Établissements pénitentiaires de Belle-Île-en-Mer

À la fin du mois de juin 1848, des baraquements sont créés à Haute-Boulogne situé sur le glacis de la citadelle à Belle-Île-en-Mer qui deviendront, dès le de la même année, par décret du ministre de l'Intérieur, le dépôt de Belle-Île-en-Mer[1] qui se transformera en une colonie pénitentiaire, à partir de 1880, et en une institution publique d’éducation surveillée (IPES) après 1945[2]. Le ministère de la Justice acquit, en 1902, le domaine de Bruté[3] qui devint, en 1977, après la fermeture, un centre de colonie de vacances et d'accueil de classes vertes[4].

Carte postale de la colonie pénitentiaire Haute-Boulogne de Belle-Ile - Le salut au drapeau

Haute-Boulogne

Domaine de Bruté

Colonie pénitentiaire agricole et maritime

La colonie pénitentiaire agricole et maritime de Belle-Île-en-Mer est un établissement public créé par décision ministérielle du , dans les bâtiments de Haute-Boulogne, jouxtant la citadelle et construits en 1848 par le Génie militaire pour y recevoir des détenus politiques[5]. Les bâtiments de Haute-Boulogne rassemblent l’administration, les réfectoires, une buanderie, des ateliers, une chapelle, un quartier disciplinaire de vingt cellules et les dortoirs, auxquels on accède par des échelles et qui seront, à la fin du siècle, compartimentés en cellules grillagées de 1,5 mètre sur 2 mètres.

La colonie reçoit des jeunes détenus acquittés, ayant agi sans discernement mais non remis à leurs parents, et des jeunes condamnés à un emprisonnement de six mois à deux ans qui seront, pendant les trois premiers mois, cantonnés dans un quartier distinct. On peut arriver à la colonie à 13 ans et y rester jusqu’à sa majorité pénale, 16 ans, ou sa majorité civile, 21 ans.

À l'origine, la vocation maritime de la colonie est très marquée. Dirigée par un ancien capitaine au long cours, la section maritime regroupe, vers 1890, une centaine de colons, avec quatre ateliers : matelotage et timonerie ; voilerie et filets ; garniture ; corderie. Un atelier de sardinerie est ajouté en 1900.

Les apprentis matelots s'exercent d'abord sur le Ville de Palais, un trois-mâts ensablé dans la cour. En 1895, l’Administration pénitentiaire met à disposition un navire de vingt-cinq mètres, le Sirena, qui peut embarquer vingt colons. Plusieurs canots (le Bangor, le Sauzon, le Locmaria) complètent la flottille.

La vocation maritime de la colonie est rapidement contestée en raison de l'origine citadine de la plupart des colons. En 1887, l’Administration pénitentiaire loue, au centre de l’île et à 3 kilomètres de Haute-Boulogne, une partie du domaine de Bruté-Souverain pour y installer une section agricole. Les cent dix-sept hectares seront définitivement acquis par l’Administration pénitentiaire en 1902. Elle y construira, en 1906 et 1910, deux bâtiments de pierre pour accueillir de nouveaux colons. L’effectif de la colonie atteindra alors trois cent vingt places[6].

La discipline est extrêmement sévère. Brimades, corvées et violences y sont monnaie courante. Un incident relaté par la presse, est significatif : « Ce sont quatre de ces derniers [colons], les nommés Seibaud, Gicquel, Gerhard et Gouzempis, qui se sont rendus coupables du crime horrible dont il s'agit. Un de ces derniers jours, une embarcation de la colonie, montée par huit détenus et le surveillant Burlut poussait au large pour une séance d'école de nage. L'embarcation évoluait à une certaine distance de l' île, quand tout à coup, et alors que rien ne faisait prévoir leur acte, quatre détenus se jetèrent sur le surveillant Burlut, qui était à la barre, et le frappèrent d'abord à coups d'aviron. Une lutte terrible s'engagea. Le surveillant essaya de se défendre contre ses agresseurs qui continuaient à le frapper avec une sauvagerie révoltante, sous les yeux des autres détenus qui assistaient impassibles à ce drame épouvantable, sans rien tenter en faveur du malheureux surveillant. Celui-ci eut le crâne défoncé d'un coup de barre de gouvernail. L'infortuné, presque agonisant, luttait encore et se débattait quand il fut soudain saisi par ses bourreaux et pendu à la drisse du mât. Lorsqu'il fut mort, les assassins ordonnèrent à leurs codétenus de faire route vers la terre, et ils débarquèrent à un endroit appelé « le Rocher ». Ils prirent aussitôt la fuite. Dès que le crime fut connu, la troupe fut réquisitionnée pour se mettre à la recherche des criminels. Ceux-ci ont été arrêtés, et écroués à la prison de Lorient. »[7].

L’année 1940 marque la fin officielle des « bagnes d’enfants ». En 1945, la colonie de Belle-Île devient alors un institut public d’éducation surveillée (IPES). En 1967, 80 jeunes étaient encore enfermés à Haute-Boulogne. L’établissement a été fermé définitivement le .

Révolte de 1934

La colonie pénitentiaire de Belle-Île est restée célèbre par la révolte, en 1934, d’une centaine de colons. Un soir d’, un des enfants ayant été roué de coups pour avoir mordu dans un morceau de fromage avant de manger sa soupe, une émeute éclate, suivie de l’évasion de 55 pensionnaires. Ce fait divers est suivi d’une campagne de presse très virulente, et va inspirer à Jacques Prévert son célèbre poème La Chasse à l'enfant. Il y dénonce la « battue » organisée pour rattraper les fugitifs, avec prime de 20 francs offerte aux touristes et aux habitants de Belle-Île pour chaque garçon capturé[8].

Dans les arts

  • La Chasse aux enfants, par Jean-Hugues Lime, publié en 2004 (éditions Le Cherche-Midi, en 2013, De Borée pour l'édition poche), raconte la vie quotidienne des colons, du point de vue des détenues, à l'époque de la révolte de 1934.
  • Un roman paru en 2017, Le goût du vent sur les lèvres, de Cédric Morgan, évoque la colonie pénitentiaire de Belle-Île, appelée communément le « bagne d'enfants », ainsi que certaines légendes et faits historiques liés à cette île.
  • Le roman jeunesse Le Bagnard de Belle-Île, publié dans la collection "Ar Bed All ou le Club de l'Au-delà" chez Coop Breizh, raconte l'histoire d'un trio de jeunes amis, ayant formé le "Club de l'au-delà" qui vient en aide à des fantômes pour leur permettre de gagner l'autre monde. Ils sont en visite à la citadelle Vauban, et se retrouvent entraînés par le fantôme d'une jeune fille à la recherche du fantôme de son fiancé, mort en s'échappant du bagne en 1934.
  • Le silence des oiseaux, de Dorothée Piatek, paru en 2014
  • Trois films se sont inspirés de la révolte de 1934 :
    • Au printemps 1947, Marcel Carné et Jacques Prévert font face à de nombreuses difficultés lors du tournage d'un film « La Fleur de l’âge » à Belle-Ile s’inspirait de la mutinerie de 1934: intempéries, mouvements sociaux, accidents et querelles. Il ne reste rien du film, dont Jacques Prévert avait cosigné le scénario (c’était leur huitième collaboration), sinon une poignée de photographies en noir et blanc par Émile Savitry[9].
    • La Révolte des enfants, réalisé par Gérard Poitou-Weber (1992)
    • Les Vauriens, télé-film de Dominique Ladoge (2006)

Notes et références

  1. Prisons et prisonniers politiques à Paris pendant et après l'insurrection de juin 1848 p. 5
  2. Une maison de correction La colonie de Belle-Île-en-Mer 1880-1945
  3. La colonie pénitentiaire pour enfants - Quelques rappels historiques sur l’enfermement des mineurs
  4. Le Domaine de Bruté Association Oval, colonie de vacances et classes de découvertes
  5. Le site recevra à nouveau, entre 1872 et 1879, des condamnés de la Commune.
  6. Jacques Bourquin, Une maison de correction - La colonie de Belle-Île-en-Mer 1880-1945, Revue d'Histoire de l'Enfance Irrégulière, Hors-série 2007. pp. 259-265.
  7. Le Petit Journal Illustré, 23 août 1908.
  8. « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
    Maintenant il s’est sauvé
    Et comme une bête traquée
    Il galope dans la nuit
    Et tous galopent après lui
    Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
    Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
    C’est la meute des honnêtes gens
    Qui fait la chasse à l’enfant...»
    - Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949.
  9. https://catalogue.bm-lyon.fr/ark:/75584/pf0002755255.locale=en

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Bachelet (Nicolas), Le bagne pour les enfants de Belle-Île-en-Mer (1911-1934), mémoire de droit, Nantes, 2002, dact., 20 f°.
  • Bechet (Bernadette), Illiaquer (Michel), Belle-Île-en-Mer, I. P. E. S., I. S. E. S. Réalités et perspectives, Savigny : École nationale de formation des personnels de l'Éducation Surveillée, 1975, pag. multi.
  • Bourquin (Jacques), « Une maison de correction  : la colonie de Belle-Île-en-Mer 1880-1945 », Belle-Isle histoire. Revue de la Société historique de Belle-Île-en-Mer,1996, n° 18, p. 27-32.
  • Coulon (François-Xavier), « Les cartes postales racontent l'histoire  : les différents navires à voiles de la colonie agricole et maritime [de Belle-Île, Morbihan] », Belle-Isle histoire, Revue de la Société historique de Belle-Île-en-Mer, 1995, n° 15, p. 53-58.
  • Fayard (Jean), Une enfance en enfer, Paris : Le Cherche midi, 2003, 279 p
  • Fillaut (Thierry) (dir.), Une institution publique d'éducation surveillée, Belle-Île-en-Mer (1945-1977). De l'ordonnance à son traitement, Vaucresson, Services d'Études du CNFE-PJJ, 1996, 122 p.
  • Garans (L.-C.), « Histoire de la maison de correction de Belle-Île-en-Mer », La Gazette de Belle-Île-en-Mer, 1983-1984, n° 42-58.
  • Garans (L.-C.), Histoire du pénitencier de Belle-Île-en-Mer, Haute-Bologne, Bruté, brochure de 83 pages, supplément à La gazette de Belle-Île-en-Mer, , réédition revue et augmentée en 1997.
  • Gardet (Mathias), « Ker Goat/Belle-Île  : deux centres mythiques », Le Temps de l'Histoire, n° 4, 2002, p. 157-168.
  • Hillion (Julien), La colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer (1880-1900), surveillance, formation professionnelle et rapports à la société locale, mémoire de Master 1, Histoire, Lorient, 2006, dact., 216 p.
  • Illiaquer (Michel), Pors (Dominique), « Quelques réflexions sur le travail du groupe "Histoire de l'IPES de Belle-Île-en-Mer" », Le Temps de l'histoire, 1998, n° 1, p. 177-188.
  • Le Pennec (Yann), « Club de Belle-Île-en- Mer », Pour l'Histoire, Bulletin AHES-PJM, n°21, date, pp.
  • Lime (Jean-Hugues), La chasse aux enfants  : le bagne des enfants de Belle-Île-en-Mer, Paris : le Cherche midi, 2004, 273 p. * Pierrat (Jérôme), « Belle-Île-en-Mer [Morbihan], la colonie pénitentiaire maritime », Chasse-Marée, Revue d'histoire et d'ethnologie maritime (Douarnenez), 1997, n° 109, p. 28-39.
  • Lerévérend (R.), « Quelques réflexions sur l’IPES de Belle-Île-en-Mer », éducateur entre 1948 et 1956, Pour l’Histoire, Bulletin AHES-PJM, n°19, , pp. 4-6.
  • Biard (René), Bagnards en culottes courtes, La table Ronde, 1968.
  • Alexis Danan, L’épée du scandale, Paris, Robert Laffont, 1961.
  • « Ecole maritime de réforme de Belle-Isle », Revue pénitentiaire. Bulletin de la Société générale des prisons, n°7, , pp. 1003-1008.
  • Joubrel (Henri), La délinquance juvénile en Bretagne, Rennes : CRES, 1943.
  • Mallat de Bassilan, Au pays des homards : excursions en Bretagne, Paris, Bureaux de la géographie, 1897, pp.56-60.
  • Pelgrims (Bernard), « L’apprentissage maritime de Belle-Île », Rééducation, , n°62-64 pp. 43-58
  • Pelgrims (Bernard), « Rapport sur l’institution publique de Belle-Île », Rééducation, 1955, n°70-72, pp 28-31.
  • Piatek (Dorothée), " Le silence des oiseaux", Editions seuil, 2014,175 pages.
  • Rivière (Albert), « La colonie pénitentiaire de Belle-Île », Revue pénitentiaire. Bulletin de la Société générale des prisons, n°6, , p. 863-865.
  • Roubaud (Louis), Les Enfants de Caïn, Paris : Grasset, 1925, 239 p.
  • Trébuchet (Léon), Belle-Isle-en-Mer, Paris : A. Hennuyer, 1896, 3 e édition.
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