Zyklon B
Le Zyklon B est un pesticide à base d'acide cyanhydrique breveté par le chimiste Walter Heerdt (de) (ancien collaborateur de Fritz Haber) et produit par la firme allemande Degesch.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis l'ont utilisé principalement pour la désinfection mais aussi dans les chambres à gaz des centres d'extermination : les premiers essais homicides ont été effectués dans le bloc 11 d'Auschwitz I sur des prisonniers de guerre soviétiques[1], mais la plupart des victimes du Zyklon B ont été les Juifs et Tziganes d'Europe assassinés durant la Seconde Guerre mondiale.
Conçu comme pesticide, le Zyklon B n'a jamais été utilisé comme gaz de combat, en raison de sa trop faible densité, qui entraîne sa dispersion aléatoire au moindre souffle de vent. Son utilisation comme pesticide agricole n'est pas attestée en 1935[2].
Propriétés
Connu depuis l'Antiquité, au moins pour ses propriétés métallurgiques, l'acide cyanhydrique (acide prussique, Blausäure en allemand), est un gaz toxique, rapidement mortel à de faibles concentrations. Le cyanure d'hydrogène est un gaz qui tue par anoxie. Le cyanure d'hydrogène, dont le point d'éclair est de −17,8 °C (coupelle fermée), est extrêmement inflammable. Il peut former des mélanges explosifs avec l'air et ses limites d'explosivité sont de 5,6 et 41 % en volume.
Histoire
Le Zyklon (en allemand : cyclone) fut breveté et produit durant la Première Guerre mondiale par TASCH (Technischer Ausschuss für Schädlingsbekämpfung, ou Comité technique de lutte contre les ravageurs) comme agent contre les poux, et autres ravageurs de récoltes[3]. À partir de TASCH fut créée Degesch, qui joua un rôle important dans la fabrication du Zyklon B durant la Seconde Guerre mondiale.
De nombreuses firmes allemandes avaient des intérêts dans Degesch mais, finalement, elles les vendirent au géant Degussa au début des années 1920. Degussa développa à partir de 1922 le procédé de fabrication du Zyklon B en cristaux, celui qui fut utilisé durant la Seconde Guerre mondiale. Pour trouver des capitaux, Degussa vendit une partie de son contrôle sur Degesch à IG Farben (fondée par rapprochement concerté des sociétés chimiques BASF, Bayer et Agfa) en 1930, chacune des sociétés possédant 42,5 % du capital, le reste étant détenu par la Th. Goldschmidt AG de Essen. À ce moment, le rôle de Degesch se limitait à l'acquisition de brevets et des propriétés intellectuelles, mais elle ne fabriquait pas le Zyklon B.
Il fut utilisé par les nazis dans les chambres à gaz des camps d'extermination d'Auschwitz et de Majdanek, pour y tuer plus d'un million de personnes. Il est constitué d'un substrat, la terre d'infusoires (Kieselgur en allemand), terre naturelle riche en silice, à fine granulométrie, utilisée pour son haut pouvoir d'absorption (ou encore de cristaux de gypse sous la nomination Erco), d'acide cyanhydrique, d'un stabilisant et d'un parfum (pour rendre détectables les fuites). Il était conservé dans des conteneurs métalliques étanches. Au camp de Struthof-Natzweiler, Joseph Kramer utilisa des sels hydrocyaniques comme le cyanure de calcium, qui, mélangé à de l'eau, dégage de l'acide cyanhydrique. Concernant le Zyklon B, le substrat dégage du cyanure d'hydrogène gazeux. La lettre B correspond à un taux de concentration dans une gamme du moins au plus concentré allant de A à F , cette gamme de Zyklon étant vendue par la société Testa qui avait pour seuls clients la SS et la Wehrmacht[4]. Le Zyklon A est la version originale du produit sous forme liquide mise au point par Ferdinand Flury et Albrecht Hase.
La fabrication était à charge de la Dessauer Werke für Zucker und Chemische Industrie à Dessau qui achetait le stabilisant à IG Farben, le parfum de sécurité à Schering AG et l'acide prussique à Dessauer Schlempe et assemblaient le tout pour réaliser le produit final. L'acide prussique était extrait du sous-produit de purification du sucre de betterave. De 1943 à 1945, les Kaliwerke de la ville de Kolín (Bohême-Moravie) ont fourni l'acide prussique à Dessauer Werke. Quand le Zyklon B commença à être utilisé dans les chambres à gaz, les nazis donnèrent l'ordre de retirer le parfum, en violation de la loi allemande. Pour diminuer les frais, Degussa vendit les droits de marché à deux intermédiaires : la Heerdt et Linger GmbH (Heli cofondée par le chimiste Walter Heerdt (de) et le commercial Johann Lingler) et Tesch et Stabenow (en) (Tesch und Stabenow, Internationale Gesellschaft für Schädlingsbekämpfung m.b.H. cofondée par le chimiste Bruno Tesch et l'homme d'affaires Paul Stabenow) ou Testa d'Hambourg. Ces deux firmes étendirent leurs ventes le long de l'Elbe avec Heli ayant ses clients vers l'ouest et Testa vers l'est[5].
Selon l'historienne Annie Lacroix-Riz, une usine établie en France, (la filiale franco-allemande du groupe Ugine, à Villers-Saint-Sépulcre dans l'Oise) aurait fortement augmenté les quantités de Zyklon B fabriquées entre 1940 et 1944 passant d'une tonne annuelle en 1940, à un pic de 37 tonnes pour le seul mois de juin 1944[6], ce qui pour l'historienne laisserait penser que la production n'était alors plus uniquement destinée à la désinfection des locaux, mais également aux chambres à gaz nazies[7]. L'utilisation pour la Shoah de Zyklon B produit en France est cependant contestée par d'autres historiens[8]. L'historien Hervé Joly s'élève contre l'interprétation abusive des documents que fait Annie Lacroix-Riz. Il n'y a pas de raisons valables pour croire qu'une partie de la production de l'usine de Durferrit-Sofumi (société en partenariat UGINE-Degussa) soit allée vers les camps de la mort nazis[9]. Cette opinion est renforcée par un autre historien, Denis Pechanski qui précise que, vu les quantités utilisées à Auschwitz, il n'y avait aucun besoin d'approvisionnement supplémentaire venant de France[10].
En France toujours, le Zyklon B a été homologué en 1958 sous le numéro 5800139 pour la protection des semences de céréales et la protection des céréales stockées. Ce produit commercial de la compagnie « L’Éden Vert » a été interdit en 1988[11]. Le Zyklon B est encore produit en République tchèque à Kolín sous le nom de « Uragan D2 », et vendu pour la lutte contre les insectes et les rongeurs[12]. Une variante commerciale, du nom de Zyklon, était encore homologuée en France jusqu'en 1997 pour la désinsectisation de locaux de stockage[13].
Utilisation par les nazis
Dans leur recherche d'une méthode d'extermination de masse, les nazis testèrent le Zyklon B le dans les locaux disciplinaires de la cave du Block 11 sur des prisonniers soviétiques dans le camp souche appelé Auschwitz I à Auschwitz[14]. Rudolf Höß, le commandant d'Auschwitz, jugea le procédé plus efficace que le monoxyde de carbone produit par les gaz d'échappement d'un moteur de char russe[15] en usage dans les camps d'extermination de l'opération Reinhard et l'adopta pour le génocide des Juifs et des Tziganes à Auschwitz. Il est plausible que Rudolf Höß ait fait une confusion involontaire mais constante de date, comme on retrouve constamment 1941 au lieu de 1942 tant dans ses témoignages que dans ses mémoires librement écrits, et que les camps de l'action Reinhard n'ont commencé leurs actions que début 1942.
Les nazis construisirent des chambres à gaz dans des camps d'extermination, qui permettaient de gazer en même temps plusieurs centaines, voire plusieurs milliers[16], de personnes à l'aide du Zyklon B. Ils utilisèrent les chambres à gaz à Auschwitz jusqu'en novembre 1944[17], et jusqu'au 28 avril 1945 à Mauthausen[18].
Les victimes, après avoir été enfermées dans des salles hermétiquement closes, étaient mises en contact avec le Zyklon B par insertion de ce dernier soit par des cheminées à couvercle (pour les chambres à gaz souterraines), soit par des fenêtres aux volets hermétiques fermant de l'extérieur. Dans une chambre à gaz, la mort survenait entre 3 et 10 minutes après l'introduction du produit[19]. Après vingt minutes maximum, plus personne ne bougeait[20]. Selon que la pièce était équipée d'une ventilation ou pas, celle-ci était activée afin de faire disparaître les résidus d'acide cyanhydrique, puis les Sonderkommandos, eux-mêmes des esclaves concentrationnaires, entraient. Dans le cas de chambres à gaz non équipées de systèmes de ventilation, ils étaient munis de masques à gaz. Ils avaient pour mission de sortir les cadavres, d'en arracher les dents en or, de les incinérer (dans des fours ou dans des fosses d'incinération). Ils nettoyaient également les chambres à gaz, le plus souvent au moyen de jets d'eau.
Les personnes gazées, à la recherche de l'air restant, étaient souvent retrouvées en piles s'élevant jusqu'au plafond : les plus faibles (enfants, personnes âgées) généralement en bas[21].
L'agonie était douloureuse (à coup sûr comme le produit entraîne une asphyxie, mais éventuellement de plus en raison du produit irritant ajouté par le fabricant, la Degesch, au moment de la confection des cristaux de Zyklon B : le Zyklon B étant officiellement un désinfectant très dangereux à manipuler (en raison de sa haute toxicité), il fallait lui ajouter un produit qui signale aux personnes chargées de la désinfection des locaux que du Zyklon B s'évaporait (soit dans la pièce à désinfecter soit d'un emballage défectueux)). Ayant compris à quoi servaient en réalité les quantités astronomiques commandées, et dans un effort de limiter les souffrances chez les victimes d'un système criminel qu'il ne pouvait dompter, l'un des officiers nazis chargé des achats centralisés à Berlin, Kurt Gerstein, demanda à la Degesch de ne plus mettre d'irritant dans les boîtes qui lui étaient livrées ; cette requête inhabituelle mit la puce à l'oreille du directeur de la fabrique sur la véritable utilisation de son produit, sans pour autant le faire réagir plus avant. On ne sait rien de la prise de conscience de la part des ouvriers[22].
L'acide cyanhydrique dégagé par le Zyklon B étant un gaz très volatil, son évacuation (par système de ventilation dans les chambres à gaz souterraines ou ventilation naturelle par courants d'air) était suffisamment rapide pour permettre plusieurs opérations de gazage (Sonderbehandlung)[23] en une journée.
Selon l'ouvrage Die Zahl der Opfer von Auschwitz. Aufgrund der Quellen und der Erträge der Forschung de Franciszek Piper, historien du musée national d'Auschwitz, il y a eu au moins un million de Juifs gazés avec le Zyklon B à Auschwitz[24].
Notes et références
- Christopher Browning les origines de la solution finale Points/Histoire Seuil 2009 p. 755-758, selon Danuta Czech et d'autres auteurs, fin août et début septembre 1941, selon Jean-Claude Pressac début décembre 1941
- Larousse de l'industrie, et des arts et des métiers
- (en) Peter Hayes, From cooperation to complicity: Degussa in the third Reich, Oxford, OUP (ISBN 9780521039918)
- Raul Hilberg, la destruction des Juifs d'Europe, Folio Gallimard, 1991, p. 771
- (en) en:Zyklon B cite Emil Proester, Vraždeni čs. cikanu v Buchenwaldu (The Murder of Czech Gypsies in Buchenwald). Document No. UV CSPB K-135 on deposit in the Archives of the Museum of the Fighters Against Nazism, Prague. 1940. (Quoted in: Miriam Novitch, Le Génocide des Tziganes sous le régime nazi (Genocide of Gypsies by the Nazi Regime), Paris, AMIF, 1968)
- Amnistia.net, Didier Daeninckx, « Si j'avais la preuve, je la détruirais !», 23 décembre 1999.
- Interview de Annie Lacroix-Riz dans L'Humanité du 11 mars 1997.
- Reproduction de l'article de Libération du 23 décembre 1999 sur le site amnistia.net.
- Hervé Joly, « Zyklon B: la France n'a pas fourni les camps. Le groupe français Ugine a bien fabriqué l'insecticide,mais il n'approvisionnait pas les SS. », Libération, (lire en ligne)
- Annette LÉVY-WILLARD, « L'historien Denis Peschanski réfute les allégations d'utilisation de zyklon B français à Auschwitz. «Il n'y a pas de preuve de livraison aux nazis». », Libération, (lire en ligne)
- E-phy, Ministère français de l'agriculture et de la pêche. Consulté le 15 mai 2008.
- (en) Fiche de l'Uragan D2 sur le site de l'usine tchèque Draslovka Kolín.
- e-phy Le catalogue des produits phytopharmaceutiques et de leurs usages des matières fertilisantes et des supports de culture homologués en France ZYKLON, http://e-phy.agriculture.gouv.fr/spe/7700175-5124.htm
- les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Hermann Langbein, Seuil 1987, p. 176
- témoignage du professeur Wilhelm Pfannenstiel, sturmbannführer SS, qui en août 42 a visité le camp de Belzec avec Kurt Gerstein in les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Hermann Langbein, Seuil 1987, p. 157 à 159
- Jusqu'à 3 000 personnes dans les crématoires II et III d'Auschwitz ensemble : Témoignage de Filip Müller, in Shoah de Claude Lanzmann et environ 1 600 personnes dans les crématoires IV et V ensemble in les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Seuil 1987, p. 197
- Himmler donna le 26 novembre 1944 l'ordre de détruire les crématoriums d'Auschwitz in les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Hermann Langbein, Seuil 1987, p. 215
- les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Hermann Langbein, Seuil 1987, p. 227 et 229
- Léon Poliakov, Bréviaire de la haine, Calmann-Lévy (Poche), 1974, p. 309.
- Rudolf Höss, Kommandant in Auschwitz, Deutsche Verlagstansalt, Stuttgart, 1958. Manuscrit original au musée d’État à Auschwitz.(trad.française, le commandant d'Auschwitz parle, Juillard 1959
- Témoignage de Filip Müller, in Shoah de Claude Lanzmann
- Pierre Joffroy, L'espion de Dieu : la passion de Kurt Gerstein, Paris, Laffont, (1re éd. 1992), 453 p. (ISBN 978-2-221-09764-9, OCLC 51944230), p. 303-306.
- Expression signifiant traitement spécial utilisé par les nazis pour désigner d'une manière codée la mise à mort par gazage, en abrégé S.B. in les chambres à gaz, secret d'État, Eugen Kogon, Hermann Langbein, Seuil, 1987, p. 202 et 203
- Jean-Paul Cahn, Stefan Martens et Bernd Wegner (dir.), Le Troisième Reich dans l'historiographie allemande : lieux de pouvoir, rivalités de pouvoirs, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », , 399 p. (ISBN 978-2-757-40581-9, OCLC 863051301, notice BnF no FRBNF43677521), p. 78
Bibliographie
- Hervé Joly, « L’implication de l’industrie chimique allemande dans la Shoah : le cas du Zyklon B », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 47-2, avril-juin 2000, p. 368-400.
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