Paraphilie
Une paraphilie, (du grec para- [παρά], « auprès de, à côté de » et -philia [φιλία], « amour ») est une attirance ou pratique sexuelle qui diffère des actes traditionnellement considérés comme « normaux »[1] ; les pratiques que la loi proscrit sont classées comme des délits ou des crimes sexuels dans différents pays.
Spécialité | Psychiatrie, psychologie et psychothérapie |
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CIM-10 | F65 |
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CIM-9 | 302.0 |
MeSH | D010262 |
Ce terme de paraphilie est utilisé par certains milieux psychiatriques aux États-Unis à la place du mot perversion, considéré comme péjoratif ; il a été forgé par Friedrich Salomon Krauss (en) en 1903[2].
Le sexologue néo-zélandais John Money l’a popularisé dans les années 1970 en tant que désignation non péjorative pour classifier « les intérêts sexuels inhabituels »[3],[4],[5],[6].
Il décrit la paraphilie comme un « embellissement sexo-érotique, ou alternative à la norme officielle idéologique »[7].
Avant l'introduction du terme paraphilie dans le DSM-III (1980), le terme déviance sexuelle était utilisé pour classifier la plupart des paraphilies dans les deux premières éditions du manuel[8] American Journal of Psychiatry[9] décrivant les paraphilies en tant que « fantaisie, désir ou comportement sexuellement intense » incluant notamment et généralement des anomalies telles que l'exhibitionnisme, l'utilisation d'objets inanimés, le non-consentement d'une personne et, donc, le viol, le fétichisme, le frotteurisme, la pédophilie, le masochisme et le sadisme sexuel, le transvestisme fétichiste ou le voyeurisme, d'un côté pathologique avéré.
Les paraphilies doivent être distinguées notamment des problèmes psychiques et comportementaux associés au développement sexuel et à l'orientation sexuelle, ou des dysfonctionnements sexuels.
Généralité
Liste des paraphilies
Aujourd'hui, le DSM liste huit paraphilies majeures[10],[11]. Selon cet ouvrage, pour qu'une paraphilie soit diagnostiquée, l'objet de la déviance doit être la seule source de gratification sexuelle pendant une période d'au moins six mois et doit causer « une détresse clinique notable ou un handicap dans le domaine social, professionnel ou autres domaines fonctionnels importants », ou impliquer une violation du consentement d'autrui[12]. Le DSM classe également une large liste des paraphilies.
Perceptions cliniques
Principe contestable
Apparu dans le volumineux ouvrage de Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) dans Psychopatia sexualis (1886), l’idée même d’une systématique du comportement sexuel s’apparentant à la notion de perversion est aujourd’hui très contestée : le « véritable » paraphile devant a fortiori, en tant que psychopathe/sociopathe, satisfaire l'objet de sa déviance pour s’exciter sexuellement.
La question de la paraphilie peut être abordée sous l’angle social et ses limites s’intègrent à une interrogation juridique. Le philosophe Michel Onfray, dans son ouvrage intitulé Le souci des plaisirs. Construction d'une érotique solaire[13], propose de contrer cette démarche en se réorientant sur la notion de contrat intersubjectif s’approchant de celle adoptée par Charles Fourier en 1817 dans Le Nouveau Monde amoureux : l’utopiste admet qu’il existe une infinité de sexualités et de fantasmes mais que les individus peuvent « compléter » tout en sachant que « ce qui fait plaisir à plusieurs personnes sans préjudicier à aucune est toujours un bien sur lequel on doit spéculer en Harmonie, où il est nécessaire de varier les plaisirs à l’infini »[réf. souhaitée].
Toutes les paraphilies ont cependant un dénominateur commun : il s’agit dans tous les cas d’une pulsion sexuelle nécessitant un passage à l’acte pour faire disparaître une tension. Il est important de distinguer parmi les paraphilies celles dont le passage à l’acte constitue nécessairement une atteinte à l’intégrité d’autrui, comme la pédophilie, l'exhibitionnisme sans consentement, par exemple. Denise Medico, sexologue clinicienne, enseignante à l’Université de Genève, a analysé les mécanismes qui permettent de distinguer parmi les paraphilies celles qui ont le caractère d’une perversion sous-tendue par la haine (notamment la pédophilie) et celles qui constituent, selon elle, un mécanisme de défense exempt de perversité en réponse à un traumatisme subi dans l’enfance (le fétichisme par exemple)[14],[15][réf. insuffisante].
Beaucoup de communautés paraphiles, en particulier fétichistes et BDSM, considèrent l'étrangeté des pratiques sexuelles comme purement subjective et dépendante du contexte sociétal, et se basent sur des critères plus pragmatiques tels que le respect, le consentement mutuel et la gestion éclairée des risques pour juger une pratique.
Critères diagnostiques (DSM)
DSM-I et DSM-II
Dans la psychiatrie américaine, avec la première publication du DSM-I, les paraphilies étaient classées en tant que « personnalité psychopathes avec sexualité pathologique ». Le DSM-I (1952) inclut la déviation sexuelle en tant que trouble de la personnalité de sous-type psychopathe. La spécificité des troubles devaient être classifiée en tant que « terme supplémentaire » aux diagnostics des déviations sexuelles ; ces exemples de terme supplémentaire du DSM-I incluent homosexualité, travestisme, pédophilie, fétichisme et sadisme sexuel. Il n'y avait aucune restriction dans le DSM-I sur ce que pouvait être ce terme supplémentaire[16].
Le DSM-II (1968) a maintenu l'utilisation du terme « déviations sexuelles », mais ne les assigne plus aux troubles de la personnalité, le catégorisant plutôt sous le terme de « troubles de la personnalité et certains autres troubles mentaux non psychotiques ». Les types de déviations sexuelles listés dans le DSM-II étaient : troubles de l'identité sexuelle (homosexualité), fétichisme, pédophilie, travestisme, exhibitionnisme, voyeurisme, sadisme, masochisme et « autre déviation sexuelle ». Aucune définition ou aucun exemple était donné pour la catégorie « autre déviation sexuelle », mais la catégorie générale de « déviation sexuelle » décrivait la préférence sexuelle des individus qui étaient « attiré par les objets plutôt que par les individus du sexe opposé, actes sexuels nécessairement pas associés au coït, ou envers les coïts de circonstances bizarres, comme la nécrophilie, pédophilie, sadisme sexuel et fétichisme »[17]. À l'exception de la suppression de l'homosexualité dans le troisième ouvrage du DSM (DSM-III), cette définition générale a défini d'autres types de paraphilies dans les éditions du DSM, jusqu'au DSM-IV-TR[18].
DSM-III et DSM-IV-TR
Le terme « paraphilie » a été intronisé dans le DSM-III (1980) en tant que nouvelle catégorie des « troubles psychosexuels ». Les types de paraphilies listés étaient : fétichisme, travestisme, zoophilie, pédophilie, exhibitionnisme, voyeurisme, masochisme sexuel, sadisme sexuel et « paraphilie atypique ». Le DSM-III-R (1987) renomme cette catégorie en « troubles sexuels », paraphilie atypique en « paraphilie non spécifiée », affine la définition du travestisme en « travestissement fétichiste », ajoute frotteurisme et supprime zoophilie, le classant dans les paraphilies non spécifiées. Il classe également sept autres exemples de paraphilies non spécifiées, qui, parmi la zoophilie, incluent scatologie téléphonique, nécrophilie, partialisme, coprophilie, klysmaphilie et urophilie[19].
Le DSM-IV (1994) retient la classification des troubles sexuels pour les paraphilies, mais ajoute également la catégorie « troubles de l'identité sexuelle et des genres », qui les classifient. Le DSM-IV retient les mêmes types de paraphilies listés dans le DSM-III-R, incluant les exemples non spécifiées et intronisant certains changements aux définitions de types spécifiques[18].
Les paraphilies sont définies par le DSM-IV-TR comme troubles sexuels caractérisés par des « comportements intenses et récurrents sexuellement fantaisistes, des grandes envies sexuelles impliquant généralement (1) objets inanimés, (2) souffrance et humiliation de soi ou d'un partenaire (3) enfants ou autre personne non consentante durant une période de plus de 6 mois (Critère A), qui peut « cliniquement causer une détresse sociale, d'occupation, ou autre zone importante du fonctionnement » (Critère B). Le DSM-IV-TR décrit 8 troubles spécifiques de ce type (exhibitionnisme, fétichisme, frotteurisme, pédophilie, masochisme sexuel, sadisme sexuel, voyeurisme et travestissement fétichiste) parmi une neuvième catégorie, paraphilie non spécifiée[20]. Le Critère B diffère de l'exhibitionnisme, du frotteurisme et de la pédophilie pour inclure l'acte de ses besoins, et du sadisme, acte de ses besoins sur une personne non consentante[21].
Certaines paraphilies peuvent interférer lors de relations sexuelles avec des partenaires consentants[22]. D'après le DSM, « les paraphilies ne sont presque jamais diagnostiquées chez les femmes »[22], mais certaines études sur les femmes ayant une ou plusieurs paraphilies ont été publiées[23].
Le DSM inclut les critères pour ces paraphilies :
- Exhibitionnisme - besoin ou comportement actuel d'exposer ses parties génitales à d'autres personnes ou d'agir sexuellement en public.
- Fétichisme sexuel - utilisation d'objets inanimés pour gagner une excitation sexuelle. Le partialisme se réfère au fétichisme d'une partie spécifique du corps.
- Frotteurisme - besoin ou comportement actuel de toucher ou se frotter contre une personne non consentante.
- Pédophilie - préférence sexuelle pour les enfants [24].
- Masochisme sexuel - besoin ou comportement actuel de recherche d'humiliation, d'être tapé, soumis ou de souffrir en tant que plaisir sexuel.
- Sadisme sexuel - besoin ou comportement actuel de recherche de souffrance sur une autre personne en tant que plaisir sexuel.
- Travestissement fétichiste : attirance dans le port des vêtements du sexe opposé[22],[25]
- Voyeurisme : besoin ou comportement actuel d'observer un individu non suspicieux nu, dénudé ou engageant des rapports sexuels[26],[27].
D'autres paraphilies non spécifiées incluent scatologie téléphonique, nécrophilie, partialisme, zoophilie, coprophilie, klysmaphilie, urophilie, émétophilie. Les paraphilies du DSM sont équivalentes à la section des « troubles sexuels non spécifiés » du CIM-9.
Le comportement sexuel en association avec des objets désignés en tant que plaisir sexuel n'est pas diagnostiqué dans le DSM-IV (DSM, p. 570)[22].
Intensité et spécificité
Les cliniciens distinguent à travers les paraphilies optionnelles, préférées et exclusives[22], que la terminologie n'est pas complètement normalisée. Une paraphilie « optionnelle » est un moyen alternatif à l'attirance sexuelle. Par exemple, un homme ayant des intérêts sexuels autrement sans particularité pourrait parfois chercher ou intensifier son excitation sexuelle en portant des sous-vêtements féminins. Dans les paraphilies préférées, un individu préfère la paraphilie aux activités sexuelles, mais s'engage quand même dans des relations sexuelles. Par exemple, un homme peut préférer porter des sous-vêtements féminins durant ses activités, dès que possible. Dans les paraphilies exclusives, un individu est incapable d'être excité en l'absence de la paraphilie.
Traitements
Le traitement des paraphilies et autres troubles liés ont été testés par les patients et cliniciens. Auparavant[Quand ?], la castration chirurgicale était considérée comme thérapie pour les hommes atteints de pédophilie, mais elle a été abandonnée car certains gouvernements considéraient cette méthode comme étant cruelle, d'autant plus que l'accord et le consentement de l'individu ne sont objectivement pas indiqués. Les thérapies de groupe et la pharmacothérapie (incluant le traitement hormonal anti-androgène souvent considérée comme « castration chimique ») ont été utilisés. D'autres traitements médicamenteux pour ces troubles existent cependant[28].
Histoire
La normalité et anormalité, la santé et la maladie se définissent à partir d'un modèle de référence qui est considéré comme étant représentatif de la normalité. Mais ces modèles référents ne sont pas toujours explicites, et changent suivant les époques, les cultures et les sociétés. Dans les sociétés traditionnelles, le référent est parfois élaboré à partir d'une analyse simple de ce qui est observé. Par exemple, le baiser est contre nature puisque la bouche, avec les dents, est faite pour manger et pas pour la sexualité. La sodomie est dégoûtante puisque l'anus contient des excréments dégoûtants. Les activités oro-génitales sont condamnées à cause du goût et de l'odeur désagréable des organes génitaux[29].
Dans l'Antiquité grecque, la bisexualité était la norme : les hommes entretenaient des relations homosexuelles comme une vie hétérosexuelle de famille. De même, dans l'Antiquité romaine, la principale référence était la virilité (et pas l'hétérosexualité). La société condamnait le fait d'être passif, c'est-à-dire être au service de l'autre. Ce rôle n'était concevable que pour une personne de rang inférieur. Sénèque notait que « la passivité est un crime chez un homme de naissance libre ; chez un esclave, c'est son devoir le plus absolu[30] ». À partir de cette référence de virilité, toutes les activités sexuelles où l'homme est actif sont « normales » : avec l'épouse, avec une maîtresse, avec « l'esclave, homme ou femme »[31]. Pour les Romains, il existait également des activités sexuelles qui étaient contraires à leurs représentations culturelles de la « nature ». Ces activités « contre nature » étaient : « la bestialité, la nécrophilie et les unions avec les divinités »[31].
Au XIXe siècle, le modèle de référence était l'« instinct sexuel » : toute activité sexuelle qui ne permettait pas la reproduction, c'est-à-dire qui n'était pas directement liée au coït vaginal, était considérée comme une perversion : par exemple la sodomie, les activités oro-génitales ou les activités sexuelles entre personnes de même sexe ou impubères[32].
Au début du XXe siècle, c'est principalement le modèle psychanalytique qui permettra de sortir les perversions sexuelles des systèmes moraux et classificateurs en vue jusqu'alors. C'est notamment avec le livre de 1905 de Sigmund Freud les Trois essais sur la théorie sexuelle[33] que la théorie psychanalytique prendra ses assises. Le fondateur de la psychanalyse postule que la sexualité humaine est par nature opposée aux principes d'autoconservation et que celle-là sera en quelque sorte domptée par les exigences de la vie en société. C'est ainsi qu'il parlera de « l'enfant pervers polymorphe » dans la mesure où pour lui toute source de plaisir constituera un but. C'est l'évolution, notamment de la sublimation, qui lui permettra de convertir cette libido en pulsion épistémophilique ou, par les ratés d'une fixation, conduira à une perversion stable.
À la fin du XXe siècle, à partir de la neurologie et d'un consensus entre experts psychiatriques, est élaboré une nouvelle référence, le DSM. Mais des facteurs socio-culturels continuent d'influencer ce qui est considéré comme normal ou pathologique. Par exemple, c'est après une rencontre entre les rédacteurs du DSM et des activistes homosexuels que l'homosexualité n'a plus été considérée comme une maladie[34]. Et c'est après le phénomène culturel de la révolution sexuelle que plusieurs paraphilies ont été supprimées du DSM.
Dans les années 2000, les recherches en neurosciences ont montré que chez l'être humain (et le chimpanzé, le bonobo, l'orang outan et le dauphin), le comportement sexuel n'est plus un comportement de reproduction, mais devient un comportement érotique[35]. Au cours de l'évolution, l'importance et l'influence des hormones[36] et des phéromones[37],[38] sur le comportement sexuel a diminué. Or, chez les mammifères les plus simples, ce sont les phéromones qui sont à l'origine de l'hétérosexualité[39]. Au contraire, l'importance des récompenses / renforcements est devenue majeure[40]. Chez l'être humain, le but du comportement sexuel n'est plus le coït vaginal mais la recherche des plaisirs érotiques, procurés par la stimulation du corps et des zones érogènes, et peu importe les caractéristiques du ou des partenaires[41].
En fonction de ce modèle, où les récompenses sont le principal facteur du comportement sexuel[40], les problèmes et les pathologies de la sexualité ne se situent plus au niveau des activités (peu importe le moyen du plaisir érotique), mais au niveau du dysfonctionnement des processus de la récompense (hypo ou hypersexualité, dépendance sexuelle), au niveau de la relation entre les partenaires (agressions physiques ou psychologiques), et au niveau des croyances sociales particulières et infondées (contexte culturel induisant, par exemple, la culpabilité pour la perte de la virginité, la pratique de la sodomie ou de la masturbation)[40],[42].
En conclusion, en comparant les époques et les sociétés, on remarque que les modèles de référence changent et ne sont pas toujours explicites ou décrits avec précision, pour plusieurs raisons : par exemple, au début du XXe siècle, le concept d'« instinct » perd de sa précision scientifique, les mœurs sexuelles et la morale changent au cours du temps, et les connaissances concernant la sexualité humaine sont partielles et évoluent constamment. Au XXIe siècle, ce qui est considéré comme normal ou pathologique dépend encore, en partie, de l'état des connaissances et du contexte culturel.
En dernière analyse, au-delà des croyances culturelles, le diagnostic de la pathologie sexuelle devrait se faire à partir de la connaissance de la sexualité. Mais paradoxalement, au XXIe siècle, époque de la science et de la technologie, il n'existe guère de structures institutionnelles dont l'objectif est de comprendre la sexualité humaine[43]. L'analyse de Denise Medico, comme précédemment citée, sur les concepts de paraphilie et de perversion permet de dépasser cette interrogation en distinguant parmi les paraphilies celles qui se cantonnent à la sphère intime et celle qui impliquent une menace pour autrui.
Notes et références
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- Voir l'article sexologie, section « problèmes actuels ».
Voir aussi
Bibliographie
- Gérard Bonnet, Les perversions sexuelles: « Que sais-je ? » no 2144, PUF, 2012.
- Julie Mazaleigue-Labaste, Les Déséquilibres de l'amour : La genèse du concept de perversion sexuelle, de la Révolution française à Freud, Ithaque, 2014.
Articles connexes
- Développement humain
- Norme sexuelle
- Psychologie du développement
- 8 millimètres (1999), film réalisé par Joel Schumacher.
Liens externes
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