sijistânî ou al-Sijzî, surnommé également al-Manṭiqî le Logicien ») est un philosophe iranien d'expression arabe ayant vécu au Xe siècle[1]. Né dans la région appelée Sistân en persan moderne, il anima un cercle philosophique fameux à Bagdad.

Biographie

Les données de sa biographie (notamment les dates) sont très mal fixées. Né dans le Sistan dans les années 910, il aurait commencé sa carrière à la cour des Saffarides à Zarandj, sous l'émir Abû Ja'far b. Muhammad (regn. 923-963), puis, vers 939, aurait gagné Bagdad où il étudia la philosophie avec le chrétien jacobite Yahya ibn Adi. Après la mort de ce dernier (974), il devint la figure centrale de l'école aristotélicienne[2] dans la grande métropole de la culture de l'époque. Il constitua autour de lui un cercle de lettrés (philosophes, savants, écrivains) de diverses origines et affiliations religieuses, qui tenait régulièrement des sessions (majâlis) où l'on discutait de questions très diverses relatives à la philosophie, à la religion, à la science, au langage, etc. Les réunions de ce cercle sont dépeintes par son admirateur et disciple Abû Hayyân al-Tawhîdî dans deux ouvrages : al-Muqâbasât (les Conversations), avec cent six séances de discussion ou d'étude autour d'al-Sijistânî[3], et Kitâb al-imtâ' wa-l-mu'ânasa (le Livre du plaisir et de la convivialité), qui rapporte trente-sept discussions tenues chez le vizir Ibn Sa'dan (exécuté en 985)[4]. Il semble être mort peu après 985.

On assigne traditionnellement à Abû Sulaymân al-Sijistânî lui-même un ouvrage intitulé Ṣiwân al-ḥikma (le Réceptacle de la sagesse), qui se présente formellement comme un dictionnaire biographique et doxographique des grands philosophes et médecins[5] depuis l'Antiquité (170 sections, dont les sections 1 à 136 consacrées aux Grecs et les sections 137 à 170 consacrées aux Arabes). Selon Joel Kraemer, il s'agit d'une compilation de textes correspondant aux études et discussions menées dans le cercle d'al-Sijistânî. Celui-ci y est occasionnellement cité à la troisième personne (« Qâla Abû Sulaymân al-Sijzî... », « Abû Sulaymân al-Sijzî dit... »)[6].

La version originale du Ṣiwân al-ḥikma est perdue, mais on en conserve (au moins) deux abrégés différents couvrant l'ensemble de l'ouvrage et datant des XIIe – XIIIe siècle : d'une part le Mukhtaṣar Ṣiwân al-ḥikma (Abrégé du Réceptacle de la sagesse) de l'érudit 'Umar ibn Sahlân al-Sâwî (première moitié du XIIe siècle) ; d'autre part le Muntakhab Ṣiwân al-ḥikma (Sélection du Réceptacle de la sagesse), anonyme, postérieur au précédent[7], considéré comme un meilleur reflet de l'original. En outre, on possède un Extrait (Ta'liq) rédigé en 1292 par l'érudit Muhammad al-Ghaḍanfar al-Tibrîzî, et le Ṣiwân al-ḥikma est largement exploité dans des ouvrages plus tardifs du même genre, comme le Kitâb al-milal wa-l-nihal (Livre des religions et des sectes) de Muhammad al-Shahrastani ou le Nuzhat al-arwâḥ wa rawḍat al-afrâḥ (Promenade des esprits et jardin des plaisirs) de Shams al-Dîn al-Shahrazûrî (XIIIe siècle, disciple de Sohrawardi).

D'autre part, le Ṣiwân al-ḥikma a connu deux « continuations » : le Tatimmat Ṣiwân al-ḥikma (Continuation du Réceptacle de la sagesse) de l'Iranien Zahîr al-Dîn al-Bayhaqî (v. 1097-v. 1169) ; et l'Itman Tatimmat Ṣiwân al-ḥikma (Supplément à la Continuation du Réceptacle de la sagesse), anonyme, contenant des poèmes de philosophes.

On conserve aussi d'al-Sijistânî quelques courts traités sur divers sujets philosophiques, et des poèmes reproduits dans les recueils mentionnés ci-dessus.

Éditions

  • M. Kügel-Turker (éd.), « Fi al-kamal al-khass bi-naw' al-insan / Sur la perfection particulière à l'espèce humaine » (texte arabe et traduction française), Pensamiento 25, 1969, p. 207-224.
  • Gérard Troupeau (éd.), « Fi mabadi' al-mawjudat /Sur les principes des êtres » (texte arabe et traduction française), Pensamiento 25, 1969, p. 259-270.
  • 'Abdurraḥman Badawi (éd.), Abû Sulaymân al-Sijistânî. Muntakhab Ṣiwân al-ḥikma et trois traités[8], Téhéran, 1974.
  • Douglas M. Dunlop (éd.), The Muntakhab Ṣiwân al-ḥikma of Abû Sulaymân al-Sijistânî. Arabic Text, Introduction and Indices, La Haye-Paris-New York, Mouton, 1979.
  • R. Mulyadhi Kartanegara (éd.), The Mukhtaṣar Ṣiwân al-ḥikma of 'Umar b. Sahlân al-Sâwî. Arabic Text and Introduction, thèse, University of Chicago, Dept. of Near Eastern Languages and Civilisations, .
  • 'Abd al-Amîr A'sam (éd.), Abû Ḥayyân al-Tawhîdî fî Kitâb al-Muqâbasât, Beyrouth, Dâr al-Andalus, 1980.
  • Ahmad Amine et Ahmad al-Zayn (éd.) Abû Ḥayyân al-Tawhîdî. Kitâb al-imta' wa-l-mu'anasa, 3 vol. Le Caire, 1939-44.

Bibliographie

  • Joel L. Kraemer, Philosophy in the Renaissance of Islam : Abû Sulaymân al-Sijistânî and His Circle, coll. Studies in Islamic culture and history series 8, Leyde; E. J. Brill, 1969.
  • Joel L. Kraemer, Humanism in the Renaissance of Islam : The Cultural Revival During the Buyid Age, Leyde, E. J. Brill, 1992.
  • Fehmi Jadaane, « La philosophie de Sijistânî », Studia Islamica 33, 1971, p. 67-95.
  • Wadad al-Qadi, « Kitâb Ṣiwân al-ḥikma. Structure, Composition, Authorship and Sources », Der Islam (Hambourg), vol. 58, n° 1, 1981, p. 87-124.
  • Hans Daiber, « Der Ṣiwân al-ḥikma und Abû Sulaimân al-Manṭiqî as-Siğistânî in der Forschung », Arabica 31, 1984, p. 36-68.
  • Frank Griffel et Klaus Hachmeier, « Prophets as Physicians of the Souls : A Dispute About the Relationship Between Reason and Revelation Reported by al-Tawḥîdî in His Book of Delightful and Intimate Conversations (Kitâb al-imtâ' wa-l-mu'ânasa) », Mélanges de l'Université Saint-Joseph (Beyrouth), vol. 63, 2010-11, p. 223-257.
  • Frank Griffel, « On the Character, Content, and Authorship of Itman Tatimmat Ṣiwân al-ḥikma, and the Identity of the Author of Muntakhab Ṣiwân al-ḥikma », The Journal of the American Oriental Society, .

Notes et références

  1. Il ne faut pas le confondre avec son contemporain Abû Ya'qub al-Sijistânî (simplement originaire de la même région du Sistan), qui est un penseur religieux ismaélien (également influencé par le néoplatonisme).
  2. L'« aristotélisme » bagdadien de l'époque contient nombre d'éléments relevant du néo-platonisme (Plotin, Proclus).
  3. Certaines de ces séances sont de véritables séminaires d'étude sur des textes, notamment d'Aristote, et d'autres paraissent avoir un caractère plus informel.
  4. Il s'agit de discussions où sont relatées d'autres discussions. À l'époque du vizirat d'Ibn Sa'dan (983/985), al-Sijistânî vivait apparemment retiré, et le vizir, après la relation d'une discussion par al-Tawhîdî, regrette de ne pas le connaître personnellement : « Je voudrais que nous puissions le rencontrer personnellement et l'avoir en notre compagnie, et non pas nous contenter de le connaître par récit et ouï-dire » (17e nuit, traduction anglaise dans Frank Griffel et Klaus Hachmeier, 2010-11).
  5. L' Histoire des médecins (Târîkh al-aṭibba') d'Ishaq ibn Hunayn est intégrée entièrement dans le Ṣiwân al-ḥikma.
  6. Dans son article de 1981, Wadad al-Qadi, soulignant qu'al-Sijistânî ne peut pas être lui-même l'auteur du livre, suggère le nom d'Abû l-Qâsim al-Kirmânî, un membre du cercle (mort vers 1020).
  7. L'auteur signale dans son introduction qu'il a constitué un ensemble formé par son Muntakhab, le Tatimmat d'al-Bayhaqi et l'Itaman Tatimmat qui en est un complément anonyme. L'ouvrage doit être postérieur à la mort d'al-Bayhaqi (1169), et le manuscrit conservé le plus ancien date de 1245.
  8. Les trois traités en question s'intitulent : Fi anna al-ajram al-ulwiya tabi'atuha tabi'a khamisa (La nature des corps célestes est une cinquième nature), Fi al-muharrik al-awwal (Sur le premier moteur), et Fi al-kamal al-khass bi-naw' al-insan (Sur la perfection particulière à l'espèce humaine).
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