Étymologie d'Al-Andalus et de l'Andalousie

L'étymologie d'Al-Andalus et de l'Andalousie (en arabe الأندلس) a fait l'objet d'hypothèses variées proposant un lien avec le déluge, le jardin des Hespérides, les Vandales, l'Atlantide, le Levant ou encore avec le nom utilisé par les Wisigoths pour désigner leur royaume dans la péninsule ibérique. Aucune de ces hypothèses ne fait l'unanimité à ce jour.

La première fois que le nom « Al-Andalus » apparaît sur un objet matériel, c'est sur une pièce de monnaie, un dinar bilingue dont quinze exemplaires sont conservés au Musée archéologique national, à la Casa de la Moneda et au Musée archéologique de Cordoue[1]. L'avers de cette pièce porte un texte latin entourant une étoile à huit branches, qui sera plus tard connue sous le nom d'« étoile d'Al-Andalus » et qui était déjà apparue sur des pièces en latin frappés en 711-712, tandis que le revers porte la mention arabe « Ce dinar a été frappé en Al-Andalus en l'an 98 »[1].

Hypothèses arabes (Xe au XIVe siècle)

Les sources arabes ne fournissent pas d'explication cohérente de l'origine du nom « Al-Andalus »[2].

S'appuyant sur des auteurs chrétiens, l'historien cordouan Ahmad al-Razi (887-955) attribue le nom d'« Al-Andalus » aux premiers habitants de la péninsule après le déluge, le peuple d'al-Andalush[2].

À sa suite, l'historien Ibn Khallikân (1211–1282) émet l'hypothèse que le nom « Andalus » provient du premier habitant à avoir habité la région après le déluge de Noé, qui se serait appelé « Andalus » : il serait un fils de Japhet, lui-même fils de Noé[3].

Enfin, l'historien Ibn Khaldoun (1332-1406) décrit les premiers peuples germaniques arrivés sur la Péninsule (les Souabes, les Alains et les Vandales) en les désignant par erreur comme trois groupes de Grecs : al-Shuwāniyyūn, al-Abyūn et al-Fandalus ; ce dernier pourrait être l'étymon d'Al-Andalus[2].

Hypothèse de Miguel Casiri (XVIIIe)

Selon l'orientaliste libanais du XVIIIe siècle Miguel Casiri, « Al-Andalus » dériverait du mot arabe Handalusia qui signifie « la région du soir, de l'occident » et équivaut ainsi à l'Hesperia des Grecs (Jardin des Hespérides)[4].

Hypothèse de d'Anville (XVIIIe), Dozy (XIXe), Seybold et Lévi-Provençal (XXe)

Le géographe et cartographe français du XVIIIe siècle Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, à la suite des géographes arabes à partir de Rāzi[5], fait dériver le nom d'Al-Andalus de celui des Vandales qui occupèrent le sud de l'Espagne de 407 à 429 et l'auraient dénommée « Vandalitia »[6].

Cette hypothèse fut reprise par plusieurs savants orientalistes des XIXe et XXe siècles comme Reinhart Dozy (1820-1883), Christian Friedrich Seybold (1859-1921) et Évariste Lévi-Provençal (1894-1956)[5],[7].

Bien qu'encore très largement répandue dans les ouvrages non spécialisés, cette hypothèse a été critiquée par l'historienne Marianne Barrucand, professeur émérite d'art islamique à l'Université Paris IV - Sorbonne, et spécialiste de l'archéologie islamique :

  • la transformation phonétique de « Wandal » (le nom germanique des Vandales) en « Al-Andalus » est « impossible » selon Barrucand[8] ;
  • pourquoi les Arabes auraient-ils utilisé en 716 le nom d'un peuple disparu d'Espagne depuis près de trois siècles[8], bien avant leur venue dans la Péninsule[5], plutôt qu'un terme lié aux Wisigoths qu'ils venaient de soumettre ?
  • pourquoi auraient-ils utilisé le nom d'un peuple qui est resté moins de vingt ans en Andalousie (de 411 à 429)[8],[5] ?
  • pourquoi auraient-ils dénommé l'Espagne entière du nom d'un peuple qui n'en a occupé que le sud ?

Hypothèse de Werner Wycichl (1952)

Comme Dozy l'a reconnu lui-même, la présence des Vandales dans la péninsule était trop éphémère pour y laisser une trace aussi durable, contrairement à l'Afrique du Nord, où le royaume vandale de Carthage (429–533) a duré un peu plus d'un siècle, jusqu'à sa conquête par l'empereur Justinien en 534 : le nom « pays des Vandales" aurait donc plus de sens par rapport à l'Ifriqiya[2].

Le philologue austro-hongrois Werner Wycichl a reformulé l'hypothèse vandale en 1952[9] : selon lui, les Berbères d'Afrique du Nord auraient dénommé l'Hispanie au moyen d'une expression en langue berbère ou en amazigh, « tamor uandalos », "terre des Vandales", après l'arrivée des Vandales en Afrique du Nord au Ve siècle[2],[7].

Le génitif berbère, qui se forme en ajoutant une particule "u" au début du mot, aurait ensuite été remplacé par le nominatif, en éliminant le "u", ce qui laisse « andalos » qui, en arabe, serait devenu « Al-Andalos » ou « Al-Andalus » par l'ajout de l'article défini[7].

Cette hypothèse attribue donc l'origine du toponyme aux véritables conquérants de l'Hispanie au début du VIIIe siècle : les Berbères[7] qui constituaient une grande partie des armées d'invasion de l'Espagne. Le nom de la péninsule comme "terre des Vandales" serait donc parvenu aux Arabes par l'intermédiaire des Berbères[2].

Hypothèse de Joaquín Vallvé Bermejo (1983)

Dans son article El nombre de al-Andalus paru en 1983[10], l'historien espagnol Joaquín Vallvé Bermejo relie le toponyme à la tradition classique gréco-latine : l'expression arabe « Jazīrat al-Andalus » serait une traduction du mot grec signifiant « île de l'Atlantique » ou « Atlantide »[11],[12],[13] en arabe ancien.[14].

Il n'y a cependant aucune preuve historique reliant le nom « Al-Andalus » au mythe de l'Atlantide[11].

Hypothèse de Heinz Halm (1989)

L'historien et islamologue allemand Heinz Halm a proposé en 1989 qu'« Al-Andalus » proviendrait de l'« arabisation de la désignation wisigothique de l'ancienne province romaine de Bétique : *landahlauts »[5],[15],[16],[17].

En effet, « comme leurs ancêtres germaniques, les Wisigoths ont réparti par tirage au sort la terre conquise, les lots échus aux différents seigneurs germaniques - et donc aussi les terres - étant appelées « Sortes gothica ». Dans les sources écrites, tout en latin, le terme de « Gothica sors » (singulier) désigne l'ensemble du royaume gothique »[15].

Heinz Halm fait ensuite l'hypothèse que l'équivalent en langue gotique de la forme singulière « Gothica Sors » (qui désignait l'ensemble du royaume gothique) aurait pu avoir la forme *landahlauts attribution des terres par tirage au sort »), composé des mots gotiques *landa- « terre » et *hlauts « sort, héritage » (ce dernier étant dérivé du proto-germanique *hlūt)[17],[18]. Comme le souligne Halm lui-même, si le mot *hlauts est rencontré quatre fois dans la Bible de Wulfila, traduction de la Bible en langue gotique, par contre « la forme composée *landahlauts ne peut être vérifiée car le mot n'apparaît pas dans les fragments conservés de la Bible de Wulfila »[18].

Selon l'historien allemand, le terme *landahlauts aurait ensuite été repris par les Musulmans au VIIIe siècle, en passant par une série de changements phonétiques conduisant à la forme « Al-Andalus »[15], la diphtongue au ayant évolué dès le IVe siècle en un son o long et ouvert (représenté encore dans l'alphabet de la Bible de Wulfila par au)[18] :

*landahlauts > *landalos > al-Andalus[18] (الأندلس)

« Comme dans le cas de Langobardia / Al-Ankubarda ou Alexandria / Al-Iskandariyya, les Arabes ont à nouveau pris ici le L pour l'article défini »[17] et l'ont incorporé dans leur propre article défini al-[18].

L'hypothèse de Halm a été reprise par l'historienne Marianne Barrucand[15], professeur d'histoire de l'art et d'archéologie islamiques à l'Université Paris IV - Sorbonne[19].

Pour Alejandro García-Sanjuán, Halm présente une étymologie qui est philologiquement admissible mais qui manque de support historique[20]. José Ramírez del Río souligne lui aussi qu'il n'y a pas de preuve documentaire, épigraphique ou archéologique à l'appui de cette hypothèse[21].

Cependant, depuis 2004, l'historien Rafael Sabio González (223-228) a repris l'hypothèse de l'origine wisigothique du mot, accordant une grande importance politique à la racine du mot "terre"[21].

Hypothèse de Federico Corriente (2008)

Selon un article de l'arabisant espagnol Federico Corriente (en) publié en 2008[22], « Al-Andalus » serait une déformation du terme copte emender/lēs signifiant « sud-ouest », que les Arabes auraient entendu comme *am/l+andalīs et, la plupart d'entre eux étant d'origine yéménite, auraient identifié /am+/ comme un article, l'utilisant sous la forme /al+andalīs/[20],[21].

Hypothèse de José Ramírez del Río (2017)

En 2017, José Ramírez del Río, de l'université de Cordoue, fait l'hypothèse que l'origine du nom « Al-Andalus » est similaire à celle du nom de l'Anatolie, qui vient du grec « Anatolia » ou « Anatolḗ » (« Orient, Levant ») et est devenu « Anadolu » en turc[23].

Selon lui, il est probable que les fonctionnaires byzantins qui administraient vers le VIe siècle la Maurétanie Tingitane (soit le nord du Maroc actuel, une région aux mains des Byzantins de 534 à 624) ont donné le nom d'« Anatolḗ » à l'Hispanie car, vu de Tanger et de Ceuta, la côte méditerranéenne de la péninsule ibérique est l'endroit où le Soleil se lève, soit le « Levant », tout comme la péninsule anatolienne à l'autre bout de la Méditerranée représente l'« Orient » par rapport au territoire grec[23].

Ramírez del Río base en partie son hypothèse sur les pièces de monnaie bilingues latin / arabe citées plus haut, qui associent le nom « Al-Andalus » et une étoile qui, selon lui, représente le Soleil, faisant de la péninsule ibérique « le territoire où le Soleil se lève »[24]. Selon le chercheur, cette représentation du Soleil aurait permis aux Berbères de la région de Tanger et de Volubilis, dont la plupart ne savaient lire ni le texte latin ni le texte arabe, d'identifier le lieu où ces pièces ont été frappées[24].

Références

  1. José Ramírez del Río, « Acerca del origen del topónimo al-Andalus », Université de Cordoue, eHumanista/IVITRA, n°12, 2017, p.138.
  2. Alejandro García-Sanjuán, « Al-Andalus. al-Andalus, etymology and name », The Encyclopaedia of Islam, 3ème édition, éditions Koninklijke Brill, Leiden, Pays-Bas, 2017, p. 19.
  3. Origine du nom de Al Andalus et sa géographie - Extrait de Wafayat Ul A'yan
  4. Miguel Casiri, Bibl. Arabico-Hispana t.2, p. 327
  5. Emmanuelle Tixier du Mesnil, Géographes d'al-Andalus: De l'inventaire d'un territoire à la construction d'une mémoire, Paris, éditions de la Sorbonne, 2014, p. 100.
  6. Jean-Baptiste Bourguignon d'Anville, États de l'Europe, p. 146-147
  7. José Ramírez del Río, op. cit., p. 124
  8. Marianne Barrucand et Achim Bednorz, Architecture maure en Andalousie, PML Éditions, 1995, p.12
  9. José Ramírez del Río, op. cit., p. 161
  10. José Ramírez del Río, op. cit., p. 160
  11. Alejandro García-Sanjuán, op. cit., p. 19-20
  12. José Ramírez del Río, op. cit., p. 124-125
  13. Vallvé Bermejo, Joaquín, The Territorial Divisions of Muslim Spain, 1986
  14. L'arabe moderne désigne l'Atlantide comme أطلانطس aţlānţis, forme réempruntée au grec.
  15. Marianne Barrucand et Achim Bednorz, op. cit., p. 12-13
  16. (de) Heinz Halm, "Al-Andalus und Gothica Sors" dans Welt des Orient, 66, 1989, p. 252-263. DOI:10.1515/islm.1989.66.2.252 lire en ligne
  17. (en) Heinz Halm, The Empire of the Mahdi - The Rise of the Fatimids, éditeur E.J. Brill, 1996, p. 280.
  18. (en) Heinz Halm, Al-Andalus und Gothica Sors, Traduction en anglais par Kenneth J. Garden dans The Formation of al-Andalus, Part 1: History and Society, éditeur Ashgate Publishing, 1998, p. 39-50.
  19. Dictionnaire de l’Islam, religion et civilisation, Encyclopaedia Universalis, 2019.
  20. Alejandro García-Sanjuán, op. cit., p. 20
  21. José Ramírez del Río, op. cit., p. 125
  22. Federico Corriente Córdoba, « Coptic loanwords of Egyptian Arabic in comparison with the parallel case of Romance loanwords in Andalusi Arabic, with the true Egyptian etymon of Al-Andalus », Collectanea Christiana Orientalia, 2008, p.59-123.
  23. José Ramírez del Río, op. cit., p. 134
  24. José Ramírez del Río, op. cit., p. 139
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