Charles de Saint-Évremond.

Charles Le Marquetel de Saint-Denis, seigneur de Saint-Évremond, ondoyé le 5 janvier 1614 et baptisé le 20 janvier 1616 à Saint-Denis-le-Gast et mort le 20 septembre 1703 à Londres, est un moraliste et critique français.

Portrait de Saint-Évremond, fait par lui-même

C’est un philosophe également éloigné du superstitieux et de l’impie ; un voluptueux qui n’a pas moins d’aversion pour la débauche, que d’inclination pour les plaisirs ; un homme qui n’a jamais senti la nécessité, qui n’a jamais connu l’abondance ; il vit dans une condition méprisée de ceux qui ont tout, enviée de ceux qui n’ont rien, goûtée de ceux qui font consister leur bonheur dans leur raison. Jeune, il a haï la dissipation, persuadé qu’il falloit du bien pour les commodités d’une longue vie. Vieux il a de la peine à souffrir l’économie, croyant que la nécessité est peu à craindre, quand on a peu de temps à pouvoir être misérable. Il se loue de la nature ; il ne se plaint point de la fortune ; il hait le crime ; il souffre les fautes, il plaint le malheureux ; il ne cherche point dans les hommes ce qu’ils ont de mauvais, pour les décrier ; il trouve ce qu’ils ont de ridicule, pour s’en réjouir ; il se fait un plaisir secret de le connoître ; il s’en feroit un plus grand de le découvrir aux autres, si la discrétion ne l’en empêchoit.
  • Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 313


Autres citations


Godeau :

Colletet, je me loue, il le faut avouer,
Mais c'est fort justement que je me puis louer.

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte I, scène II, p. 177


M. le chancelier :

C'est à tort, grands auteurs, que la Grèce se vante.
La Rome des Latins n'est plus la triomphante ;
L'Italie aujourd'hui tombe dans le mépris,
Et les Muses n'ont plus de séjour qu'à paris.

Godeau :
Qui croirait, monseigneur, que ces enchanteresses,
Que les neuf belles Sœurs, nos divines maîtresses,
Vinssent ici flatter nos esprits et nos sens
Si vous n'aviez aimé leurs charmes innocents ?

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte III, scène I, p. 193


Desmarets :

Je ne vois point ici Saint-Amant ni Faret ;
Que sont-ils devenus ?

Godeau
                  Ils sont au cabaret

Desmarets
Ils sont au cabaret ! Messieurs, quelle impudence !
Vous voyez parmi nous un chancelier de France
Qui vient de son logis en ce méchant quartier,
Sachant bien le respect que l'on doit au métier ;
Et ces vieux débauchés, au mépris de la gloire,
Lorsque nous travaillons font leur plaisir de boire !

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte III, scène I, p. 195


Gombauld :


Je dis que la coutume, assez souvent trop forte,
Fiat dire improprement que l'on ferme la porte,
L'usage tous les jours autorise les mots
Dont on se sert pourtant assez mal à propos.
Pour avoir moins de froid à la fin de décembre,
On va pousser la porte, et l'on ferme sa chambre.

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte III, scène III, p. 200
Gomberville :

Que ferons-nous, messieurs, de car et de pourquoi ?
Desmarets
Que deviendrait sans car l'autorité du roi ?
Gomberville
Le roi sera toujours ce que le roi doit être,
Et ce n'est pas un mot qui le rend notre maître.

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte III, scène III, p. 201


Colletet :

              Le plus grand de mes soins
Est d'ôter nonobstant et casser néanmoins.
Habert :
Condamner néanmoins ! D'où vient cette pensée ?
Colletet, avez-vous la cervelle blessée ?
Néanmoins, qui remplit et coule doucement,
Qui met dans le discours un certain ornement !...
Pour casser nonobstant, c'est un méchant office
Que nous nous rendrions dans les cours de justice.

  • « Les Académiciens » (1650), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, acte III, scène III, p. 203


Toutes les représentations où l'esprit a peu de part ennuient à la fin ; mais elles ne laissent pas de surprendre et d'être agréables quelque temps avant de nous ennuyer. Comme la bouffonnerie ne divertit un honnête homme que par de petits intervalles, il faut la finir à propos et ne pas donner le temps à l'esprit de revenir à la justesse du discours et à l'idée du vrai naturel. Cette économie serait à désirer dans la comédie italienne, où le premier dégoût est suivi d'un nouvel ennui plus lassant encore, et où la variété, au lieu de vous récréer, ne vous apporte qu'une autre sorte de langueur.
  • « De la comédie italienne » (1677), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 263


Je dirai qu'au lieu d'amants agréables vous n'avez que des discoureurs d'amour affectés, au lieu de comiques naturels, des bouffons incomparables, mais toujours bouffons, au lieu de docteurs ridicules, de pauvres savants insensés. Il n'y a presque pas de personnage qui ne soit outré, à la réserve de celui de pantalon, dont on fait le moins de cas, et le seul néanmoins qui ne passe pas la vraisemblance.
  • « De la comédie italienne » (1677), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 265


L'expérience se forme avec l'âge, et la sagesse est communément le fruit de l'expérience ; mais, qu'on attribue cette vertu aux vieilles gens, ce n'est pas à dire qu'ils la possèdent toujours. Ce qui est certain, c'est qu'ils ont toujours la liberté d'être sages et de pouvoir s'exempter avec bienséance de toutes les gênes que l'opinion a su introduire dans le monde.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 274


Il se forme dans [mon humeur] je ne sais quoi de particulier qui me fait moins considérer les magnificences par l'éclat qu'elles ont que par l'embarras qu'elles donnent. Les spectacles, les fêtes, les assemblées, ne m'attirent plus au plaisir qui se trouvent en les voyant : elles me rebutent des incommodités qu'il faut essuyer pour les voir. Je n'aime pas tant les concerts par la beauté de leur harmonie que je les crains par la peine qu'il y a de les ajuster.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 277
La poésie demande un génie particulier qui ne s'accommode pas trop avec le bon sens. Tantôt c'est le langage des dieux ; tantôt c'est le langage des fous, rarement celui d'un honnête homme.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 279
Ce n'est pas qu'il n'y ait quelque chose de galant à faire agréablement des vers, mais il faut que nous soyons maîtres de notre génie : autrement l'esprit est possédé de je ne sais quoi d'étranger qui ne lui permet pas de disposer assez facilement de lui-même. « Il faut être sot, disent les Espagnols, pur ne pas faire deux vers ; il faut être fou pour en faire quatre ».
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 279-280
Quelque nouveau tour qu'on donne à de vieilles pensées, on se lasse d'une poésie qui ramène toujours les comparaisons de l'aurore, du soleil, de la lune, des étoiles.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 280
Ce sont [toujours] les mêmes expressions et les mêmes rimes. Je ne trouve jamais le chant des oiseaux que je ne prépare au bruit des ruisseaux ; les bergères sont toujours couchées sur des fougères; et on voit moins les bocages sans les ombrages, dans nos vers, qu'au véritable lieu où ils sont.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 280-281
Le premier mérite auprès des dames c'est d'aimer ; le second est d'entrer dans les confidences de leurs inclinations ; le troisième, de faire valoir ingénieusement tout ce qu'elles ont d'aimable. […] Dans leur conversation songez bien à ne les tenir jamais indifférentes : leur âme est ennemie de cette langueur.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 286
Tous les hommes, en général, ne sauraient se donner trop de préceptes pour être justes ; car il sont, naturellement, trop de penchants à ne l'être pas. C'est la justice qui a établi la société et qui la conserve. Sa,s la justice, nous serions encore errants et vagabonds, et sans elle, nos impétuosités nous rejetteraient bientôt dans la première confusion dont nous sommes heureusement sortis.
  • « A M. le Maréchal de Créqui » (1671), dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 294
Il y a beaucoup moins d'ingrats qu'on ne le croit, car il y a bien moins de généreux qu'on ne pense.
  • Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 296


L'ingratitude de l'âme est une disposition naturelle à ne reconnaître aucun bienfait, et, cela, sans considération de l'intérêt ; car l'esprit d'avarice empêche quelquefois la reconnaissance pour ne pas laisser aller un bien que l'on veut garder.
  • Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 297


La simple curiosité nous ferait chercher, avec soin, ce que nous deviendrons après la mort. Nous nous sommes trop chers pour consentir à notre perte tout entière. L'amour-propre résiste, en secret, à notre anéantissement.
  • Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 301


Je vous souhaite une heureuse année quand je ne puis en avoir de bonnes ni en espérer de longues.
  • « Lettre à Madame Mazarin, le premier jour de l'an 1683 », dans Œuvres mêlées de Saint Evremond, Saint-Evremond, éd. Les Grands Classiques Illustrés, ~1935?, p. 315
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