Étienne Cleirac

Étienne Cleirac (parfois orthographié Estienne pour le prénom et Clairac pour le nom), né le à Bordeaux, mort le dans la même ville, est un jurisconsulte du XVIIe siècle, avocat au Parlement de Bordeaux, spécialisé en droit maritime, auteur de plusieurs traités et de l'un des premiers recueils complets de règles régissant les usages maritimes de son temps.

Biographie

Étienne Cleirac nait à Bordeaux le dans une famille de juristes. Son père, Héliès de Cleyrac, est procureur à La Cour[1]. Après des études au Collège de Guyenne, (fréquenté par Montaigne un demi siècle auparavant), il étudie le droit. Employé à l'Amirauté de Guyenne (1628), maître des requêtes, "procureur du Roi pour les naufrages", il est avocat au Parlement de Bordeaux. Il habite le quartier Saint-Siméon.

Sa vie est peu connue, à l'exception des faits qu'ils mentionne dans ses trois testaments, qui ont été conservés[2]. Il y fait état de sa brouille avec son fils Raymond (né en 1622), lui aussi avocat à la Cour, engagé au service du roi d'Espagne vers 1652, contre le roi de France, et qu'il déshérite pour cette raison en 1653.

La province de Guyenne connait en effet des troubles de 1649 à 1653 : révolte contre le Duc d'Epernon, Fronde, Ormée[3]. A la différence de son fils Raymond[3] qui est impliqué dans l'Ormée, Étienne Cleirac dit vouloir s'en tenir à l'écart : «Pendant les paroxismes, ou les gros accez des mouvemens en desordre de la Province de Guyenne, je mesprisay de prendre party d'inconstance (quoy qu'en apparence j'en eusse l'occasion bien parée) et preferant la Paix intérieure ou le repos de l'Ame, à l'embroüillement des turbulens, et des fourbes; Pour cét effet, j'entrepris d'employer le grand loisir des vaccations, et le peu de repos des vacarmes en la composition de trois Traités gemeaux, dressez à la mode sur des matières bien ordinaires et fort communes, toutefois peu connües : l'un du Négoce de la Banque des Lettres de change; l'autre du Droict de Coste; et par occasion de sa plus noble et plus naturele piece, le Royal Ambre-gris, que le seul rivage de l'Océan de Guyenne, produit par privilège spécial à l'exclusion de tout le reste de l'Europe, du commerce clandestin d'iceluy à la première & seconde main»[4].

Les Us et Coutumes de la mer

Page de garde de l'exemplaire de 1647, chez Guillaume Millange à Bordeaux

Son œuvre majeure est les Us et coustumes de la mer, publiée la première fois en 1647 (réimprimée en 1661 avec une table des marées).

L'ouvrage rassemble les textes, usages, jurisprudences, constituant le droit maritime antérieur au XVIIe siècle, à la source de la grande ordonnance de la marine d'août 1681 [5].

Il se présente, matériellement, comme un code annoté.

Le titre complet de l'ouvrage ( Us, et coustumes de la mer, divisées en trois parties : I De la Navigation. II Du Commerce naval et contracts maritimes. III. De la juridiction de la Marine. Avec un traicté des termes de marine, et reglements de la Navigation des fleuves et rivières) annonce son plan.

La première partie étudie et restitue les Rôles d'Oléron, les ordonnances de Wisby[6] et de la Hanse teutonique[7]. Pour ce qui concerne les Rôles d'Oléron, « le texte en est conçu en vieux termes françois ressentant le gascon et nullement le normand ou l'anglais » précise Cleirac [8].

La deuxième partie est constituée par le Guidon[9], l'une des premières études sur l'assurance maritimes parue à Rouen au XVIe siècle, d'auteur inconnu, avec des modèles de police d'assurance et les assurances d'Anvers et d'Amsterdam.

La troisième partie contient la Juridiction de la Marine[10] et rassemble les règles antérieures, dont une ordonnance de Philippe II roi d'Espagne, sur l'armement des navires

En appendice, se trouve une sorte d'encyclopédie de la marine, avec un lexique des termes techniques relatif aux navires (gréement, accastillage, artillerie), à la météo, aux périls de la navigation (pirates écueils, maladies...) et aux pavillons[11]. Ce texte, initialement publié en 1636, "constitue le premier répertoire uniquement consacré aux termes maritimes de la langue française"[12].

Son ouvrage est traduit dans différentes langues et repris comme le texte de référence par les grandes nations maritimes de son temps.

Jean-Marie Pardessus, qui a étudié au milieu du XIXe siècle les Rooles ou Jugemens d'Oleron, évoque l'apport de Cleirac : « Le texte le plus connu et le plus généralement cité, soit en France soit en pays étranger, est celui que Cleirac a donné dans son ouvrage intitulé Us et Coutumes de la mer, imprimé pour la première fois en 1647. Il a pris ce texte dans un livre aujourd'hui moins connu que le sien, composé par Garcie dit Ferrande, sous le nom de Grand Routier de la mer[13], et l'a adopté avec quelques légers changements dans les mots et dans l'ordre des articles[14]». Cleirac cite en effet ses prédécesseurs (Garcie de Ferrande[15], et le Capitaine Jean Alfonce Saintongeois), mais enrichit considérablement la matière. Il est le premier à commenter le texte, article par article, de manière méthodique et récapitulative, "en posant des problèmes de droit maritime général"[16]

Son livre connait un grand succès. Il est réimprimé à Rouen en 1671[17]. On en trouve une traduction anglaise par Guy Miège, en 1686, sans mention de l'auteur, sous le tire The ancient sea-laws of Oleron, Wisby, and the Hanse-towns, still in force, taken out of a French Book , Intitled Les Us & Coutumes de la Mer, and rendred into English, for the Use of Navigation, by Guy Miege, Gent.

Thomas Jefferson, qui en possède un exemplaire de 1661, le considère comme un ouvrage de référence[18].

À l'édition bordelaise de 1661 est ajouté un sonnet à l'auteur : «Pour voir de l'Océan les merveilleux abymes / Nous n'avons jamais eu qu'un chemin obscurcy / Mais ton phare, Cleirac, nous manifeste icy / De ce vaste élément les effets plus sublimes.»

Outre son intérêt juridique, le texte de Cleirac, l'un des premiers rédigés en français et non en latin comme les ouvrages savants de son époque, contient des informations sur l'état social de son temps[1] ,la situation des étrangers et des juifs[19], les crises viticoles en Guyenne, la pêche des baleines dans le golfe de Gascogne, les coutumes locales, la vie parlementaire de la Province, l'activité du port de Bordeaux[1]...

Postérité

Une rue de Bordeaux, près de la place Simiot, porte le nom de Cleirac.

Œuvres

The ancient sea laws of Oleron (Guy Miège, trad.)
Navire hollandais, 17e siècle. Gravure de Salomon Savery (1594–1683)
  • Le manuscrit d' Ordonnances et coustumes de la mer colligées par M. Estienne Cleirac, datant d'avant 1647, se trouve à la Bibliothèque de la ville de Bordeaux (Mériadeck)[20]. Il est illustré de gravures en couleur d’instruments de navigation et en noir et blanc de deux navires par Salomon Savery (1594–1683), graveur hollandais[21], éditées par Hendrik Hondius-I.
  • Estienne Cleirac, Explication des termes de marine, Paris, Chez Michel Brunet, [22]. L’ouvrage est réédité à la fin de toutes des éditions des Us et coustumes de la mer.
  • Estienne Cleirac, Us et coustumes de la mer, Bordeaux, Guillaume Millanges, (lire en ligne). L'exemplaire de l'Université Bordeaux Montaigne conservé à la Bibliothèque Universitaire Lettres et Sciences humaines (Rés. 4301) est aussi consultable en ligne, numérisé dans un format texte.
  • Estienne Cleirac, L'usance du négoce ou commerce de la banque des lettres de change : Ensemble les Figures des Ducats de Guyenne, & des Anciennes Monnoyes Bourgeoises de Bourdeaux, pour le menu Change, Bourdeaux, Guillaume Da Court, (lire en ligne). L'ouvrage contient, en annexe, p. 217, une des rares représentations des anciennes monnaies de l’Aquitaine.
  • Coustumier de Guyenne, tiré de l'estude de messire Michel de Montainge, autheur des Essais, livre manuscrit, (date incertaine)[23].
    Sol Bourdales, in «L'usance du négoce ou commerce de la banque des lettres de change» (1656) -Bibliothèque de Bordeaux-
  • Estienne Cleirac, Droit de Coste (date inconnue)
  • Estienne Cleirac, Royal ambre gris (date inconnue)
  • (en) The Ancient Sea Laws of Oleron, Wisby, and the Hanse Towns (traduction de Guy Miège), published in Consuetudo, vel, Lex mercatoria or, The ancient law-merchant, in three parts, according to the essentials of traffick : necessary for statesmen, judges, magistrates, temporal and civil lawyers, mint-men, merchants, mariners, and all others negotiating in any parts of the world, by Gerard Malynes and alii, (lire en ligne)

Notes et références

  1. Adrienne Gros, L’œuvre de Cleirac en droit maritime, Bordeaux,
  2. testaments du 7 novembre 1651, 10 septembre 1653, codicille du 10 octobre 1657, cités et reproduits dans la thèse d'Adrienne Gros, p.6 et suiv
  3. Labraque-Bordenave, L'histoire d'Etienne Cleirac et du barreau pendant la Fronde, Bordeaux, (lire en ligne)
  4. Estienne Cleirac, Usance du négoce (lire en ligne), Préface, p. 3 et 4
  5. Ordonnance de la marine, du mois d'aoust 1681, Paris, C. Osmond, (lire en ligne)
  6. Estienne Cleirac, Ordonnances que les marchands et maistres de navires arrestèrent jadis en la magnifique ville de Wisby, traduites de langage Alleman en François (lire en ligne)
  7. Estienne Cleirac, Ordonnances et règlemens de la Hanse-Theutonique, arrestées & concluës en l'Assemblée générale des Villes, tenuë à Lubek en l'an 1597 (lire en ligne)
  8. Robert Chevet, Marins de Bordeaux. Une histoire maritime de Bordeaux et de l'estuaire de la Gironde, Bordeaux, Confluences, , 425 p., p. 92
  9. Estienne Cleirac, Seconde partie des Us et Coutumes de la mer, des contrats maritimes et commerce naval, contenant le Guidon pour ceux qui font marchandises & qui mettent à la mer, avec les assurances d'Anvers & d'Amsterdam (lire en ligne)
  10. Estienne Cleirac, Troisiesme partie des us et coutumes de la mer, contenant la Jurisdiction de la Marine ou d'Amirauté, tant en temps de Paix qu'en temps de Guerre (lire en ligne)
  11. « L'explication des termes de Marine, employez dans les Edicts, Ordonnances & Reglemens de l'Admirauté. », sur http://www.bruzelius.info,
  12. Elisabeth Ridel, « DicoMarine - Introduction : Les dictionnaires demarine : des outils linguistiques au service des marins ? », sur hal.archives-ouvertes.fr,
  13. Pierre Garcie, dit Ferrande, Le grand routier et pilotage et enseignement pour ancrer tant ès ports, havres qu'autres lieux de la mer, La Rochelle, Barthelemi Berton, (lire en ligne)
  14. J.-M. Pardessus, Collection de lois, maritimes antérieures au XVIIIe siècle. T.1, Imprimerie royale (Paris), 1828-1845 (lire en ligne), p. 284
  15. Cleirac, Estienne, Us et coustumes de la mer, divisées en trois parties. I. De la navigation. II. Du commerce naval, & contracts maritimes. III. De la juridiction de la marine. Avec un traicté des termes de Marine, & reglemens de la navigation des fleuves & rivieres... Le tout revu, corrigé & augmenté par l'autheur en cette dernière édition, Bordeaux, , 712 p. (lire en ligne), p. 36, 149, 282, 501, 560, 652
  16. Gérard Guyon (in Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps), « Les coutumes pénales des Rôles d'Oléron : un droit pénal maritime original ? », Presses universitaires de Bordeaux, , p. 328 (lire en ligne)
  17. Examen critique et complément des dictionnaires historiques les plus répandus depuis le dictionnaire de Moreri jusqu'à la biographie universelle inclusivement ; Tome I ; A-J ; article : * CLEIRAC, Paris, (lire en ligne)
  18. « Le Barreau de Bordeaux à travers l'histoire », sur Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Bordeaux (IDHBB)
  19. Trivellato Francesca, « La naissance d’une légende : Juifs et finance dans l’imaginaire bordelais du XVIIe siècle », , », Archives Juives, no 47, , p. 47-76 (lire en ligne)
  20. Reliure en basane. Contient : un document imprimé (18 x 10 cm) intitulé " Articles et capitulations faictes entre le très-chrétien roy de France et de Navarre, & l'empereur des Turcs (Bordeaux : Guillaumes Millanges, 1630 ; 621 pages, cote Ms 0381
  21. « Driemaster op zee; 't schip Amsterdam; Zeilschepen », sur Collections Europeana (consulté le )
  22. « L'explication des termes de Marine, employez dans les Edicts, Ordonnances & Reglemens de l'Admirauté (1661) », sur www.bruzelius.info
  23. Henri Barckhausen, Livre des coutumes, Bordeaux, G. Gounouilhou, , 860 p. (lire en ligne), p. XXXII

Annexes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • J.-M. Pardessus, Collection de lois maritimes antérieurs au XVIIe siècle, vol. 2, Paris, Imprimerie royale, (lire en ligne), p. 374 et suiv
  • J.-M. Pardessus, Us et coutumes de la mer, ou Collection des usages maritimes des peuples de l’antiquité et du moyen âge, vol. 2, Paris, Imprimerie royale, (lire en ligne)
  • François-Saint-Maur, Les Rôles d'Oléron, publiés d'après deux manuscrits des archives municipales de Bayonne, Paris, E. Thorin, (lire en ligne)
  • Rodolphe Dareste, « La Lex Rhodia », sur remacle.org, Nouvelle revue historique de droit français et étranger, (consulté le )
  • Adrienne Gros, L’œuvre de Cleirac en droit maritime, Bordeaux, Thèse pour le doctorat en droit, , 218 p.
  • Pierre Lureau, Les rôles d'Oléron, Bière, Bordeaux, 1963
  • Jean-Pierre Rey, « Aliénor d'Aquitaine et l'origine de l'assurance maladie au XIIème siècle », Bulletin d'Histoire de la Sécurité Sociale n° 49, , p. 48-56 (lire en ligne)
  • Trivellato Francesca, « La naissance d’une légende : Juifs et finance dans l’imaginaire bordelais du XVIIe siècle », Archives Juives, vol. 47, , p. 47-76 (lire en ligne)
  • Yves-Marie Bercé (dir.), L’affaire des caraques échouées (1627) et le droit de naufrage », in État, marine et société : Hommage à Jean Meyer, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, (lire en ligne), p. 15-24
  • Elisabeth Ridel, « Les dictionnaires de marine : des outils linguistiques au service des marins ? », DicoMarine, (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes


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