Éthique à Eudème

L’Éthique à Eudème est un traité de morale composé par Aristote.

Identité de l'auteur

Ce traité porte le nom d’Eudème de Rhodes, qui, après Théophraste, fut l'un des meilleurs auditeurs d'Aristote. Certains critiques comme Eduard Zeller et Leonhard Spengel ont, par le passé, attribué d'ailleurs ce traité à Eudème plutôt qu'au Stagirite[1], mais cette opinion a été réfutée par les travaux de Peter von der Mühll, d'E. Kapp, et de Werner Jaeger, et l'ouvrage est aujourd'hui considéré comme une œuvre authentique d’Aristote[2]. Sur Eudème, on connaît une histoire plaisante rapportée par Aulu-Gelle décrivant Aristote qui, dans le choix de son successeur, choisit Théophraste plutôt qu'Eudème pour une raison particulière : « Il préfère le vin de Lesbos au vin de Rhodes ». Plus sérieusement, on sait par Simplicius qu’Eudème eut une part importante aux travaux d'édition des notes de cours d'Aristote[3], ce qui explique la mention de son nom dans le titre de l'œuvre d’Aristote.

Analyse de l'œuvre

L’Éthique à Eudème a bien plus souffert du temps que l’Éthique à Nicomaque, le texte étant en grande partie corrompu. Plusieurs parties de l'ouvrage sont perdues. Par exemple, le huitième livre se réfère notamment à une mention précédente du Kalos kagathos / καλὸς κἀγαθός qui n'a pas été retrouvée. En l'état présent, l’Éthique consiste en huit livres, dont le dernier est incomplet. L’introduction porte sur le bonheur en général, et distingue trois genres de vie, la vie d’étude et son idéal de sagesse, la vie de jouissance qui recherche le plaisir, et la vie politique de l’homme d’État et son idéal de vertu (à la différence du politicien qui recherche les honneurs). Le livre I étudie la méthode de la morale fondée sur le raisonnement ; les livres II, III, et IV constituent des séries de cours sur les éléments de bonheur que révèlent la vie politique et la vertu ; les livres V et VIII sont consacrés à la vie d’étude et à la sagesse, enfin le livre VI, chapitre 12-15, à la vie de jouissance et au plaisir. Le livre VII est constitué par une série de leçons sur l’amitié, qui n'ont qu'un lien assez lâche avec le reste de l'ouvrage[4].

On peut dire que ce traité est similaire à bien des égards à l'Éthique à Nicomaque, cependant, le lecteur contemporain ne doit pas se faire d'illusions. Notamment en ce qui concerne le contexte historique de ces deux œuvres. Écrites ou prononcées par Aristote ? Rédigées par des disciples lors de cours d'éthique d'Aristote ? Notes de cours d'Aristote lui-même, et de quelle période de sa vie ? Quels sont les apports des éditeurs antiques (apparemment, en partie Andronicos de Rhodes) ? Un mélange de tout cela ? Un flou cerne les deux éthiques, si bien qu'il est impossible d'affirmer par exemple, que l'on a, en lisant l'éthique à Eudème ou l'éthique à Nicomaque une véritable et intacte vision de ce qu'était la pensée éthique d'Aristote.[5]

  • Les livres I et II correspondent à Éth. Nic. I. — III. 5.
  • Le livre III correspond à Éth. Nic. III. 5. — IV.
  • Les livres IV, V et VI sont identiques mot pour mot à Eth. Nic. V., VI., VII.
  • Le livre VII contient un résumé de Éth. Nic. VII. et IX.
  • Le livre VIII est un fragment, dont il manque le début et la fin.

Différences entre les deux Éthiques

Il y a cependant certaines divergences entre les deux traités : entre autres, de nouvelles questions sont introduites et la psychologie est plus prononcée. Le point de vue est différent : on délaisse le contexte scientifique de l’Éthique à Nicomaque, la connexion de l'individu avec l'État, le bonheur comme premier bien.

L’Éthique à Eudème se veut plus « pratique » que le précédent, au sens où l'on cherche à moraliser sans philosophie. Une autre différence fondamentale tient à la conception du premier bien : tandis que l’Éthique à Nicomaque place le premier bien dans la contemplation, l’Éthique à Eudème semble lui substituer l'idée de καλοκαγαθία comme perfection de la vertu. Le but et le mode de cette qualité parfaite est le service et la contemplation de Dieu, afin de subjuguer les passions ; tous les biens extérieurs doivent être choisis à cette fin. Or le sujet de la religion n'avait pas été traité par Aristote. Ce lien attribué entre la vertu et la contemplation de Dieu est opposé à la distinction traditionnellement aristotélicienne entre vie spéculative et vie pratique – cela tient davantage du platonisme. D'autres différences apparaissent : l’Éthique à Eudème traite notamment de l'influence de la fortune sur le bonheur, dans un esprit religieux[6].

Ni les scholiastes grecs, ni les commentateurs latins, ni Thomas d'Aquin n'ont daigné illustrer ce traité, contrairement à l’Éthique à Nicomaque, qui fut abondamment commenté. La Grande morale a subi le même sort[7].

Traductions récentes

  • Éthique à Eudème, traduction de Pierre Maréchaux, Rivages, 1994
  • Éthique à Eudème, traduction de Vianney Décarie, Vrin, 1997
  • Éthique à Eudème, traduction de Catherine Dalimier, GF Flammarion, édition bilingue, 2013

Bibliographie

  • Richard Bodéüs, « Dieu et la chance à travers les énigmes du corpus aristotélicien », L'antiquité classique, t. 50, nos 1-2, , p. 45-56 (lire en ligne)
  • (en) Sir Alexander Grant, Essays on the Ethics of Aristotle, London, 1857, Google Livres.

Notes et références

  1. Édition de Taylor, Introduction, p.  5, Google Livres.
  2. Werner Jaeger, Aristote, Fondements pour une histoire de son évolution, éd. L’Éclat, 1997, p. 234 à 245.
  3. Grant, p.19.
  4. Jean Aubonnet, Introduction à l'édition du Politique d'Aristote, Les Belles Lettres, 1968, p. XLI et XLII.
  5. Richard Bodéüs, Éthique à Nicomaque, France, GF Flammarion, , 560 p. (ISBN 978-2-0807-0947-9), p. 7,20
  6. Grant, pp. 22-24.
  7. Grant, p. 15.
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