Iridocyclite hétérochromique de Fuchs

L’iridocyclite de Fuchs ou cyclite de Fuchs est une pathologie de l’œil due à une inflammation chronique de l'iris (iritis) et du corps ciliaire (cyclite). C'est une variété d'uvéite antérieure, dite de Fuchs lorsqu'il y a atrophie et décoloration de l'iris, présence d'une cataracte, ainsi qu'une hyalite[1]. Elle se distingue aussi par l'absence de synéchies (fusions cicatricielles de tissus) [2].

L'étiologie est encore incertaine, mais la piste virale est fortement suspectée, principalement le virus de la rubéole [3],[4],[5].

Caractéristiques générales

Cette uvéite particulière porte le nom de l’ophtalmologue autrichien Ernst Fuchs (1851 - 1930) qui fut le premier à en décrire le syndrome (hétérochromie irienne + cataracte + uvéite) en 1906 [6]. Dans cette maladie, ce sont essentiellement les réactions immunitaires inflammatoires récidivantes et leurs conséquences indirectes qui endommagent l’œil. Les lésions et leurs gravités dépendent de la fréquence, de la durée, de l'intensité et du siège des réactions inflammatoires.

Bien que de faible prévalence, cette pathologie n'est pas si rare : autour de 1 % de la population française, 1 à 17 % en Europe, 2 à 7 % en Amérique du Nord, 8 % en Amérique du Sud, 3 à 6 % en Asie, 7 % en Australie, pas de données pour l'Afrique[2].

Il n'y a pas de prédilection ethnique ou sexuelle[7]. Elle se manifeste généralement chez le jeune adulte.

Elle peut concerner un seul œil ou bien les deux, toutefois 90 % sont unilatérales [1]. Les inflammations se répètent régulièrement à bas bruits. Insidieuses, elles passent inaperçues en début de maladie, parfois dès l'enfance, mais elles sont entrecoupées d’épisodes ponctuellement plus aigus.

Les signes cliniques de l'irritation sont tout ou partie : une baisse de l'acuité visuelle (impression de flou), des rougeurs dans le blanc de l’œil, un aspect délavé de l'iris, des larmoiements, une sensibilité à la lumière, des douleurs chaudes et sourdes autour de l’œil. La durée d'une uvéite est variable allant de plusieurs heures à plusieurs jours. La cyclite hétéochromique de Fuchs ne répond pas aux corticoïdes qui en plus d’être inefficaces provoquent au long cours le glaucome et la cataracte[8]. Ce n'est généralement qu'après des années d’évolution que des signes spécifiques retiennent l'attention et mènent au diagnostic.

Étiologie

La ou les causes responsables du syndrome de Fuchs sont scientifiquement non élucidées. À noter qu'Ernst Fuchs pensait déjà à l'effet d'un agent nocif pathogène contracté pendant la formation du fœtus et activant secondairement une réponse immunitaire[6].

En Europe, depuis une quinzaine d'années, après avoir longtemps pensé à une maladie auto-immune, une forte suspicion pèse sur l'agent responsable de la rubéole. Nombres d'études mettent en avant une association avec le syndrome de Fuchs :

  • 2015[9] : une étude portant sur un patient de 73 ans ayant contracté les premiers symptômes de la maladie à l'âge de 14 ans aux États-Unis, met en évidence la présence d'une variété atypique du virus de la rubéole dans l'humeur aqueuse. Après amplification par la technique RT-PCR, une séquence de 739 nucléotides de ce virus est singularisée. Les analyses génétiques prouvent qu'il s'agit d'une variété ancienne du virus de la rubéole encore inconnue, seule membre d'une nouvelle catégorie phylogénétique créée pour l'occasion.
  • 2013[10] : une étude anglaise sur un patient de 28 ans présentant un syndrome de rubéole congénitale (SRC) avéré et une cyclite de Fuchs met en évidence la persistance et l'activité du virus de la rubéole par des mesures d'ARN et d’immunoglobuline (taux élevé) dans l'humeur aqueuse. Elle démontre ainsi que le syndrome de Fuchs pourrait bien être une conséquence tardive du SRC ;
  • 2014[11] : une étude française conclut à l'intérêt décisif de la sérologie intra-oculaire rubéolique dans le diagnostic de la cyclite de Fuchs malgré un tableau clinique incomplet.
  • 2012[12] : décembre : une étude slovène porte sur douze patients diagnostiqués avec une cyclite de Fuchs, et douze autres atteints d'uvéites antérieures idiopathiques. Les résultats explicites plaident en faveur de l'implication du virus dans la pathogenèse de Fuchs. Onze des douze “Fuchsiens” sont positifs à la synthèse intraoculaire d'anticorps spécifiques antirubéoliques. Le dernier “Fuchsien” présente, en plus des anticorps anti-rubéole, des anticorps contre la varicelle. Tous les autres patients sont négatifs ;
  • 2012[13] : en Asie, une étude thaïlandaise, axée sur trente patients atteints d’uvéite antérieure idiopathique conclut : « […] Le syndrome de Fuchs peut être causé à la fois par le virus CMV et la rubéole. » Toutefois le seul cas de CMV relevé sur les six “Fuchs” de l'étude n'a pas pu subir d'analyse moléculaire rubéolique ;
  • 2007[14] : une enquête épidémiologique aux États-Unis portant sur 3,856 patients vus entre 1985 et 2005 soutient une corrélation entre le virus de la rubéole et la cyclite de Fuchs. En effet, la cyclite de Fuchs est moins fréquente chez les patients nés depuis l'introduction du programme de vaccination contre la rubéole aux États-Unis en 1969, avec une augmentation correspondante du pourcentage de cas nés à l'étranger ;
  • 2006[3] : De Groot-Mijnes et son équipe mesurent dans l'humeur aqueuse de 38 patients ayant le syndrome de Fuchs, les taux d'immunoglobuline anti rubéole, Herpes simplex, varicelle et Toxoplasma gondii. Ils concluent que seule la rubéole parmi les autres pathogènes étudiés peut être associée à la cyclite hétérochromique de Fuchs ;
  • 2003 : Claus D Quentin et Hansotto Reiber concluent une étude faite sur 54 personnes : « La cyclite hétérochromique de Fuchs est une pathologie pilotée par le virus de la rubéole avec une persistance préférentielle détectée du virus chez les personnes jeunes. Ce diagnostic est soutenu par une mesure de taux élevés des anticorps anti-rubéoliques de l'humeur aqueuse. L'origine virale de la pathologie expliquerait sa cortico-résistance[15]. »

Symptomatologie

Les précipités rétro-cornéens (effet Tyndall)

Physiologie de humeur aqueuse

L'humeur aqueuse est un liquide transparent fluide qui remplit l'espace allant de la cornée au cristallin (elle occupe les deux chambres). Elle se compose à plus de 99 % d'eau ainsi que de vitamines, d'ions, de glucose en faible concentration. Elle est régulièrement renouvelée en 2-3 heures par le corps ciliaire (filtrage capillaire du sang + osmose plasmatique).

Rôle de l'humeur aqueuse

Par sa composition, elle alimente le cristallin en nutriments ; elle sert aussi à réguler la pression de l’œil, contribuant avec le vitré à la tension oculaire.

Pathologie

Dans le contexte des uvéites antérieures, pas seulement de Fuchs, des protéines et des cellules (lymphocytes, polynucléaires, plasmocytes, macrophages), passent les barrières naturelles de clivage (barrière hémato-aqueuse), et se retrouvent dans l'humeur aqueuse en plus des cellules pigmentaires iriennes. Celle-ci se charge de micro-particules flottantes en quantité parfois importante (jusqu'à g contre 25 mg/100ml normalement) qui dérivent au gré des courants de drainage et de convection locale[16].

On les observe à la lampe à fente sous forme de poussières. L'humeur aqueuse ainsi chargée en colloïdes perd de sa transparence optique, devenant opalescente par phénomène de diffusion (de Rayleigh). La charge en corps flottant témoigne directement de la poussée inflammatoire et de son intensité que l'on qualifie sur une échelle de 0 a 4+, grâce à l'effet Tyndall, et au flare (reflet du taux de protéines). Lors de poussées inflammatoires ce phénomène optique dégrade la qualité visuelle autour des sources lumineuses, sans possibilité de correction directe.

Lorsque la poussée inflammatoire est aiguë, des cellules inflammatoires finissent par s’agglomérer et se déposent sur tout ou partie de la surface postérieure cornéenne.

Atrophie et décoloration de l'iris

Anatomie de l'iris

L'iris est une membrane organique en forme de disque, perforée au centre par la pupille. Il siège entre la cornée et le cristallin, baignant dans un liquide transparent régulièrement renouvelé, l'humeur aqueuse. Il sépare les chambres antérieure et postérieure de l’œil. On lui distingue 3 grandes structures : L'épithélium postérieur (composé de cellules pigmentées susceptibles d’accolement avec le cristallin), la couche stromale (faite de collagène, de cellules pigmentées, de vascularisation et d'innervation), enfin la couche antérieure prolongement de la couche stromale (intrication de collagène, de fibroblastes et de mélanocytes pigmentaires). C'est cette dernière et fine couche visible, qui est responsable de la couleur de l'iris.

Hétérochromie irienne de Fuchs à maturité, heterochromia iridis (ou heterochromia iridum), yeux vairons.

Rôle de l'iris

Il sert de diaphragme au système optique oculaire en modifiant la quantité de lumière qui pénètre la pupille. Pour cela il dispose de 2 muscles lisses antagonistes : le sphincter pupillaire, circulaire responsable de la contraction (le myosis) ; et le radial dilatateur gérant la mydriase.

Pathologie

Les inflammations successives entament la couche mélanocytaire, la détruisant progressivement. Le renouvellement pigmentaire finit par s’arrêter et l'iris change de couleur. À maturité, il prend définitivement une couleur bleu-gris. Lorsque ce symptôme est unilatéral on parle d'hétérochromie irienne de Fuchs. Attention un œil non dépigmenté n'est pas forcément épargné.

De plus l'iris s'atrophie, (particulière son sphincter), c'est-à-dire qu'il perd de son volume.

Cataracte

Anatomie du cristallin

Le cristallin est une petite lentille organique transparente biconvexe située derrière l'iris, dont les extrémités sont reliées au corps ciliaire (zonule) par des fibrilles ligamentaires. Sa face antérieure assez plane reste en contact avec l'humeur aqueuse malgré la forte proximité de l'iris. La face postérieure, plus bombée, côtoie le vitré (une masse gélatineuse qui remplit le globe oculaire). Il n'est ni innervé ni vascularisé. Ses cellules oblongues, vides d'organelles et remplies d'une solution protéique (la cristalline) sont d'une grande longévité. Il se structure en couches concentriques empilées par ancienneté (noyau, cortex, capsule). Son métabolisme nutritif est assuré grâce à l'humeur aqueuse.

Rôle du cristallin

Par sa plasticité il permet l'accommodation de la vue en modifiant sa courbure. Ainsi il s'apparente à une lentille d'indice de réfraction variable afin d'obtenir une image nette sur la rétine.

Pathologie

Dans quasiment 100 % des cas, une cataracte sans morphologie spécifique s'installe graduellement [17] dans la zone sous capsulaire postérieure [1]. Le cristallin se voile partiellement. Elle s'opère facilement en chirurgie ambulatoire mais après plusieurs années une cataracte secondaire se développe sur la capsule restée en place. Celle-ci se traite au laser YAG. La survenue de la cataracte est imputable à la modification de l'humeur aqueuse, contaminée par de nombreuses impuretés issues de l'inflammation.

Opacification du vitré

Physiologie du vitré

Le vitré, l'humeur vitrée ou le corps vitré est une masse gélatineuse et transparente qui remplit l’œil en arrière du cristallin. Elle est contenue dans un sac transparent : la hyaloïde en contact avec la rétine.

Rôle du vitré

La pression qu'elle exerce sur les parois permet de maintenir la forme nécessaire au globe oculaire pour un bon fonctionnement. Elle sert aussi à maintenir la rétine contre le globe oculaire.

Pathologie

Les inflammations récidivantes de l’enveloppe du vitré (hyalite) provoquent une sensation de brouillard et l'apparition de corps flottants dans le champ de vision ou myodésopsies (ombres noires : points, pelotes, filaments, toiles d'araignée). De plus en vieillissant le vitré perd certaines de ses caractéristiques (consistance, uniformité), générant des opacifications par épaississement local de sa structure, ou lors de son décollement pariétal avec la rétine (notamment avec la tête du nerf optique). Les traitements possibles sont le recollement du vitré ou bien la vitrectomie si les opacités sont importantes.

Glaucome

Circulation de l'humeur aqueuse

L'humeur aqueuse produite par le corps ciliaire passe par les fibres de la zonule, chemine ensuite entre l'iris et le cristallin (rétrécissement), contourne l'iris en traversant la pupille avant de s’évacuer par le canal de Schlemm via le trabéculum un filtre de collagène. Lors de son parcours intra-oculaire, elle est donc amenée à franchir des goulots et des filtres.

Rôle de l'humeur aqueuse

Elle régule la pression de l’œil, contribuant avec le vitré à la tension oculaire.

Pathologie

Un écoulement entravé de l'humeur aqueuse, rompt l'équilibre hydrodynamique. La pression oculaire augmente plus ou moins fortement selon le degré d'obturation. C'est le glaucome, une hypertonie dite à angle fermé s'il y a accolement de l'iris et du cristallin, à angle ouvert si c'est le trabéculum qui se bouche d'impuretés. La hausse de la pression gène la vascularisation de la tunique sensorielle et nerveuse. Cette détériorant de la trophicité peut aboutir à une nécrose des tissus, et donc à une cécité. Les mesures de tension sont nettement supérieures à 20 mmHg, parfois voisines de 30. Comme pour le fond d’œil, la tension oculaire est régulièrement à contrôler.

Notes et références

  1. These : STRATEGIES DIAGNOSTIQUE ET THERAPEUTIQUE DES UVEITES EN OPHTALMOLOGIE A HSR A PROPOS DE 176 CAS Auteurs : LAKHADER ZAKARIA, publication : 2008
  2. Epidemiologie et diagnostic de l'uvéite Veit Sturm, Fabio Meier, feuillet 1014
    Cabinet forum Med Suisse 2007
  3. De Groot-Mijnes et al Am J Ophtalmology, 2006, 141, 212.
  4. Intérêt de la sérologie Rubéolique intra-oculaire pour le diagnostic de formes atypiques de cyclite de Fuchs
    A. Bouillot, A. Fel, V. Touitou, P. Lehoang, F. Rozenberg, B. Bodaghi 2013
  5. Barham Bodaghi, Valérie Touitou, « Uvéites antérieures virales : nouveautés diagnostiques et thérapeutiques » Réflexions ophtalmologiques 2007;12(104):19-20.
  6. Syndrome uvéitique de Fuchs chez une patiente porteuse d'une toxoplasmose oculaire
    E. Parrat, D. Brousse, P. Cousin, F. L'herron, S. Touameur, D. Charpentier, T. David
    Service d'Ophtalmologie, CHU de Pointe à Pitre.
  7. Arif M. Fuchs heterochromic uveitis. 20 avril 2010.
  8. Réflexions ophtalmologiques no 104 -Tome 12 - avril 2007 - page 17. Barham Bodaghi, Valérie Touitou
  9. Genomic characterization of a persistent rubella virus from a case of Fuch' uveitis syndrome in a 73 year old man. Abernathy E1, Peairs RR2, Chen MH3, Icenogle J4, Namdari H5. Juin 2015
  10. (en) Winchester SA, Varga Z, Parmar D, Brown KE, « Persistent Intraocular Rubella Infection in a Patient with Fuchs' Uveitis and Congenital Rubella Syndrome » J Clin Microbiol. 2013;51(5):1622-4. PMID 23426927 DOI:10.1128/JCM.03239-12
  11. A. Bouillot, A. Fel, V. Touitou, P. Lehoang, F. Rozenberg, B. Bodaghi, « Intérêt de la sérologie rubéolique intra-oculaire pour le diagnostic de formes atypiques de cyclite de Fuchs » congrès SFO 2013.
  12. (en) Stunf S, Petrovec M, Žigon N, Hawlina M, Kraut A, de Groot-Mijnes JD, Valentinčič NV, « High concordance of intraocular antibody synthesis against the rubella virus and Fuchs heterochromic uveitis syndrome in Slovenia » Mol Vis. 2012;18:2909-14. PMID 23233792
  13. (en) Kongyai N, Sirirungsi W, Pathanapitoon K, Tananuvat N, Kunavisarut P, Leechanachai P, de Groot-Mijnes JD, Rothova A, « Viral causes of unexplained anterior uveitis in Thailand » Eye (Lond). 2012 Apr;26(4):529-34. PMID 22241022 DOI:10.1038/eye.2011.363
  14. (en) Birnbaum AD, Tessler HH, Schultz KL, Farber MD, Gao W, Lin P, Oh F, Goldstein DA, « Epidemiologic relationship between Fuchs heterochromic iridocyclitis and the United States rubella vaccination program » Am J Ophthalmol. 2007 Sep;144(3):424-428. PMID 17631266 DOI:10.1016/j.ajo.2007.05.026
  15. (en) Claus D Quentin et Hansotto Reiber, « Fuchs heterochromic cyclitis: rubella virus antibodies and genome in aqueous humor » Am J Ophtalmol. 2004;138(1):46-54. PMID 15234281 DOI:10.1016/j.ajo.2004.02.055
  16. Le profil épidémiologique des uvéites (à propos de 201 cas), LABBIOUI Rania, These 11 mars 2010
  17. Cataracte (58) B. Ridings et O. Forzano Novembre 2005 Faculté de Médecine de Marseille, DCEM 2 – Module no 5
  • Portail de la médecine
  • Portail de l’œil et de la vue
This article is issued from Wikipedia. The text is licensed under Creative Commons - Attribution - Sharealike. Additional terms may apply for the media files.