Équilibre général

Une économie est formée d'une multitude d'individus (appelés souvent « ménages » ou « consommateurs ») et d'entreprises qui échangent entre eux en vue de satisfaire leurs objectifs (augmenter leur satisfaction ou leur profit, par exemple). Ces échanges peuvent prendre des modalités diverses. La théorie de l'équilibre général s'intéresse au cas où ils prennent une forme marchande, par l'intermédiaire d'un système de prix. Le mot « équilibre » désigne le fait que cet intérêt porte essentiellement sur le cas où ces échanges sont tels que chacun soit satisfait et ne cherche plus à « bouger » (à faire de nouveaux échanges). L'adjonction de l'adjectif « général » s'explique par le fait que l'ensemble des échanges de l'économie, qui concerne tous ses biens, sont pris en compte — par opposition à la théorie de l'« équilibre partiel », qui ne traite que du cas d'un seul bien, en ne tenant pas compte des interactions de ses échanges avec ceux qui portent sur les autres biens.

Généralement, quand on parle de théorie de l'équilibre général, on entend par là le modèle de base de la théorie néoclassique, celui de la concurrence parfaite[1], dont la version la plus achevée a été donnée par Arrow et Debreu, dans un article publié en 1954[2], où ils montrent, dans le cadre d'hypothèses très précises, l'existence d'au moins un système (vecteur) de prix qui égalise les offres et les demandes (globales) des agents économiques — qui se comportent en « preneurs de prix ».

Le modèle de l'équilibre général, dans la version d'Arrow et Debreu, constitue l'ossature des cours dits de « microéconomie ». Il est souvent présenté comme une présentation idéalisée d'une économie de marchés, mais cette interprétation du modèle de Arrow et Debreu, entre autres, est très contestée[3].

Dans le contexte des autres approches économiques

Cet article couvre l'approche néoclassique de la théorie de l'équilibre général. Toutes les thèses non néoclassiques ne figurent pas dans cet article. En particulier, voyez les articles dédiés pour les approches classiques, marxistes ou institutionnalistes pour l'établissement des prix : l'analyse entrée-sortie de Wassily Léontief et le modèle de croissance en optimisation linéaire développé par John von Neumann.

Les économistes de l'École autrichienne considèrent que l'équilibre général est une construction imaginaire qui peut être utile pour l'étude de problèmes particuliers, mais qui ne décrit aucune situation réalisable. Pour eux, l'économie est en perpétuel déséquilibre et le seul sujet d'étude scientifique est celui des processus d'évolution. Ils considèrent donc toute la théorie de l'équilibre général comme sans objet, une façon de chercher « sous le lampadaire » (parce qu'on sait faire des calculs), même si on sait bien que c'est ailleurs qu'on a perdu ses clés.

L'équilibre général tente de donner une explication englobante de toute l'économie dans une démarche montante (dite encore bottom-up ou « de fondement »). Par opposition, la macroéconomie dite keynésienne adopte une démarche descendante laquelle part d'agrégats, qui représentent des ensembles de biens différents. Les macroéconomistes ont cherché à déterminer les conditions de passage de la microéconomie à la macroéconomie – à donner à cette dernière des « fondements microéconomiques ». Comme on pouvait s'y attendre, ces conditions sont tellement restrictives que personne ne croit qu'elles soient vérifiées[4], même de très loin, dans la réalité.

Une façon de contourner cette difficulté a consisté à réduire le problème de l'équilibre général à celui d'un agent unique, appelé « agent représentatif », mais il semble abusif de parler d'équilibre général[5] quand il y a un agent qui décide de tout.

Historique

Léon Walras

Dans Éléments d'économie politique pure ou théorie de la richesse sociale (1874) Léon Walras expose sa première tentative de modéliser une économie pour expliquer la formation des prix. Il propose une série de modèles de plus en plus complexes (deux biens, plusieurs types de biens, la production, la croissance, la monnaie).

Le problème de Walras s'exprime formellement par un système d'équation. Pour L biens et donc L marchés, il y a 2L équations données par les offres et les demandes et qu'il y a 2L inconnues (les L quantités échangées et les L prix), Walras en déduit que ce système, possédant autant d'équations que d'inconnues, devrait avoir une solution. Or même un système de deux équations linéaires à deux inconnues peut selon les cas avoir une solution, ne pas avoir de solution ou posséder une infinité de solutions. Le problème de l'existence d'une solution à ce problème (dit problème d'équilibre général) restera longtemps sans solution claire malgré des efforts notables d'économistes comme Cassel ou Wicksell[réf. nécessaire].

Walras a aussi été le premier à avoir une intuition du rôle du tâtonnement pour atteindre l'équilibre et notamment de son impact sur la stabilité. Il propose une méthode pour atteindre cet équilibre. Les prix sont annoncés "à la criée" et les agents indiquent combien ils souhaitent offrir ou demander de chaque bien. Aucune transaction n'est traitée tant que l'on se trouve au déséquilibre. Les prix positifs des biens en excès de demande sont revus à la hausse ; ils sont baissés pour les biens à faible demande. Toute la question est de savoir sous quelle condition ce processus va atteindre l'équilibre -- sauf sur les biens de prix nuls pour lesquels l'offre doit surpasser la demande. Walras ne trouve pas de réponse définitive à cette question[réf. nécessaire].

Alfred Marshall

Dans Principes d'économie politique (1890) Alfred Marshall présente l'analyse d'un équilibre partiel d'équilibre général en étudiant les variations de l'offre et de la demande pour un seul bien en supposant les autres constants. À la fin des années 1920 Piero Sraffa démontre que la théorie de Marshall ne peut pas expliquer la convexité de la courbe d'offre pour l'ensemble des commodités[6]. En effet si une industrie consomme beaucoup d'un facteur de production, une augmentation de son activité fera sensiblement monter le prix de cette fourniture et donc de ses coûts.

Arrow, Debreu et McKenzie

En 1953, Kenneth Arrow et Gérard Debreu proposent un cadre formel qui impose des contraintes sur les équations de Walras telles qu'ils peuvent rigoureusement démontrer la proposition d'existence de l'équilibre général[7]. Ces auteurs définissent rigoureusement le concept d'équilibre. Leur démonstration est non-constructive. Elle repose sur des arguments de convexité sur des ensembles fermés d'un espace vectoriel et l'utilisation du théorème du point fixe de Kakutani. Mais la première preuve d'un tel résultat est due à Lionel McKenzie[8].

Interprétations et commentaires

Les interprétations de ces résultats se classent en trois champs. Tout d'abord, si l'on considère des biens répartis en des emplacements géographiques distincts, le modèle d'Arrow-Debreu est un modèle spatial, de commerce international par exemple.

De plus, si l'on distingue les biens selon la date à laquelle ils sont livrés, tous les marchés instantanés sont équilibrés à un instant pris pour origine. Les agents du modèle ont donc contracté des livraisons à terme. Ce modèle intertemporel prévoit qu'à l'origine, tous les marchés futurs sont négociés.

Enfin imaginons que les contrats spécifient dans quel état de nature la livraison se fait : la couverture d'une assurance ne s'exerce qu'en cas de sinistre.

« A contract for the transfer of a commodity now specifies, in addition to its physical properties, its location and its date, an event on the occurrence of which the transfer is conditional. This new definition of a commodity allows one to obtain a theory of [risk] free from any probability concept... »

 Debreu, 1959

Ces interprétations peuvent être combinées. Le modèle de Arrow-Debreu s'applique donc quand les biens sont identifiés par le lieu et la date de leur livraison, et sous quelles conditions. Il aboutit à un système complet de prix pour des contrats du type : « Une tonne de pommes de terre bonnottes calibrées, livrée à Genève le , s'il a plu moins de 85 cm en Valais depuis le 1er octobre. » Un modèle d'équilibre général avec des marchés complets de ce type est assez loin d'une description réaliste du monde des affaires.

Le travail d'Arrow et Debreu a connu un grand retentissement dans la communauté des économistes, non seulement parce qu'il apportait une solution rigoureuse à l'un des plus vieux problèmes de la science économique : la fameuse main invisible d'Adam Smith, mais surtout parce qu'il permettait de reprendre le programme de recherche néo-classique avec des moyens formels beaucoup plus puissants. La théorie de l'équilibre général va alors susciter un ensemble immense de travaux, et l'on peut parler « d'âge d'or » de cette théorie pour toute la période allant du milieu des années 1950 au début des années 1970.

Il serait fastidieux d'en énumérer tous les développements. Parmi les plus importants, citons les extensions du concept à des environnements incertains, à des contextes dynamiques et multisectoriels, l'établissement d'une correspondance entre équilibre général et le cœur d'un jeu coopératif (Herbert Scarf, 1966), l'introduction des anticipations (concept d'epsilon-équilibre de Radner).

Ce programme de recherche va entrer progressivement en crise à partir du début des années 1970, au fur et à mesure qu'il devenait évident qu'il n'était pas possible, dans le contexte de cette théorie, d'expliquer comment une économie, initialement hors-équilibre, pouvait converger, par une suite d'échanges réalisés hors-équilibre, vers un équilibre. En d'autres termes, on était capable de montrer l'existence d'un équilibre dans un vaste ensemble de situations mais pas d'expliquer comment une économie pouvait l'atteindre dans un cadre d'échanges libres et décentralisés (résultats en particulier dus à Mantel, Sonnenschein et Debreu, 1974).

Intuitivement, on peut l'expliquer ainsi. Le système de prix d'équilibre est la quantité minimale d'information nécessaire pour coordonner les agents économiques sur un équilibre. C'est-à-dire qu'en annonçant aux agents un vecteur de prix d'équilibre, ils vont se coordonner spontanément sur l'équilibre correspondant des offres et des demandes. Mais « minimal » ne veut pas dire « suffisant », et c'est là le sens des résultats de Mantel et alii. Le problème de la coordination est donc déplacé vers un problème « d'information ». Mais une autre des faiblesses de cette théorie est justement de supposer que les agents économiques disposent d'une information complète sur les biens et l'état des échanges.

C'est la raison pour laquelle à partir du milieu des années 1970, les économistes théoriciens ne vont plus chercher à approfondir, sauf à la marge, la théorie de l'équilibre général dans le contexte initialement construit par Arrow et Debreu. Ils vont s'orienter dans d'autres directions, privilégiant les questions d'information et d'incitations, cherchant ainsi une forme ou une autre de « dépassement » de la théorie de l'équilibre général, « dépassement » dont il paraît aujourd'hui très difficile de prédire la nature, mais rappelons nous que le problème de Walras a attendu 70 ans avant d'être résolu...[réf. nécessaire]

Les apports d'Arrow et Debreu font bien plus que de résoudre le vieux problème de Walras, ils inaugurent une manière entièrement nouvelle de poser et de résoudre des problèmes théoriques en économie. Il en résulte une certaine confusion entre la théorie de l'équilibre général au sens strict et le développement de la microéconomie et de l'économie mathématique qu'elle accompagne. Pour compliquer les choses, les approches initialement distinctes d'Arrow et de Debreu, fusionnées ensuite dans des contributions communes, relèvent de manières complémentaires mais assez différentes de penser la théorisation économique : plus constructive et « intuitive » chez Arrow, plus hypothético-déductive chez Debreu[réf. nécessaire].

Deux points importants sont à noter ici. D'une part, la formalisation est mathématiquement « ensembliste », elle ne connait que des ensembles de production et de consommation et des relations à l'intérieur d'eux (préférences pour les ensembles de consommation et technologies pour les ensembles de production). Il n'est plus fait référence à des « fonctions d'utilité » ou à des « fonctions de production ». L'approche utilisée n'est donc plus « marginaliste » (et même considérée à l'époque comme « anti-marginaliste »), c'est-à-dire, comme dans la tradition néo-classique, basée sur des raisonnements par petites différences le long de graphes de fonctions. D'autre part, l'approche est conceptuellement « conventionnelle ». L'idée épistémologique sous-jacente est qu'il nous est impossible de nous représenter mathématiquement l'économie « réelle », mais qu'il nous est toujours possible d'avoir une représentation logico-formelle de ce que nous pensons que l'économie est. En d'autres termes, toute définition d'une économie est une « convention » abstraite que nous sommes libres de modifier selon les questions à résoudre ou notre vision personnelle de ce qu'est une économie. Par contre, une fois adoptée une telle convention, nous devons nous soumettre aux règles de la logique formelle telles qu'elles s'appliquent dans le contexte axiomatique de cette convention pour en déduire des réponses aux questions posées. Tout raisonnement économique qui ne précise pas au préalable les termes de la convention dans laquelle il opère (ses « hypothèses » de départ, mais le terme est ici impropre) est a priori suspect d'être fallacieux, car infalsifiable faute d'une convention de référence[réf. nécessaire].

La contribution initiale de Debreu constitue un « coup de force » dans la pensée économique. C'est une des premières fois dans l'histoire de la pensée économique, qu'un auteur ose commencer son propos en définissant mathématiquement une économie. Cette définition réduit l'économie à un ensemble de listes : une liste de biens, une liste d'agents consommateurs, une liste de préférences sur les biens associée à la liste des consommateurs, une liste de technologies de production de la liste des biens. Technologies et préférences sont supposées vérifier une certaine axiomatique, axiomatique correspondant au nombre minimal d'hypothèses nécessaires pour obtenir le résultat recherché (elles ont été affaiblies depuis). Les consommateurs, comme les producteurs utilisant les technologies, sont posés « concurrentiels » au sens où ils considèrent les prix des biens comme des données qu'ils ne peuvent pas manipuler en modifiant leurs demandes ou leurs offres. Ils possèdent également une information complète sur les marchés et les biens échangés, et ceux-ci peuvent l'être sans coût spécifique[réf. nécessaire].

Quelques mécanismes pouvant conduire à l’équilibre

Un monde marqué par la rareté et peuplé d’individus rationnels

Les économistes ne s'intéressent qu'aux situations où la rareté des ressources oblige les humains à faire des choix. Ils doivent donc classer leurs choix par ordre de préférence dans le but de satisfaire au mieux leurs souhaits, sous contrainte de ne pas utiliser plus que ce dont ils disposent. La théorie économique néoclassique postule que ce classement est rationnel, même si la rationalité sous-jacente n'est pas apparente à l'observateur.[réf. nécessaire] Chaque agent agit pour maximiser son utilité, d'une part en transformant ses ressources en produits qu'il va vendre (comportement de producteur), d'autre part en transformant ses ressources en biens de consommation (comportement de consommateur). La théorie du choix rationnel est un des multiples points faibles de ce modèle quand il se confronte au fonctionnement de l'économie réelle.

Dans ce modèle, les prix reflètent entièrement les comportements de tous les agents.

  • Ils les déterminent : les variations de prix modifient les préférences des agents économiques, et stimulent ou découragent consommation et production. En général, la hausse (respectivement la baisse) du prix fait baisser (resp augmenter) la consommation et augmente (resp baisse) la production ; toutefois il y a parfois des effets inverses (la hausse d'un bien de première nécessité — pain ou pomme de terre, par exemple — peut faire baisser le pouvoir d'achat des consommateurs suffisamment pour qu'ils consomment plus de ce bien, au détriment de biens plus luxueux — pâtisseries ou viande, par exemple).
  • Ils les subissent : les variations de préférence des agents économiques les conduisent à modifier les prix auxquels ils sont prêts à échanger leurs biens. Ainsi, en général, quand les consommateurs diminuent leur demande ou quand les producteurs augmentent leur production, les prix baissent ; et inversement.

On voit ainsi qu'une modification de prix conduit en général à un mouvement inverse, par le biais des modifications des choix de consommation et de production.[réf. nécessaire]

La formation du prix d’équilibre par tâtonnement

Au départ, il n’y a aucune raison que les quantités demandées (celles que les consommateurs souhaitent acheter pour un niveau de prix donné) et les quantités offertes (celles que les producteurs souhaitent vendre pour un niveau de prix donné) soient égales : le marché n’est pas à l’équilibre.

Le prix doit donc s’ajuster (à la hausse ou à la baisse selon la situation) pour que de nouvelles offres et demandes s’établissent à un nouveau prix.

Prenons l’exemple d’un bien produit en quantité insuffisante : la demande est supérieure à l’offre. Ceux qui tiennent vraiment à se le procurer feront savoir qu’ils acceptent de payer un prix plus élevé que le prix initial pour l’avoir. De nouveaux producteurs trouveront alors le marché rentable, alors que dans le même temps, certains consommateurs renonceront à consommer un bien devenu trop cher : l’offre augmente et la demande diminue. Walras explique qu’un agent fictif, le « commissaire-priseur », reçoit les informations sur les quantités que souhaitent échanger les agents et leur renvoie des prix qui les renseignent sur la rareté de tel ou tel bien. Par un processus de « tâtonnement », c'est-à-dire d’essais et d’erreurs, ce mécanisme permettra de trouver le prix qui assure l’égalité entre l'offre et la demande : c’est le « prix d’équilibre ». Les « quantités d’équilibre » (offres et demandes) sont celles que les agents expriment à ce prix.

En général, il est fréquent qu'en raison des délais de réactions des agents économiques et de leurs manques d'information, on observe non pas un prix d'équilibre, mais un prix plus ou moins cyclique autour du prix d'équilibre théorique. Le comportement des prix peut même être parfaitement chaotique, avec des phases d'expansion ou de glissement (lorsque les anticipations des agents sont divergentes, et qu'ils cherchent à s'aligner sur les autres ) et des chocs brutaux (souvent à la baisse, mais parfois à la hausse, lorsque tous les agents réalignent leurs anticipations). C'est notamment le cas pour des biens spéculatifs ou dont l'utilité est très subjective (objet d'art, biens financiers, etc.). Et ce, même si les phénomènes spéculatifs observés empiriquement peuvent être analysés, par exemple comme des bulles rationnelles (selon la logique du Concours de beauté décrite par Keynes).

Corrélations multiples

Dans une économie capitaliste, les prix et les quantités produites des biens sont liés et corrélés : le changement du prix d'un bien, le pain par exemple, influence les revenus des boulangers. Si les boulangers ont des goûts spécifiques, c'est-à-dire qu'ils dépensent leur argent d'une manière particulière, ils achètent plus de réveils-matin que la moyenne, on retrouve cet impact dans les revenus des horlogers. Le prix du pain sera certainement affecté. Établir le prix d'équilibre d'un seul bien exige en théorie une analyse qui tienne compte des millions d'autres biens disponibles.

La boite d'Edgeworth

Optima de Pareto dans une économie d'échanges 2x2

La boite d'Edgeworth, associée aux courbes d’indifférence (ou d'iso-utilité), permet une représentation géométrique simple de la notion d'équilibre pour une économie composée de deux agents, A et B, et de deux types de biens, 1 et 2. Selon ce modèle chaque agent est capable de classifier l'espace des biens (commodités) par une famille de courbe de même utilité (courbes d'indifférence). Par hypothèse, ces courbes sont convexes et plus elles sont éloignées de l'origine plus la préférence est grande pour l'agent. Dans ce modèle les optima de Pareto sont représentés par la courbe des contrats, les points de l'espace des biens où les courbes d'indifférence de l'agent A sont tangentes à celles de l'agent B. Étant donné une situation initiale autre qu'un optimum de Pareto il existe toute une zone d'échange favorable, i.e. qui augmente la préférence des deux agents et dans cette zone une famille d'optima de Pareto, points où il n'est pas possible d'augmenter la préférence d'un agent sans diminuer celle de l'autre.

Modélisation mathématique

Dans l'article de Arrow et Debreu démontrant l'existence d'un équilibre général[7], les auteurs définissent un ensemble d'équations dans l'espace des commodités. Dans le cadre de ce modèle économique ils définissent l'ensemble des unités de production et l'ensemble des consommateurs.

Espace des commodités

L'espace des commodités est modélisé par , avec le nombre de commodités.

Il existe au moins une commodité représentant le travail. Ils appellent , pour « Labour », l'ensemble des commodités représentant un service travail. Chez un consommateur les composantes d'un vecteur de commodités correspondant à un service travail sont négatives.

À chaque commodité est associée un prix. L'ensemble des prix , est normalisé car toutes les équations sont homogènes de degrés 1 en p dans le modèle. Soit et , est le prix de toutes les commodités représentées par le vecteur . Formellement l'espace des prix est l'espace dual de celui des commodités. Dans le cadre de ce modèle ils sont tous les deux identifiés à .

Modèle économique

À chaque unité de production ils associent un ensemble de vecteurs de . Cet ensemble modélise les plans de productions de l'unité , les composantes positives étant des commodités produites et les composantes négatives les commodités consommées nécessaire à cette production. De même à chaque consommateur ils associent un ensemble de vecteurs de représentant ses désirs de consommations. Ils imposent des contraintes sur ces ensembles afin de satisfaire aux contraintes économiques.

Unités de production

  • L'ensemble est un ensemble convexe et fermé de contenant l'origine (Rendements d'échelle non croissant, i.e. si ).
  • La somme des , , ne contient aucun élément, à l'exception de l'origine, dans le domaine des vecteurs positifs (impossibilité de produire sans un apport).
  • (aucun plan de production global ne peut être l'exacte opposé d'un autre dans la mesure où chaque plan de production nécessite un travail qui ne peut pas être produit par une unité de production).

Consommateurs

  • Chaque ensemble est un ensemble convexe et fermé de minoré par le bas, i.e. .
  • Pour chaque consommateur, .
  • La fonction utilité, est continue et vérifie la relation de convexité (hypothèse que les surfaces d’indifférence sont convexes, i.e. est convexe pour tout ).

Lien entre consommateurs et commodités

De plus il est nécessaire qu'il existe certaines commodités pour lancer les unités de production.

  • Chaque consommateur possède initialement les commodités tel que .

Lien entre consommateurs et unités de production

Et les profits des unités de production sont intégralement redistribués parmi les consommateurs.

  • Chaque consommateur i a un droit contractuel à une fraction du profit de l'unité de production j telle que .

Définition d'un équilibre concurrentiel

Soit .

Selon ces auteurs, la motivation économique de chaque unité de production est de maximiser ses profits

  • Pour chaque j, maximise dans l'ensemble .

De même la motivation économique de chacun des consommateurs i est de maximiser leur utilité parmi leur désirs de consommations en tenant compte de leur capacité budgétaire, i.e. leur revenu résultant de la vente de leur commodités , qui incluent le travail, et de leur dividendes proportionnelle à .

  • Pour chaque i, maximise dans l'ensemble

Le marché est à l'équilibre quand l'offre est égale à la demande. Soit , z représente l’excès de la demande par rapport à l'offre, incluant l'offre initiale et la production. L'équilibre se traduit mathématiquement par

Un ensemble de vecteur satisfaisant les conditions ci-dessus est dit à l'équilibre concurrentiel.

Théorème

Tous les modèles vérifiant les hypothèses précédentes admettent une solution (équilibre concurrentiel).

Critiques

La principale critique qui est faite à la théorie de l'équilibre général, telle qu'elle est formulée dans le modèle de Arrow et Debreu, porte sur l'hypothèse que les agents agissent en « preneurs de prix »[1], les prix n'étant pas fixés par eux tout en étant uniques et connus de tous. Ce qui suppose une forte centralisation du système d'information, les échanges ne pouvant avoir lieu qu'une fois les prix d'équilibre connus. L'effet centralisateur de cette hypothèse est encore plus flagrant lorsqu'on précise que les prix dont les agents sont « preneurs » concernent aussi bien les biens futurs (éventuellement conditionnels) que les biens présents (hypothèse d'un système complet de marchés). On peut aussi douter de la rationalité des agents — pourtant mise en avant dans le modèle — qui « prennent les prix » en pensant qu'ils pourront vendre et acheter tout ce qu'ils veulent aux prix donnés, quels qu'ils soient.

Certaines critiques de l'équilibre général reprochent aux modèles d'équilibre général de se ramener à des problèmes mathématiques triviaux sans lien avec l'économie réelle. Ainsi, pour Nicholas Georgescu-Roegen :

« On trouve maintenant certaines participations qui passent pour les plus brillantes contributions à l'économie, alors que ce ne sont que des exercices mathématiques, non seulement dépourvus de substance économique, mais aussi sans valeur mathématique[9]. »

Le problème du commissaire priseur

Pour marquer le caractère centralisé du modèle d'équilibre général, il est courant qu'on invoque un « commissaire priseur » dont la tâche consiste à proposer les prix, à recueillir les offres et les demandes des agents, à les faire varier « en tâtonnant » jusqu'à atteindre l'équilibre — l'offre globale de chaque bien est égale à sa demande globale. En fait, Walras n'utilise pas cette expression. Il parle de prix « criés » et évoque un « calculateur » qui « détermine les prix d'équilibre »[10]. Arrow et Debreu évoquent un « agent du marché » qui effectue les tâches qu'on attribue généralement au commissaire priseur. Paul A. Samuelson a été le premier, dans ses Fondements de l'analyse économique à mettre le processus de recherche des prix d'équilibre (le tâtonnement walrasien) sous la forme d'un système d'équations différentielles, avec des fonctions d'offre et de demande qui ne varient pas en cours de processus (ce qui suppose que des échanges n'y ont pas lieu)..

Le théorème de Sonnenschein

Un siècle après Walras, Sonnenschein démontre, avec Mantel et Debreu, qu'il est impossible de déduire la forme des fonctions d'offre et de demande des agents économiques uniquement grâce à leurs comportements maximisateurs. Par conséquent, dans le cas général, l'équilibre n'est ni unique, ni stable. Ce théorème s'applique d'ailleurs à tous les modèles où les agents se comportent en « preneurs de prix »[11].

Comme le résume un économiste : « le théorème de Sonnenschein-Mantel-Debreu montre que l'équilibre général n'est en définitive qu'une construction vide et inutilisable. »[12]

En considérant des hypothèses plus faibles, et discutables en ce qui concerne leur pertinence, il est possible de se ramener à un équilibre à solution unique[réf. nécessaire].

Amendements proposés à la théorie

En construisant des modèles à partir des travaux de Arrow et Debreu, les recherches ont buté sur quelques difficultés. Les résultats de Sonnenschein, Mantel et Debreu stipulent que toute restriction sur la forme de fonction de demande est arbitraire. Certains pensent que cela implique que le modèle de Arrow et Debreu est dénué de fondement empirique. Quoi qu'il en soit, les équilibres définis par Arrow-Debreu ne sauraient être uniques, stables et déterminés.

On a affirmé[réf. nécessaire] qu'un modèle de tâtonnement correspond à un modèle d'économie centralisée planifiée par opposition à une économie de marché décentralisée. Il a été proposé des modèles d'équilibre général avec un autre type de processus, moins convaincants. En particulier, les économistes ont imaginé des modèles où les agents peuvent négocier des prix en dehors de l'équilibre, ces négociations pouvant affecter les équilibres vers lesquels l'économie tend. Signalons les processus de Hahn, de Edgeworth et de Fischer.[réf. nécessaire]

Le modèle intertemporel de Arrow-Debreu dans lequel tous les marchés anticipés existent à l'instant initial, pour des biens à livrer à l'avenir, peut être transformé en un modèle séquentiel d'équilibres temporaires. Chaque séquence correspondrait à un équilibre sur un marché ponctuel, et ce à tout moment. Roy Radner a trouvé[réf. nécessaire] que pour qu'un équilibre puisse exister dans ce type de modèle, les agents (les consommateurs et les producteurs) doivent avoir des capacités de calculs illimitées.

Bien que le modèle de Arrow-Debreu soit établi avec un numéraire arbitraire, le modèle tient compte de la monnaie. Frank Hahn par exemple, a cherché à développer des modèles d'équilibre général dans lesquels la monnaie est un facteur déterminant[13].

Approche alternative : l'éconophysique

En 1983, Emmanuel Farjoun et Moshe Machover remarquèrent que les sciences physiques étaient capables de faire des prévisions utiles sur le comportement macroscopique d'ensembles (du mouvement brownien aux lois de la thermodynamique) qui, vus localement, apparaissent aléatoires et chaotiques[14]. Selon eux, les économistes -- marxistes, néo-classiques et keynésiens -- s'étaient englués dans une vision de causalité et de stabilisation datant de Adam Smith, les poussant toujours à la recherche d'un équilibre hypothétique[15].

Constatant que le postulat d'existence de cet équilibre était central dans les théories proposées jusqu'alors en économie politique et que les modèles associés échouaient à prévoir de multiples crises économiques, ces auteurs proposent de changer radicalement les hypothèses de base et jettent les bases d'une approche probabiliste de l'économie politique. En particulier, s'ils se positionnent dans la tradition des économistes classiques et marxistes en insistant sur le rôle du travail dans la création de richesses (voir valeur travail), ils rejettent l'hypothèse -- simplificatrice, mais peu vraisemblable -- d'un taux de profit uniforme.

Plus généralement, ils reprennent la problématique de formation des prix et du profit en conceptualisant diverses quantités sous la forme de variables aléatoires. Ainsi, selon eux, la compétition d'un marché libre ne peut engendrer au mieux qu'un équilibre statistique. De même, ils contestent la dimension déterministe de la formation d'un prix. Il suffit d'aller sur un marché acheter des légumes pour voir que le prix du kilogramme de tomate n'est pas une variable déterministesource ? : il n'est pas constant ni sur un jour ni sur un même marché. Aussi les prix devraient être considérés comme des variables aléatoires[16].

Law of Chaossource ? ne définit pas un modèle économique probabiliste rigoureux mais suggère des pistes pour une telle modélisation[17].



Notes et références

  1. « Qu'est-ce que la concurrence parfaite ? », sur bernardguerrien.com
  2. (en) « Existence of an equilibrium for a competitive economy » Existence d’un équilibre pour une économie compétitive »]
  3. « C’est quoi, un marché ? », sur autisme-economie.org
  4. « Aggregation in production functions: what applied economists should know? »
  5. « La nouvelle macro-économie », sur autisme-economie.org
  6. Sraffa, Piero, 1926, "The Laws of Returns under Competitive Conditions", Economic Journal, 36(144), pp. 535–50.
  7. (ArrowDebreu)
  8. (en) Ross M. Starr (en), General Equilibrium Theory : An Introduction, CUP, , 250 p. (ISBN 978-0-521-56473-1, lire en ligne)
  9. « There are endeavors that now pass for the most desirable kind of economic contributions although they are just plain mathematical exercises, not only without any economic substance but also without any mathematical value » (Nicholas Georgescu-Roegen 1979).
  10. Principe d’une théorie mathématique de l’échange, sur Wikisource
  11. Ackerman : Still Dead After All This Years : "The basic finding about instability, presented in a limited form by Sonnenschein (1972) and generalized by Mantel (1974) and Debreu (1974), is that almost any continuous pattern of price movements can occur in a general equilibrium model, so long as the number of consumers is at least as great as the number of commodities." http://ase.tufts.edu/gdae/publications/working_papers/stilldead.pdf
  12. Claude Mouchot, Méthodologie économique, 1996.
  13. Voir les travaux d'André Orléan et Michel Aglietta pour des théories sur l'origine et le rôle de la monnaie.
  14. Emmanuel Farjoun et Moshe Machover, Laws of Chaos (1983)
  15. Adam Smith, in an economy with perfect compe-tition, one can associate with each commodity an ‘ideal’or ‘natural’equilibrium price, and that in a state of equilibrium all commodities are sold at their ideal prices, which are so formed as to guarantee identical uniform rates of profit to all capitals invested in commodity production
  16. "Anyone who has ever been to a vegetable market knows that the price of tomatoes varies not only from day to day (indeed, hour to hour) but also from stall to stall. If you have just bought 1 kilogram of tomatoes for 50 pence, you know that the price of your kilogram of tomatoes is 50 pence. But you are not really entitle to make the statement: ‘The price of tomatoes today in this town is 50 pence per kilogram.’ Other people may have paid 45 or 55 pence for an identical quantity of similar tomatoes. Strictly speaking, there is no such thing as the price of tomatoes, even if it refers to a particular day in a particular town." Law of Chaos page 10
  17. "We are acutely aware that what we have at this stage is not a worked-out and well-rounded theory, but a skeleton of a research programme, which only long years of theoretical and empirical investigation can flesh out" Law of Chaos page 11

Bibliographie

  • Emmanuelle Bénicourt et Bernard Guerrien La théorie économique néoclassique, (3e édition), La Découverte, 2008
  • (en) Kenneth J. Arrow et Gérard Debreu, « The Existence of an Equilibrium for a Competitive Economy », Econometrica, vol. XXII, , p. 265-90
  • Alain Béraud, « Le développement de la théorie de l'équilibre général : Les apports d'Allais et de Hicks », Revue économique, vol. 65, no 1, (DOI 10.3917/reco.651.0125)

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