Apothicaire
Les apothicaires et apothicairesses étaient les précurseurs des pharmaciens. Ils préparaient et vendaient des breuvages et des médicaments pour les malades. « Apothecarius » vient du latin[1] et signifie « boutiquier » ce qui correspondait essentiellement aux pratiques des XIIIe et XIVe siècles, où la boutique était l'élément qui différenciait le commerçant sérieux du charlatan[2] de passage. La profession s'autonomisa au XVIIIe siècle et l’apothicairerie fut progressivement remplacée par la pharmacie à partir du XIXe.
Histoire
Les apothicaires durant l'Antiquité
La fonction d'apothicaire pourrait remonter à 2600 av. J.-C. à Sumer où des textes médicaux, mêlés à des incantations religieuses[3], sont attestés sur deux tablettes d'argile dont les cunéiformes mentionnent des symptômes, des prescriptions et des conseils pour les combiner. Le Papyrus Ebers de l'Égypte ancienne, écrit autour de 1500 av. J.-C., contient une collection de plus de 800 prescriptions et mentionne plus de 700 médicaments différents. En Grèce antique, Dioscoride écrit son traité De materia medica vers 60 apr. J.-C. qui fournit une base scientifique et critique aux pharmacopoles, droguistes qui fabriquent et vendent leurs produits chimiques aux médecins (les plantes médicinales sont quant à elles préparées par des herboristes)[4].
Les apothicaires au Moyen Âge et à l'époque moderne
Jusqu’en 640, date de la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie, les apothicaires sont ambulants et confondus avec les charlatans. Des boutiques d'apothicaire tenues par des pharmaciens arabes existent au Moyen Âge à Bagdad dès l'an 754 sous le califat abbasside. Des apothicaires sont également présents dans l'Espagne musulmane dès le XIe siècle, ils utilisent notamment des grabadins, antidotaires arabes[5],[6].
Dès le Ve siècle, Cassiodore recommande aux monastères et couvents de disposer d'un apotecarius qui a un rôle de médecin et de pharmacie. Les connaissances pharmaceutiques antiques sont transmises à l’Occident, grâce aux médecins arabes qui créent de nouvelles formes pharmaceutique (sirops, loochs, juleps)[7]. Parmi eux, Avicenne est l’auteur d’un Canon de la médecine et le premier à imaginer de dorer et argenter les pilules. Outre des généralités sur la science, l’ouvrage traite de différentes maladies, mais aussi de nombreuses préparations pharmaceutiques : décoctions, sirops, poudres, thériaques. Abondamment traduit durant tout le Moyen Âge, le Canon est orné de miniatures qui mettent en scène médecins et apothicaires. La société féodale subissait d'importantes transformations sociales. Les marchands et artisans de certains métiers avaient pris l'habitude de se grouper dans des associations héritières des guildes nordiques, connues sous le nom de corporations. Seuls les apothicaires vendaient du sucre et ils appartenaient à la corporation des épiciers. La formation de l’apothicaire était, dans ses débuts, exclusivement pratique, consistant en un long apprentissage des tours de mains nécessaires pour réussir les préparations. Les maîtres apothicaires se chargeaient, dans leur apothicairerie, de l’instruction des candidats à la maîtrise. L’apprenti devait avoir des notions de latin et de grammaire afin de lire les formulaires et les ordonnances des médecins. Après en moyenne quatre ans d’apprentissage et de trois à dix ans de compagnonnage, l’élève, après avoir présenté un certificat de bonne vie et mœurs, pouvait accéder à la maîtrise à la suite d’épreuves multiples payantes dont la confection d’un chef-d’œuvre.
Des communautés d'apothicaires se constituèrent. Elles sont à l'origine du caractère réglementé que la pharmacie conserve aujourd'hui. À l'origine, ces communautés se distinguaient mal de celle des médecins jusqu'à l'édit de Salerne (de) édicté par Frédéric II en 1241, édit qui sépare juridiquement les deux corporations et marque l'acte de naissance de la profession d'apothicaire[8],[6]. Cet édit servant de modèle en Occident mettra cependant plusieurs siècles à devenir effectif, comme le montre la corporation Arte dei Medici e Speziali.
Les premiers statuts français s'établirent d'abord dans le Midi de la France à Montpellier dès le XIIe siècle puis à Avignon (1242), Paris (1271), Toulouse (1309), Caen (1346), Perpignan (1381), Bordeaux (1414)[9], les vendeurs de remèdes s'appelant alors pigmentarii, speciarii, apothecarii, piperarii ou pebrarii, aromatorii, etc. En 1258, Saint-Louis donna un statut aux apothicaires, confirmé par Philippe le Bel et par le roi Jean Le Bon en 1339. En 1484, Charles VIII promulgua une ordonnance stipulant que « doresnavant nul espicier de nostre dicte ville de Paris ne s'en puisse mesler du fait et vacation d'apothicairie si le dit espicier n'est lui-même apothicaire », distinguant clairement les épiciers en épiciers simples et en apothicaires (jusqu'en 1450, la corporation des épiciers et des apothicaires était bien distincte). L'ordonnance de Louis XII en 1514 consacra la supériorité des apothicaires (« Qui est épicier n'est pas apothicaire, qui est apothicaire est épicier ») et celle de François II en 1560 réunit les deux professions dans la même corporation. Des conflits éclatant entre les deux professions (ils concernaient principalement la jurande et les charges héréditaires), une déclaration royale de Louis XIV le 24 octobre 1691 sépara les deux corps qui, constatant les répercussions financières négatives de cette décision, la firent abroger six mois plus tard[10],[6].
De nouvelles fonctions incombèrent ainsi progressivement aux apothicaires, contrôle des marchandises et surveillance des poids et mesures. Conséquence sans doute naturelle du régime corporatif, de nombreux conflits s'élevèrent entre les divers corps de métiers : les apothicaires furent aux prises avec les charlatans, les herboristes, les merciers et les Chirurgiens barbiers. Jaloux de ses prérogatives, conscient de la noblesse de son art, veillant à se distinguer d'autres professionnels, membre d'une corporation influente et détenteur de drogues rares et prestigieuses, l'apothicaire du XVIe siècle était considéré comme un notable bourgeois (ne recevant pas d'appointement, il s'agit d'un véritable commerçant). Par exemple, la vente du tabac, sous forme de poudre, est réservée aux apothicaires. Un célèbre apothicaire au XVIIIe siècle fut Antoine Parmentier qui dirigea l'apothicairerie de l'hôtel des Invalides, une apothicairesse connue fut Elizabeth Garrett Anderson, membre de la Vénérable société des apothicaires (en) de Londres.
L’apothicairerie, comme celle de Besançon, disposait généralement d'un comptoir en bois, de commodes avec tiroirs d'apothicaire (tiroirs pourvus de poignées en cuivre et d'étiquettes, réservés aux simples) et de rayonnages présentant des bocaux, burettes à anche et chevrettes pour les sirops, pots en faïence avec des étiquettes peintes, silènes en bois peint. Sur les poutres de la boutique pouvaient être suspendus lézards empaillés, œufs d’autruche, serpents. Dans la salle de préparation, l'apothicaire utilisait principalement une balance avec scrupule (système de mesure du fluide scrupule (en)) et une balance à trébuchet, des seringues (pour l'administration des clystères) et canules, des pistons de rechange, des moules à pilules, le mortier et pilon, des bassines, chaudrons et alambics préparant les eaux distillées[11].
De l'apothicaire au pharmacien
En 1777, à la suite d'un décret de Louis XVI remplaçant le jardin des apothicaires par le Collège de pharmacie, les apothicaires prennent le nom de pharmaciens et obtiennent, après de nombreuses querelles avec les médecins, les chirurgiens et surtout les espiciers, l'exclusivité de la préparation des remèdes. Cette déclaration sépara les corporations d'apothicaires et d'épiciers reconnaissant ainsi le monopole de la vente des médicaments aux seuls membres du Collège royal de pharmacie. Il officialisait ainsi la pharmacie comme une branche de la médecine nécessitant des études et des connaissances approfondies. La loi du 21 germinal an XI () régira l'exercice de la pharmacie[6]. Elle interdit aux épiciers-droguistes de vendre des drogues simples au poids médicinal. Avant cette loi, la pharmacie n'était régie par aucune législation régulière ; il y avait cependant une foule d'édits qui la concernaient. L'organisation moderne de la pharmacie date de cette époque et durant cette période le mot apothicaire disparut au profit de celui de pharmacien. La préparation magistrale a tendance a disparaître dans les pays occidentaux depuis la révolution industrielle qui voit l'avènement de l'industrie de la chimie fabriquant les médicaments[4].
En Allemagne, de nos jours, on parle toujours d’Apotheker pour désigner un pharmacien, et d’Apotheke pour désigner une pharmacie. Il en va d'ailleurs de même en Russie : on parle alors d'aptsiéka (аптека) pour désigner une pharmacie.
Bibliographie
- Roland Pagès, De l’apothicaire au pharmacien : notes sur l’histoire de la pharmacie en Haute-Loire du XVIe siècle au milieu du XIXe siècle : in Cahiers de la Haute-Loire 1984, Le Puy-en-Velay, Cahiers de la Haute-Loire,
Notes et références
- Du Cange
- du latin circulator (celui qui se déplace)
- Il faut attendre Hippocrate pour que les médicaments soient dissociés du domaine religieux.
- Yvan Brohard, Remèdes, onguents, poisons, éditions de la Martinière, , 220 p. (ISBN 2732449938)
- (en) Sharif Kaf al-Ghazal, « The valuable contributions of Al-Razi (Rhazes) in the history of pharmacy during the Middle Ages », Journal of the International Society for the History of Islamic Medicine, vol. 3, no 6, , p. 9–11
- Mathieu Guerriaud, « Droit pharmaceutique - Elsevier Masson », sur www.elsevier-masson.fr (ISBN 9782294747564, consulté en 2016)
- Moyen Âge : les premiers apothicaires et les premières communautés
- Pierre Julien, « 750 ans de profession pharmaceutique », Revue d'histoire de la pharmacie, vol. 79, no 289, , p. 155 (lire en ligne)
- François Prevet, Histoire de l'organisation sociale en pharmacie, Recueil Sirey, 1940, 878 p.
- Eugène-Humbert Guitard, « « Pharmacien » contre « apothicaire » (XIVe-XIXe siècles) », Revue d'histoire de la pharmacie, vol. 56, no 195, , p. 43-56
- Apothicaires au (XVIIe siècle av. J.-C.)
- La couleur verte végétale fait référence à la pharmacopée à base de plantes, la couleur rouge évoquant le sang de la vie. Cf. Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le petit livre des couleurs, Seuil, , p. 72.
Voir aussi
Bibliographie
Articles connexes
- Potard
- Albarello
- Apothicairerie de l'hôtel-Dieu de Bourg-en-Bresse
- Liste des anciens métiers
- Liste de musées de la pharmacie
- Liste de sociétés d'histoire de la pharmacie
- Musée d'apothicaire de Stabler-Leadbeater (en)
Liens externes
- Le Grand Apothicaire de Champagne
- "Sur la gestion d'une échoppe : guide destiné à la préparation de commandes" est un livre, en arabe, à partir de 1260 qui traite abondamment l'art d'être un apothicaire
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