Économie d'endettement

Une économie d'endettement désigne une économie dont les marchés de capitaux sont étroits et cloisonnés, et où les banques commerciales financent l'activité par le crédit. Les économies européennes étaient des économies d'endettement avant que les marchés financiers ne disposent des volumes de capitaux nécessaires au financement de l'économie dans les années 1970.

Dans une économie d'endettement, les agents dépendent des crédits bancaires pour satisfaire leurs besoins de financement[1].

Concept

Principe

Afin de croître, un système économique nécessite des capitaux. Dans le cas où les marchés de capitaux sont faibles et ne disposent pas d'un volume de capitaux élevé, les entreprises s'appuient sur les banques commerciales afin de financer l'activité par la création de crédit. Ce type de système économique est qualifié d'économie d'endettement[2]. Le concept ne doit pas être confondu avec celui d'économie endettée, qui désigne un système économique dont la dette est anormalement élevée[3].

La distinction entre les systèmes financiers qualifiés d'économie de marché financier et ceux qualifiés d'économie d'endettement (overdraft economy) est introduite en 1974 par John Hicks[4]. Le circuit de financement d'une économie d'endettement est caractérisé par une inflation élevée du fait de la création de crédits sur laquelle elle repose. Lorsque la banque commerciale accorde un crédit, elle émet de la monnaie, ce qui fait gonfler la masse monétaire du pays[5].

L'augmentation des volumes de capitaux disponibles sur les marchés financiers ont conduit les économies développées à plus se reposer sur les ressources de ces marchés afin de fournir les entreprises en investissements[6].

Limites

La mobilisation du crédit bancaire afin de financer les activités des entreprises a conduit, dans les années 1970 et 1980, à un surendettement privé. Le taux d'autofinancement des entreprises est très bas au début des années 1980 (entre 50 et 60% en France), et la charge de la dette limite leurs investissements[7].

La portée conceptuelle de l'économie d'endettement est parfois critiquée. Nicholas Kaldor remarque que le système économique des pays développés est non pas uniquement une économie de marché financier, mais une économie mixte, où les entreprises peuvent à la fois se financer sur les marchés financiers, et auprès des banques commerciales[8]. Les entreprises non cotées en bourse, elles, n'ont toujours qu'accès au crédit bancaire[5].

Histoire

Aux États-Unis

Les États-Unis connaissent une économie d'endettement au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle. Dans les années 1920, l'endettement était le principal moyen de financement de l'activité économique ; 15% des ventes aux États-Unis en 1925 se font à crédit. Les marchés de capitaux se développent cependant plus rapidement qu'en Europe[9]. Cela est dû à la conjonction de caractéristiques américaines : un système juridique plus protecteur des actionnaires, l'interdiction des grandes banques universelles du fait du Glass-Steagall Act, le système de retraite par capitalisation, et le nombre plus élevé de PME en Europe[10].

En France

La Seconde guerre mondiale a des conséquences macroéconomiques désastreuses sur la France. La période d’expansion économique des Trente Glorieuses est permise par un système économique qui repose sur une politique de reconstruction soutenue par l'emprunt.

L’activité financière, largement contrôlée par les pouvoirs publics, permet d'acheminer facilement des capitaux du secteur privé vers l’État. Le ministère des Finances met en place un circuit de capitaux appelé circuit du Trésor, où les banques commerciales achètent la dette française en même temps que le Trésor collecte les réserves des banques commerciales[11]. Cette « architecture institutionnelle bancaire et financière » (François Bloch-Lainé, directeur du Trésor et concepteur du circuit) permet de sécuriser l'approvisionnement en liquidités du Trésor. En cas d'insuffisance, la Banque de France octroie des avances et des prêts générateurs d'inflation, que l’État rembourse ensuite.

Le « circuit » est donc un ensemble de mécanismes conduisant de nombreuses institutions à déposer au Trésor une partie, voire la totalité des ressources collectées. Les institutions concernées sont appelées « les correspondants du Trésor ». Parmi elles, nous trouvons les banques nationalisées, la Caisse des dépôts, les Caisses d’épargne, les collectivités locales et les entreprises publiques et semi-publiques. De la sorte, donc, le Trésor est continuellement irrigué et le crédit est largement contrôlé par le secteur public. Par la politique du circuit, l’État accepte de créer de l’inflation pour stimuler l’expansion économique de la France.

Ce système économique basé sur le crédit est possible parce que les marchés financiers sont étroits, et que le système financier français est en grande partie contrôlé par l’État : en 1984, 87 % des dépôts à vue et 76 % des crédits distribués dans l’économie dépendent des banques ayant été nationalisées. À cette époque, la création monétaire passe par la politique d’encadrement du crédit. La concurrence entre les banques est faible et ces dernières assurent l'essentiel du financement de l'économie. La faible importance du taux d’autofinancement des entreprises et le non développement du marché financier intérieur expliquent cette structure particulière du financement des entreprises[12]. Toutefois, le rapport Lorrain remarque dès 1963 que l'économie d'endettement française présente des problèmes, dont, notamment, .« une insuffisance d’investissements liée à une inadéquation des modes de financement offerts par les banques, mettant en avant les handicaps du cloisonnement et la faible mobilisation comme l’insuffisante affectation des circuits de l’épargne »[13].

Sources

  1. Philippe Deubel, Dictionnaire d'analyse économique et historique des sociétés contemporaines, Paris, Pearson Education France, , 424 p. (ISBN 978-2-7440-7346-5), p. 184
  2. Marie Delaplace, Monnaie et financement de l'économie : Cours, Paris, Dunod, , 307 p. (ISBN 978-2-10-058748-3), p. 269
  3. Michel Develle, « « L'économie d'endettement et sa prévisible évolution » », Revue d'économie industrielle, vol. 35, no 1, , p. 48–61 (DOI 10.3406/rei.1986.1217, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) John Hicks, « Capital Controversies: Ancient and Modern », American Economic Review,
  5. Françoise Renversez, « De l'économie d'endettement à l'économie des marchés financiers », La Découverte, , p. 54 à 64 (ISSN 1956-7413)
  6. Marc Montoussé, Sciences économiques et sociales, 1re ES, Editions Bréal, , 351 p. (ISBN 978-2-7495-0546-6, lire en ligne)
  7. Marc Montoussé et Dominique Chamblay, 100 fiches pour comprendre les sciences économiques, Editions Bréal, , 237 p. (ISBN 978-2-7495-0499-5, lire en ligne)
  8. Alain Beitone, Analyse économique et historique des sociétés contemporaines, Armand Colin, , 638 p. (ISBN 978-2-200-25733-0, lire en ligne)
  9. Bertrand Affilé et Christian Gentil, Les grandes questions de l'économie contemporaine, Paris, Editions l'Etudiant, , 167 p. (ISBN 978-2-84624-767-2, lire en ligne)
  10. Grégory Claeys, « Quelle place pour les marchés financiers en Europe ? », Revue d'économie financière, vol. 123, no 3, , p. 125 (ISSN 0987-3368 et 1777-5744, DOI 10.3917/ecofi.123.0125, lire en ligne, consulté le )
  11. Marc Montoussé, Économie monétaire et financière, Editions Bréal, (ISBN 978-2-7495-0611-1, lire en ligne)
  12. Dominique Plihon, La monnaie et ses mécanismes, Paris, La Découverte,
  13. Alain Beitone, Christophe Rodrigues et Estelle Hemdane, Introduction à l'économie monétaire - 2e éd., Dunod, (ISBN 978-2-10-083121-0, lire en ligne)

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