Étienne Fougère

Étienne Fougère est un industriel, un leader patronal et un homme politique français né le à Panissières (Loire) et décédé le à Lyon (Rhône).

L'industriel du textile et le leader patronal

Petit-fils d'un artisan et fils d'un employé de commerce[1], Étienne Fougère fait carrière dès l'âge de 17 ans comme employé dans l'industrie des soieries et devint fabricant à Lyon (Maison Fougère Frères, fondée en 1905, devenue en 1923 Fougère frères et fils puis en 1931 Fougère frères et fils et Cie[2]). Il se montre très actif dans les organisations patronales, à Lyon puis à Paris, où il s'installe en 1928[3]. Il est membre de la Chambre de commerce de Lyon, de la Chambre de commerce internationale, président du syndicat des fabricants de soieries de Lyon, de 1922 à 1926[4]), de la Fédération française de la soie (à partir de 1923[5]), qu'il a constituée, de la Fédération internationale de la soie (à partir de 1926)[6].

Il préside également l'Association industrielle, commerciale et agricole (AICA) de Lyon et de la région, à partir de sa constitution en 1918[7], la Fédération des associations régionales du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, qu'il met sur pied en 1921 et qui devient en 1923 sous son impulsion le 23e groupement de la Confédération générale de la production française, le Comité d'action des industries et commerces d'exportation[8], ainsi que, de 1925[9] à 1943, l'Association nationale d'expansion économique, liée à la CGPF[10]. C'est une association interprofessionnelle qui milite pour la promotion du commerce extérieur et des entreprises exportatrices et entend peser sur la politique commerciale des pouvoirs politiques[11]. Il est membre du conseil d'administration du quotidien lié au patronat La Journée industrielle, dirigé par Claude-Joseph Gignoux[12]. Il fait partie du groupe des « experts » lors des négociations douanières internationales (1924, 1926-27) et du « comité des experts » mis en place en 1926 par le président du conseil Aristide Briand par diagnostiquer les raisons de la crise des changes et proposer au gouvernement des mesures pour y remédier[13]. Il a été un membre dirigeant du Redressement français et a soutenu son programme politique, économique et social[14]. Il est enfin l'un des vice-présidents de la Confédération générale du patronat français en 1936[15].

Il fonde en 1923 avec Aymé Bernard, autre patron lyonnais, le Rotary-club lyonnais, qu'il préside, et devient le deuxième gouverneur du district français du Rotary International (1927-1930)[16]. Il préside par la suite la commission économique du Rotary français. Dans les colonnes de son périodique, il appela en 1937 à la profession organisée : « L’organisation des professions est aujourd’hui une nécessité impérieuse. Elle l’est au point de vue économique ; elle l’est au point de vue social ». Il est pour la constitution de syndicats, pour les employeurs et pour les employés, avec des relations fondées sur « la hiérarchie respectée » et « la collaboration confiante et loyale ». Car dans le domaine économique, « tout doit être réglé, mesuré, coordonné » et seule la profession peut établir les règles. Dans le domaine social, c’est à la profession de prendre en charge les secours (chômage, vieillesse, maladies), contre l’État « qui est sorti de son rôle de régulateur et d’arbitre pour substituer son autorité anonyme et sans âme à l’autorité naturelle de ceux qui travaillent et qui coopèrent ensemble »[17]. Ce sont peu ou prou les thèses du nouveau président de la CGPF, Claude-Joseph Gignoux.

L'homme politique

Fougère est candidat malheureux de la Fédération républicaine en 1906, 1910 et 1914 aux législatives à Lyon, battu par Pierre Colliard[18]. Il avait contribué à implanter à Lyon la Fédération républicaine dans le 6e arrondissement en 1903[19]. Avant 1914, il s'engage dans la défense de l'enseignement catholique: il est vice-président de l'Association des anciens élèves des Frères et des écoles libres catholiques de Lyon, Secrétaire général de la Fédération des amicales de l'enseignement catholique de France, secrétaire du Comité général des Unions régionales d’Associations amicales de l’enseignement libre, membre de la Ligue de la liberté de l'enseignement[20]. Il parvient à se faire élire conseiller général du Rhône en 1913, puis conseiller municipal de Lyon (1919-1923). Il mène sans succès après 1918 des tentatives de rapprochement entre les progressistes de la Fédération républicaine et l'aile droite des radicaux, tentatives entravées par les dirigeants lyonnais de la Fédération républicaine[21]. Il connaît encore un nouvel échec aux législatives de 1924[22], puis aux municipales de 1925[3].

Il cesse de s'intéresser aux luttes politiques locales et décide de se présenter aux législatives dans la Loire, son département d'origine. Investi par l'Alliance démocratique, il est élu député en 1928 de Montbrison (Loire). Il échoue à constituer à la Chambre un groupe des nouveaux élus qui se serait préoccupé avant tout des questions économiques, mais parvient à mettre en place un intergroupe d'études économiques et sociales avec d'autres députés, notamment Claude-Joseph Gignoux[23] et siège au groupe des Républicains de gauche, dont il est l'un des vice-présidents[24]. Il préside la commission des douanes et des accords commerciaux de 1928 à 1932. Son assise politique est fragile dans la Loire: il n'est pas parvenu à se faire élire conseiller général de la Loire en 1928[25] et il ne parvient pas à conserver son siège de député en 1932; il est battu par un radical-socialiste, Antoine Ravel (homme politique). Dans l'entre-deux-guerres, il est membre du comité directeur de l'Alliance démocratique (France) (centre-droit), vice-président de sa fédération de Paris à la fin des années 1930[26].

Le militant de la réconciliation franco-allemande

Se réclamant de la mouvance pacifiste d'Aristide Briand, il milite pour une Europe économique et une réconciliation franco-allemande: il est membre du Comité franco-allemand d'information et de documentation, fondé en 1925[27], de l'Union douanière européenne (1927), du Comité d'entente international (dit comité Fougère), fondé en , et qui définit comme objectif essentiel « l'entente franco-allemande »[28], de la commission de coopération économique franco-allemande[29], du comité franco-allemand du Rotary[30], du comité de direction économique de la revue Pax[31]. Il est directeur politique et membre du conseil d'administration de l'hebdomadaire L'Européen, de 1929 à 1936, puis du mensuel du même nom de 1939 à 1940. Ce périodique qu'il finance en partie et qui lui sert de tribune est favorable à « l'entente économique des pays européens »[32], hostile au « nationalisme morbide qui pousse tous les peuples à se replier économiquement sur eux-mêmes » et aux « barrière douanières onconsidéres »[33], et préconise la recherche d'une troisième voie européenne entre le capitalisme américain et le communisme soviétique[34]. Au lendemain de l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, Fougère dénonce l'antisémitisme en Allemagne, mais appelle à ne « rien perdre au tragique » et à ne « pas creuser entre l'Allemagne et le reste du monde un fossé qui pourrait être difficile à combler »[35]. En 1935, il est conscient que « le peuple allemand s'est soumis à un régime dictatorial, dont le principe de force a été un nationalisme farouche », conscient des discours ambigus d'Hitler et de « la doctrine sauvagement agressive de Mein Kampf », mais appelle ses lecteurs à « avoir confiance et à garder tout ( leur ) sang-froid » et souhaite encore « inviter plus formellement l'Allemagne à coopérer directement à la construction de la paix »[36]. Il considère alors la guerre comme « la pire des calamités, qu'il faut réduire à tout prix »[37]. Il adhère au Comité France-Allemagne, fondé fin 1935, et entre à son conseil d'administration[38]. Il soutient le président de l'Alliance démocratique, Pierre-Étienne Flandin, critiqué par des membres de son parti en raison de ses prises de position pacifistes sinon défaitistes à l'occasion des Accords de Munich [39].

Durant l'Occupation, il fait figure de collaborationniste modéré, partisan de l'autarcie européenne et de la réorganisation économique de l'Europe après une éventuelle victoire allemande, notamment dans un nouveau périodique qu'il fonde en , L'Informateur du commerce et de l'industrie. Il participe à une exposition à Paris sur le thème de la « France européenne », organisée par le régime de Vichy avec la bénédiction des autorités allemandes[40]. Malade, il se retire de la vie publique en 1943.

Sources

  • « Étienne Fougère », dans le Dictionnaire des parlementaires français (1889-1940), sous la direction de Jean Jolly, PUF, 1960 (lire en ligne )
  • Laurence Badel, Un milieu libéral et européen, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1999
  • Étienne Deschamps, Étienne Fougère, 1871-1944. Le projet européen d'un dirigeant patronal au cœur des réseaux et des influences, dans Gérard Bossuat, Georges Saunier (dir.), Inventer l'Europe. Histoire nouvelle des groupes d'influence et des acteurs de l'unité européenne, Euroclio, Peter Lang, 2003, p. 79-93
  • Jean Garrigues, Les patrons et la politique: 150 ans de liaisons dangereuses, 2011
  • Mathias Bernard, La dérive des modérés: la Fédération républicaine du Rhône sous la IIIe République, L'Harmattan, 1998
  • Collectif, Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion, 2010: articles de Pierre Vernus (les soyeux lyonnais" et "Les organisations patronales à l'échelle locale: le cas de Lyon"), de Clotilde Druelle-Korn ("L'ANEE")

Liens externes

Notes et références

  1. Jean-Marie Fougère, décédé en 1926: La Soierie de Lyon, 1er août 1926. Sa mère est décédée en 1924: La Soierie de Lyon, 16 janvier 1924
  2. Étienne Deschamps, op. cit., p. 80, La Soierie de Lyon, 15 avril 1918, La Soierie de Lyon, 16 août 1925, La Soierie de Lyon, juillet 1931. Siège Social : 74, rue Vendôme, à Lyon. Étienne Fougère est associé gérant avec son frère cadet Antoine ( dit Antonin, 1872-1935: La Soierie de Lyon, février 1935 cf. son Dossier de la Légion d'honneur sur la base Léonore ), et avec son fils Jean ( devenu associé en 1923: La Soierie de Lyon, 16 septembre 1923 ) et Louis Fougère. Le capital de cette société en nom collectif s'élève à 150 000 francs en 1918, à 3 millions de francs en 1931: 1 500 000 francs à Antonin Fougère, 900 000 francs à Étienne Fougère, 300 000 francs à Louis Fougère
  3. Mathias Bernard, op. cit., p. 281
  4. La Soierie de Lyon, 1er avril 1922, Ibid., 1er avril 1927
  5. La Soierie de Lyon, 1er août 1923.
  6. La Soierie de Lyon, 16 décembre 1927, "Fédération internationale de la soie"
  7. Pierre Vernus, "Les organisations patronales à l'échelle locale: le cas de Lyon", op. cit., p. 1074, Mathias Bernard, op. cit., p. 244, Revue générale d'électricité, 6 juillet 1918
  8. La Soierie de Lyon, 1er février 1924
  9. La Soierie de Lyon, 1er février 1925, Le Temps, 27 mars 1925
  10. Clotilde Druelle-Korn, "L'ANEE", op. cit., p. 1089-1092: cette association patronale a été fondée en 1915. En 1919, Fougère tente de convaincre ses dirigeants de la transformer en confédération patronale, sans succès. L'association et la CGPF partagent à partir de 1925 un périodique commun, sous le double titre Production nationale et expansion économique. Elle siège à Paris au 23, avenue de Messine.
  11. Par exemple au sujet du rétablissement de la liberté de circulation des capitaux en 1927 ( Le Temps, 3 mai 1927 ) ou au sujet des répercussions sur le commerce extérieur des sanctions contre l'Italie: Le Temps, 9 janvier 1936, "A la présidence du conseil".
  12. Les Documents politiques, diplomatiques et financiers, octobre 1933
  13. Jean-Étienne Dubois, "L’expertise économique entre délégation de souveraineté et instrumentalisation politique. L’exemple du « Comité des experts » au secours du franc en 1926"
  14. Étienne Deschamps, op. cit., p. 88
  15. Les documents politiques, diplomatiques et financiers, octobre 1936
  16. Mathias Bernard, op. cit., p. 281, The rotarian, février 1924, p. 17The rotarian, avril 1925, p. 37, , Proceedings: Twentieth Annual Convention of Rotary International, Rotary International, 1929, discours de Fougère, p. 441-443, Cherbourg-Eclair, 12 décembre 1938, Trombinoscope 14-15, p. 11
  17. Le Rotary, février 1937, Étienne Fougère, « Étude sur la profession organisée », p. 17-20.
  18. Les parlementaires français, II, 1900-1914 , 1914
  19. Kevin Passmore, From Liberalism to Fascism: The Right in a French Province, 1928-1939, Cambridge University Press, 2002, p. 130
  20. Cf. André Lanfrey, Sécularisation, séparation et guerre scolaire: les catholiques français et l'école, 1901-1914, Éditions du CERF, 2003, Comptes-rendus des travaux / Congrès national des anciens élèves des frères et des écoles et institutions libres catholiques , 1905, Comptes-rendus des travaux / Congrès national des anciens élèves des frères et des écoles et institutions libres catholiques , 1908, Compte rendu / deuxième Congrès diocésain de Lyon (22-23-24 février 1910), rapport de Fougère, Semaine religieuse du Diocèse de Lyon, 26 novembre 1909, Ibid., 27 novembre 1908
  21. Pierre Vernus, "Les soyeux lyonnais", p. cit., p. 665
  22. Il figure sur la liste d'union des comités républicains menée par Auguste Isaac (député du Rhône), président de la Fédération républicaine : Le Matin, 24 avril 1924. Il a été critiqué par un quotidien conservateur local, Le Nouvelliste de Lyon: cf. Jean-Étienne Dubois, Leçon d’histoire pour une droite dans l’opposition ? : les mobilisations de droite contre le Cartel des gauches dans la France des années Vingt, p. 72-74
  23. Le Matin, 31 mai 1928, Le Matin, 23 mai 1928, L'Ouest-Eclair, 23 mai 1928, Le Temps, 18 mai 1928, Le Temps, 2 juin 1928, Le Temps, 17 août 1928,Le Temps, 11 novembre 1928
  24. Le Matin, 9 juin 1928, "Nouvelles parlementaires"
  25. Le Matin, 15 octobre 1928
  26. Le Temps, 31 mars 1924, Journal des débats, 30 mars 1939, "A l'Alliance démocratique"
  27. Françoise Berger, "Les réseaux de l'industrie sidérurgique", dans Michel Dumoulin, ( dir. ), Réseaux économiques et construction européenne, Peter Lang, 2004, p. 154 ( Lire en ligne ). Sur ce comité, cf. les pages Émile Mayrisch et Pierre Viénot
  28. Françoise Berger, op. cit., p. 155-156. En sont membres des personnalités du monde des affaires comme Duchemin, président de la CGPF, le sidérurgiste Théodore Laurent, Henri de Peyerimhoff de Fontenelle, Dalbouze ( Fédération des industries mécaniques ), mais aussi Régis de Vibraye, ancien secrétaire du comité franco-allemand et futur membre du Comité France-Allemagne comme Fougère, L'Echo d'Alger, 1er août 1931
  29. L'Européen, 18 décembre 1931
  30. Françoise Berger, op. cit., p. 153-154: ce comité bilatéral a été fondé en 1931 et fonctionne jusqu'en 1937, date de la dissolution du Rotary en Allemagne.
  31. Aux côtés d'autres personnalités des affaires comme Peyerimhoff, Richemond, Sommier, Dalbouze, Dal Piaz, etc.: Les Documents politiques, diplomatiques et financiers, juillet 1927, "La revue Pax"
  32. L'Européen, 19 juin 1929, E. Fougère, "La course à la mort". Cf. aussi Ibid., 1er janvier 1930, E. Fougère, "L'organisation de la paix", Ibid., 25 juin 1930, E. Fougère, "Les États-Unis, foyer involontaire de guerre économique", Ibid., 22 octobre 1930, E. Fougère, "Utile controverse", Ibid., 1er juin 1934, E. Fougère, "Le programme de l'heure"
  33. L'Européen, 20 mai 1932, E. Fougère, "Les échanges internationaux"
  34. Geneviève Duchenne, Esquisses d'une Europe nouvelle, Peter Lang, 2008, p. 566, Les Documents politiques, diplomatiques et financiers, avril 1935, "Dans la presse: L'Européen"
  35. L'Européen, 31 mars 1933, E. Fougère, "La civilisation en péril"
  36. L'Européen, 22 mars 1935, E. Fougère, "Gardons notre sang-froid", Ibid., 24 mai 1935, E. Fougère, "Les idées de Hitler"
  37. L'Européen, 20 décembre 1935, E. Fougère, "Emouvant paradoxe"
  38. Le Journal, 5 mars 1937, Le Matin, 23 juin 1937, "Une série de journées d'études franco-allemandes"
  39. Le Matin, 14 novembre 1938, "Vifs incidents au congrès de l'Alliance démocratique"
  40. Étienne Deschamps, op. cit., p. 91-92, Informations générales, 28 juillet 1942
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