Troubles dissociatifs

Les troubles dissociatifs sont un ensemble de troubles psychiatriques caractérisés par la survenue d'une perturbation touchant des fonctions normalement intégrées, comme la mémoire, la conscience et l'identité. Leurs critères diagnostiques sont précisés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux depuis la révision de 1987.

Troubles dissociatifs
Spécialité Psychiatrie et psychologie
CISP-2 P75
CIM-10 F44
CIM-9 300.12-300.14
MeSH D004213

Mise en garde médicale

Le terme « dissociatif » tel qu'il est utilisé en psychiatrie peut être ambigu. En effet le « syndrome dissociatif » doit bien être distingué des « troubles dissociatifs » ici décrits. Le syndrome dissociatif renvoie à la notion de dissociation proche de la « Spaltung » qui était pour Bleuler un symptôme fondamental de la schizophrénie. La dissociation est une dimension sémiologique centrale dans la schizophrénie. Ainsi, par le terme « dissociatif », les psychiatres désignent tantôt une désorganisation psychoaffective de niveau psychotique (schizophrénique), tantôt les « troubles dissociatifs » tels qu'ils sont décrits dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Depuis les années 1980 aux États-Unis et 1990 en Europe, les troubles dissociatifs font l'objet d'intenses programmes de recherche au niveau international. Bien que ces troubles aient été initialement modélisés par le psychologue français Pierre Janet de 1885 à 1887[1],[2],[3],[4], la France reste paradoxalement encore largement à l'écart de ces recherches. De ce fait, les patients dissociatifs sont très rarement diagnostiqués en France, où leur traitement, par conséquent, n'est pas suffisamment adapté à leurs troubles[5]. Pourtant on estime à environ 10 % la prévalence des troubles dissociatifs dans la population des pays industrialisés, en tenant compte que le diagnostic doit encore progresser (avec la formation des cliniciens et l'efficacité des échelles d'évaluation).[réf. nécessaire]

De nombreuses organisations cliniques internationales, comme l'ISSTD (International Society for the Study of Trauma and Dissociation) soutiennent, suscitent et coordonnent les investigations dans le domaine des troubles dissociatifs ; ainsi que nombre de composantes nationales de ces sociétés, où pour l'Europe, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les Pays-Bas sont parmi les pays les plus actifs. La France est encore peu ou pas représentée dans ces structures, mais depuis 2004 l'Institut Pierre Janet (Paris) travaille à l'information des spécialistes français sur cette discipline, et promeut leur collaboration aux organisations internationales.

À noter que si la CIM-10 interprète les troubles de conversion (amnésie, fugue, trouble dissociatif de l’identité et de la personnalité) comme des troubles dissociatifs, le DSM-IV-TR exclut le trouble de conversion des autres troubles dissociatifs habituels (troubles dissociatifs moteurs, sensitifs et convulsifs) en le comprenant au sein des troubles somatoformes[6].

Caractéristiques communes

Exhumée à partir des années 1980 aux États-Unis par relecture des travaux anciens de Pierre Janet, la « dissociation » (ou « désagrégation ») rapidement rebaptisée « trouble dissociatif » et intégrée au DSM-III-R, repose encore entièrement sur la modélisation princeps du psychologue français, et fait l'objet, depuis, d'un engouement croissant dans la recherche clinique internationale hors de France. L'évolution actuelle de ce paradigme[7] consiste principalement à intégrer l'approche dynamique de Janet et l'apport des neurosciences cognitives (baser ses résultats sur ce qu'on connaît, aujourd'hui, des processus cognitifs sous-jacents, principalement dans le cadre d'approches modulaires) ; préciser les étapes du « traitement par phases » très spécifique de ces troubles, mis au point par Janet mais hélas insuffisamment documenté dans ses travaux ; préciser et développer la technique d'hypnose mise au point par Janet, principal outil thérapeutique de l'une des phases du traitement (le terme « hypnose », chez Janet et dans ce domaine actuellement, n'a pas la même signification qu'on lui attribue en dehors de ces recherches précises, dans d'autres domaines variés) ; enrichir la base du traitement par phase « janétien » par de multiples approches contemporaines compatibles, au premier rang desquelles les méthodes de cure psychosomatiques et plus récemment l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) dont l'efficacité pour ces troubles est expérimentalement prouvée sans qu'un accord définitif n'ait encore émergé sur les processus causaux ; faire progresser les classifications internationales (DSM et CIM) vers une plus grande unification étiologique et diagnostique des aspects variés de ces troubles, actuellement présentés de façon trop fragmentée (certains symptômes étant encore classés, dans ces manuels, en dehors du syndrome global comme des troubles disjoints[8]).

Le trouble dissociatif, chez Janet comme pour la recherche actuelle, consiste essentiellement en la dissociation de certaines fonctions et tendances du reste de la personnalité : des perceptions, souvenirs, fonctions organiques (vue, ouïe, faim, excrétion), mouvements, idées (représentations) ou émotions, cessent de pouvoir être rattachés au « moi ». Le sujet ne peut plus dire « moi, je… vois (ou entends, ou remue mon bras) », autrement dit il témoigne d'être devenu aveugle, sourd ou paralysé : ces fonctions sont dites « dissociées ». Contrairement aux maladies dégénératives, les fonctions dissociées restent en fait intactes, ce qui exige une grande précision de l'examen clinique. Plusieurs échelles[9] permettent d'évaluer le degré du trouble dissociatif chez les patients, dont une, la DES  encore extrêmement confidentielle en France  vient d'être traduite en français par une équipe canadienne[Quand ?][réf. nécessaire].

La dissociation des fonctions, si elle n'est pas traitée à temps, peut évoluer vers une aggravation dont le caractère est le suivant : en disparaissant une à une progressivement de la personnalité, les fonctions dissociées s'organisent petit à petit elles-mêmes en une seconde personnalité, par un processus ayant des analogies avec la formation de la personnalité de l'enfant (c'est-à-dire l'acquisition graduelle de nouvelles compétences rattachées à un « moi » de plus en plus affirmé). La seconde personnalité vide littéralement la première selon un processus de vases communicants : plus le patient perd de fonctions, donc d'autonomie, plus la seconde personnalité s'enrichit en « recueillant » ces compétences. Au terme de ce processus morbide, le sujet possède maintenant deux personnalités, dans le sens que chacun des deux groupes de fonctions, bien disjoints, peut exprimer un « moi » et dire « je ». Dans les cas les plus avancés, le patient devenu complètement dépendant sous sa première identité retrouve  logiquement  une personnalité et une autonomie quasi normale dans la seconde. Les deux personnalités  par définition  ne peuvent pas faire l'objet d'une prise de conscience simultanée par le sujet. La personnalité seconde se manifeste généralement par une crise soudaine qui efface totalement la première, le sujet ne conservant ensuite aucun souvenir de la crise (ce qui explique que les proches du malade s'aperçoivent souvent de son trouble avant lui, et soient les principaux prescripteurs d'une consultation thérapeutique). Dans certains cas toutefois, l'irruption de la seconde personnalité peut ne pas effacer la première conscience, et le sujet vit alors cette intrusion comme provenant d'un agent extérieur (avec lequel il peut parfois dialoguer). Ces aggravations spectaculaires sont évidemment bien plus rares que les formes où seules quelques fonctions étant dissociées, le patient garde une seule personnalité.

Les troubles dissociatifs ont la plupart du temps, comme Janet l'avait observé, une origine traumatique. Un viol, une catastrophe naturelle, un grave accident, un deuil, peuvent induire un épisode dissociatif. Dans cette configuration le patient sans antécédent recouvre généralement assez vite l'intégration de ses fonctions. Les recherches contemporaines ont toutefois précisé l'étiologie en établissant que le principal prédicateur d'un trouble dissociatif n'est pas le traumatisme occasionnel, mais le traumatisme chronique, surtout dans l'enfance.

Types

Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, il existe plusieurs types de troubles dissociatifs.

Amnésie dissociative

Article détaillé : Amnésie dissociative.
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L'amnésie dissociative est caractérisée par une incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants, habituellement traumatiques ou stressants, cette incapacité ne s'expliquant pas par une mauvaise mémoire.

Peut être généralisée (rare) ou localisée/sélective (période de temps ou certains aspects d'un événement). Habituellement à la suite de traumatisme(s). Plus fréquente chez les femmes.

Trouble dissociatif de l'identité

Article détaillé : Trouble dissociatif de l'identité.
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Le trouble dissociatif de l'identité (auparavant appelé personnalité multiple) est caractérisé par la présence de deux ou plusieurs identités ou « états de personnalité » distincts qui prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet, s'accompagnant d'une incapacité à évoquer des souvenirs personnels. Cette incapacité est trop importante pour s'expliquer par une mauvaise mémoire.

Dépersonnalisation

Article détaillé : Dépersonnalisation.
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Le symptôme principal est la sensation d'irréalité (détachement, impression d'être observateur, de ne pas être soi-même), l'impression d'étrangeté, de non-familiarité, perturbation de la perception (déréalisation). Expérience familière à plusieurs personnes, mais de façon fugitive. Associé à niveau de réaction émotionnelle réduit.

Trouble dissociatif non spécifié

Le trouble dissociatif non spécifié est un trouble dont la caractéristique principale est un symptôme dissociatif mais qui ne répond aux critères d'aucun des troubles dissociatifs spécifiques. Par exemple, états de dissociation chez les sujets qui ont été soumis à des manœuvres prolongées de persuasion coercitive (lavage de cerveau, redressement idéologique, endoctrinement en captivité).

Notes et références

  1. Janet, P. (1885) « Note sur quelques phénomènes de somnambulisme » Bulletin de la Société de Psychologie physiologique vol. 1, p. 24-32 & Revue Philosophique, vol. 21-1 (1886) p. 190-198.
  2. Janet, P. (1886) « Les phases intermédiaires de l'hypnotisme » Revue Scientifique (Revue Rose) 3e série, vol. 1 (vol. 23), p. 577-587.
  3. Janet, P. (1886) « Les actes inconscients et le dédoublement de la personnalité pendant le somnambulisme provoqué » Revue Philosophique vol. 22-III, p. 577-592 & American Journal of Psychiatry vol. 8, no 2, p. 209-234.
  4. Janet, P. (1887) « L'anesthésie systématisée et la dissociation des phénomènes psychologiques » Revue Philosophique vol. 23-1, p. 449-472.
  5. Lazignac C., Cicotti A., Bortoli A-L., Kelley-Puskas M., Damsa C. (2005) « Des états dissociatifs vers une clinique des troubles dissociatifs » Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique, Volume 163, no 10, p. 889-895.
  6. « Trouble dissociatif : une clinique à l’interface de la neurologie et de la psychiatrie », sur http://www.revmed.ch, (consulté le 28 août 2015).
  7. (en) Van der Hart O., Nijenhuis E., Steele K. (2006) The Haunted Self: Structural Dissociation and the Treatment of Chronic Traumatization, Norton.
  8. Van der Hart O., Nijenhuis E., Steele K. (2005) « Dissociation: An Insufficiently Recognized Major Feature of Complex PTSD » Journal of Traumatic Stress, volume 18, no 5, p. 413-423. (en ligne).
  9. (en) DES (Dissociative Expérience Scale), DQ (Dissociation Questionnaire), DDIS (Dissociative Disorder Interview Schedule), SCID-D-R (The Structured Clinical Interview for DSM-IV Dissociative Disorders-Revised), SDQ-5 & SDQ-20 (Somatoform Dissociation Questionnaire), TEC (Traumatic Experiences Checklist).

Voir aussi

Liens externes

  • ISSTD (International Society for the Study of Trauma and Dissociation).
  • ESTD (European Society for Trauma and Dissociation).
  • ISTSS (International Society for Trauma and Stress Studies).
  • ESTSS (European Society for Trauma and Stress Studies).
  • Institut Pierre Janet.
  • Psychomédia.
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