Tournage (audiovisuel)
Le tournage est l'étape de réalisation, au cours de laquelle sont enregistrées les différentes prises de vues et prises de sons destinées, après les finitions, montages image et son et mixage, à constituer l'ouvrage désigné par le mot film. Le tournage est « le passage à l'acte cinématographique[1] », le moment où sont tournés les plans (« pour simplifier, le plan est le jeu de scène filmé entre les deux mots magiques du tournage, Action ! et Coupez ![2] »
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Origine du mot
Tournage, tourner un film… En 1913, Ernest Coustet, ingénieur électricien qui rédige de nombreux textes de vulgarisation sur les techniques nouvelles, écrit un Traité pratique de cinématographie, dans lequel il explique le fonctionnement des appareils de prise de vues, décrit les pellicules et leur mode de traitement chimique, décrit le pied de caméra, les éclairages de « l’atelier-théâtre », ainsi qu’il nomme le studio de cinéma, pour enfin, au chapitre V, évoquer la « Prise des vues »[3].
Plusieurs paragraphes informent le lecteur sur « La préparation de l’appareil », « L’installation de l’appareil », « Le réglage de l’obturateur », « Le diaphragme ». Enfin, il lève le voile sur « La manière de tourner la manivelle », « à première vue, une opération très simple et qui ne demande aucun apprentissage[4]. » Il faut quand même rappeler que Louis Lumière, quand il formait ses opérateurs qu’il envoyait à travers le monde pour ramener des vues photographiques animées, ainsi qu’il appelait les films de la société Lumière, leur donnait le conseil de tourner la manivelle au rythme de la marche militaire « Le Régiment de Sambre et Meuse »[5],[6]. Tourner la manivelle réclamait donc une méthode et une certaine habileté. Sur ce point, Ernest Coustet est formel : « l’exactitude des mouvements reproduits par une vue cinématographique dépend de la façon dont elle a été tournée. Et le choix même de cette expression : tourner une vue, expression aujourd’hui consacrée par l’usage, atteste l’importance attribuée, en cinématographie, à l’opération initiale[7]. »
On comprend facilement comment cette importance a fini par marquer le jargon professionnel des cinéastes. « Tourner un film », c’est tourner la manivelle (présente sur les caméras jusqu’à l’avènement du cinéma sonore à la fin des années 1920), dans la phase de fabrication du film, appelée le « tournage », un mot qui va s’imposer aussi bien en français qu’en anglais : to shoot (tourner), shooting (tournage).
Description d'un jour de tournage
La veille
Un jour de tournage commence généralement la veille quand chaque membre de l'équipe reçoit la feuille de service rédigée par le premier assistant réalisateur et acceptée par les postes clés (réalisateur, directeur de production, régisseur général et chefs d'équipes)[8]. Ces feuilles de service quotidiennes sont issues du plan de travail que le premier assistant réalisateur a dressé avec l'aide de différents intervenants (réalisateur, deuxième assistant réalisateur, scripte...), pendant la préproduction et qui dresse en un tableau synoptique le calendrier de l'intégralité du tournage, précédé des préparations et rendus à court terme. Ce plan de travail est un pivot essentiel de la production car il permet, en prévoyant les durées de contrat de chaque comédien, de chaque technicien, les durées de locations des lieux (studio ou intérieurs et extérieurs naturels), d'établir le devis prévisionnel du film. Plus modestement mais tout aussi nécessairement, les feuilles de service énumèrent dans l'ordre où ils seront tournés, les plans qu'a indiqués le réalisateur dans son découpage technique, compte tenu de la durée prévue de la journée de travail et des conditions d'éclairage demandées (tournage de jour ou de nuit). Elles précisent les présences des comédiens, silhouettes et figurants, concernés par le jeu dans ces plans, et leurs horaires de préparation (habillage, maquillage, coiffure). Des précisions sont apportées également, concernant les exigences techniques (nombre ou type de caméras, travelling à préparer, éclairages à disposer, effets spéciaux éventuels, accessoires, renforts de personnel, etc). Si le plateau se situe dans une ville, plusieurs jours auparavant une équipe de "ventouseurs" a réservé les places de stationnement pour les véhicules techniques (caméra, machinerie, éclairage, groupe électrogène, loges, cantine).
La préparation du plan
L'équipe technique met en place son matériel, parfois plusieurs heures avant le tournage proprement dit, quand il s'agit d'éclairer un large plateau ou de mettre en mouvement une grue, une dolly ou une Louma, ou tout autre dispositif qui devra être prêt au moment où les acteurs et le réalisateur entreprendront leur travail. Le directeur de la photographie, familièrement nommé « dir'phot » (en anglais : DoP) ou « chef'op » (chef opérateur), est le maître incontesté de cette mise en lumière par les électriciens (dits « électros ») et des installations techniques par les machinistes (dits « machinos »). Ce sont les seconds assistants réalisateurs, ou des stagiaires, qui sont chargés d'amener sur le plateau les comédiens concernés, et de veiller pendant la journée à leur confort. Un maquilleur, un coiffeur, sont présents aussi sur le plateau pour rectifier éventuellement leur maquillage (« raccord maquillage ») ou leur coiffure. Le poste maquillage est aussi responsable des larmes artificielles, lorsque le comédien n'a pas la larme facile. Les acteurs doivent répéter leur texte sous la direction plus ou moins collégiale du réalisateur et faire, selon un terme jargonnant, une « mécanique »[9], c'est-à-dire une répétition au cours de laquelle ils se prêtent aux réglages de la technique, en mémorisant et éventuellement en modifiant leurs déplacements et leurs haltes. Certains comédiens (les vedettes du film) sont remplacés durant cette période exigeante et peu créative, par des « doublures lumière », des figurants attitrés, des mêmes taille et couleur de peau et de cheveux, qui supportent ces réglages et en indiquent le résultat à ceux ou celles qu'ils remplacent. Cette préparation du plan vise à coordonner le travail du cadreur et de son premier assistant opérateur qui assure la mise au point de l'objectif de la caméra en fonction de la distance à laquelle se situent les comédiens visés au cours du plan, c'est pour cela qu'on l'appelle le « pointeur » (en anglais : focus puller)[10]. Le cadreur répète les mouvements de la caméra qui dépendent de son habileté (panoramiques) et ceux qu'il exécute en collaboration étroite avec le chef machiniste (travelling ou tout autre déplacement de l'appareil de prise de vues). Le chef-opérateur du son fait de même, en osmose avec le perchman, ou son assistant lorsque les comédiens sont équipés de micros portatifs. La scripte prend des notes et des photos, destinées à mémoriser la configuration du plan. Le photographe de plateau enregistre des photos de tournage destinées à la promotion future du film.
On tourne !
Lorsque ces préparatifs ont abouti, le premier assistant réalisateur (ou le chef de plateau pour les téléfilms), exige le silence. En studio, systématiquement une lampe rouge est allumée à l’entrée, interdisant toute intrusion durant la prise de vues (« le rouge est mis »). Un même dispositif est très souvent installé sur les plateaux en intérieurs ou extérieurs naturels, pour les mêmes raisons, et notamment pour imposer le silence sur le lieu même et dans l’entourage. Le réalisateur demande le démarrage de la caméra : « Moteur ! » (Roll !), repris éventuellement par le premier assistant si l’équipe image résout un problème de dernière minute : « Moteur demandé ! » Dans certaines conditions où ce type d’ordre est incongru, un geste circulaire du « réal » suffit. Si la prise est muette, le cadreur répond : « Tourne ! » (Rolling !). S’il y a prise de son, c’est l’ingénieur du son (chef opérateur du son) qui répond car il est important que son enregistreur soit en fonctionnement : « Ça tourne ! ». Un problème de dernière seconde ? « Faux départ ! », prévient l’un ou l’autre des techniciens.
Les appareils étant en fonctionnement, le clap est présenté devant la caméra. en général par un machiniste, sur l’invitation du cadreur : « Annonce ! ». Ce tableau indique, soit à la craie, soit par affichage digital, le titre du film, le nom du « réal », celui du « dir’phot », la date et d’autres renseignements utiles, tels que « Int » ou « Ext », « Jour » ou « Nuit ». Et le numéro du plan, voire en plus de la séquence, et le numéro de la prise. Le machiniste lit à voix haute les trois indications qui correspondent au travail en cours : titre abrégé du film et numéros du plan et de la prise. Car chaque plan est tourné plusieurs fois afin d'obtenir les meilleurs résultats, techniques et d'interprétation, et offrir une « sécurité » au cas où la meilleure prise subirait un désagrément ultérieur. Le clap sert aussi de marqueur pour la synchronisation du son, celui-ci étant enregistré séparément et intégré au film lors du montage. Le déplacement rapide de la claquette est flou sur le film. Son arrêt brutal lorsqu’elle heurte le clap la rend nette, d’autant qu’elle est ornée d’une alternance de plages noires et blanches, ou colorées. Cette première image nette correspond exactement au claquement sonore et elle est donc un repère parfait de synchronisation. Certains claps n’ont pas de claquette mais un signal lumineux couplé à l’émission d’un son électronique envoyé à l’enregistreur son. Et le défilement digital qu’il affiche a son équivalent sur la bande son. Parfois, le clap est présenté à la fin du plan, pour différentes raisons, notamment lorsque les comédiens (et le réalisateur) préfèrent éviter le bruit du claquement avant un jeu intime et feutré, ou quand il y a présence d’un jeune enfant ou d’un animal, qui peuvent avoir une réaction apeurée au moment du claquement. Dans ce cas, le clap est présenté la tête en bas et l’annonce vocale est précédée ou suivie de « Clap de fin ! ». Lorsque le tournage s’effectue avec deux ou trois caméras, le clap est fait autant de fois ou parfois avec un clap multi-faces bricolé par les machinistes. Lorsque le cadreur doit aller "chercher" le clap, donc quitter le cadre qu'il a peaufiné, après l'annonce, il recadre soigneusement et annonce : « Cadré ! »[11].
- Tournage d'une comédie finlandaise de Valentin Vaala, Huhtikuu tulee (1953). Une équipe heureuse autour d'un gros plan.
- Sylvie Testud, autrice du roman adapté, dirigée dans la rue par Eléonore Faucher pour le film Gamines (2008).
- Delirium (film) : façon délirante de cadrer en contre-plongée du "DoP" ukrainien Mykola Yefymenko juché sur une dolly (2013).
Le réalisateur invite alors les comédiens à jouer ce qui a été répété. « Action ! » Lorsque c’est fait, ou avant la fin s’il se présente un problème : bruit inattendu, ou entrée dans le champ d’un objet non désiré provenant du hors-champ (perche du son, technicien, badaud non filtré), le mot « Coupez ! » (Cut !) est lancé soit par le réalisateur, soit par l’opérateur du son ou le cadreur, mot parfois remplacé par la cause exacte de l’interruption : « Perche ! », « Avion ! »[alpha 1]. Ce pouvait être aussi après une prise sur support argentique (35 mm ou film 16 mm), quand le deuxième assistant opérateur, après vérification systématique du couloir du film (« faire le poil »), s’apercevait qu’un débris de pellicule ou de gélatine s’était déposé sur un bord de la fenêtre de prise de vues, et qu’il prévenait : « Poil ! ». La prise devait être refaite, car ce débris aurait été visible sur chaque photogramme du plan. Autant d’incidents que la scripte note systématiquement, en plus des métrages repères (dans un tournage avec une caméra argentique) et des codes repères. « On la refait ! » Quand enfin chaque poste clé considère que l’une des prises est réussie (et assurée par une autre), il est admis que « c’est dans la boîte », et l’équipe passe à la préparation du plan suivant. Et ainsi de suite jusqu’à l'épuisement du travail prévu pour la journée. Les plans éventuellement en retard sont reportés au lendemain, et consignés sur la feuille de service adéquate.
Fin de journée
Au cours ou en fin de cette journée, les boîtes de pellicule argentique négative étaient envoyées au laboratoire pour un développement du tout. Les divers plans que le réalisateur avait retenus comme étant les meilleurs, susceptibles d’être utilisés au montage, en totalité ou en partie, étaient désignés comme « à tirer » et en conséquence ils étaient chargés dans une tireuse cinématographique pour donner des positifs destinés à la future « copie de travail » du montage, les « rushes » ([ʁœʃ]). Dans les tournages actuels en numérique, les plans peuvent être visionnées immédiatement après la prise et sont stockés dans des mémoires de masse. Comme les montages sont virtuels, il n'est pas utile de dédoubler les plans qui restent tous disponibles au montage, ce qui peut parfois permettre de résoudre des problèmes, notamment de son (bouchage d'un trou d'ambiance).
Archéologie d'un tournage
En 2012, une équipe de fouille menée par Olivier Weller, chargé de recherches au CNRS, investit le bois du château de Neuville, à Gambais, afin de tenter de retrouver les lieux et les traces du tournage du film Peau d'âne. Leurs recherches se concentrent sur la centaine de mètres carrés où ont été tournées les scènes de la cabane de Peau d'âne et de la clairière de la fée des Lilas. Seul un indice concret permettait de retrouver les lieux : un clou planté dans un arbre par un accessoiriste pour aider Jacques Perrin à l'escalader[13]. Un relevé microtopographique, une recherche des anomalies métalliques et une prospection géophysique de résistivité électrique du sous-sol ont permis de préciser le plan de la cabane et la densité des vestiges enfouis. Les objets exhumés sont autant des fragments de décors ou de costumes (polystyrène, planches, fragments de miroir, perle bleue, strass) que des éléments techniques du tournage (tessons d'ampoules bleues utilisées par la scripte). En comptant les restes des techniciens du tournage (cigarettes, Vérigoud), on arrive à 4 000 objets trouvés autour de la cabane[13]. Des restes du coquillage géant et des piliers monumentaux de la clairière de la fée doivent encore être fouillés, alors que le cadre du fameux miroir bleu de la fée a été retrouvé près de la cabane [14]. De nombreux tessons de céramique, qui pourraient reconstituer la vaisselle utilisée lors de la scène du « cake d'amour », ont également été retrouvés dans la cabane. Celle-ci a été laissée en place après le tournage, mais a finalement été détruite et brûlée par les propriétaires du domaine quelques années plus tard [15],[16]. Ces recherches ont donné lieu à un film documentaire de Pierre-Oscar Lévy et Olivier Weller[17], Peau d'âme, dont la sortie est prévue en 2017[18],[13].
Articles connexes
Notes et références
- Note
- « Le hors-champ, c’est pendant le tournage d’un plan la partie de l’espace que la caméra ne voit pas et ne verra à aucun moment. Le hors-champ d’un plan est éphémère, il n’existe qu’au moment du tournage. La caméra, qu’elle soit immobile ou qu’elle exécute un panoramique ou un travelling, ne développe qu’un seul champ et un seul hors-champ, qui sont tous les deux déterminés par sa position et l’objectif dont elle est munie. Le hors-champ disparaît dès que le plan est "dans la boîte", tourné et réussi. Il permet à l’équipe technique de faire son travail sans entrée incongrue dans le cadrage. Les projecteurs, les réflecteurs, les rails du chariot de travelling, le réalisateur, le directeur de la photographie, tous les techniciens, tous les assistants sont installés dans le hors-champ, là où la caméra ne risque pas de les montrer même par l’intermédiaire d’un miroir qui serait situé, lui, dans le champ. Le perchiste, avec son micro placé à l’extrémité d’une perche télescopique, s’approche au plus près du champ pour mieux saisir les dialogues. Il lui est interdit de sortir du hors-champ et si par hasard il franchit la limite du cadre, l’opérateur caméra qui voit entrer le micro dans son viseur interrompt la prise de vue en criant "Perche !". »[12]
- Références
- Vincent Pinel, Dictionnaire technique du cinéma, Paris, Armand Colin, , 369 p. (ISBN 978-2-200-35130-4), p. 301.
- Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, , 588 p. (ISBN 978-2-84736-458-3), p. 344.
- Ce Traité pratique de cinématographie a été réédité en 2018 en fac-similé (voir ci-dessous).
- Ernest Coustet, Traité pratique de cinématographie, Paris, éditions Charles Mendel, coll. « Bibliothèque générale de cinématographie », , 202 p. (ISBN 9782019987251), p. 59.
- Briselance et Morin 2010, p. 33.
- Pinel 1994, p. 62.
- Ernest Coustet 1913, p. 59.
- Pinel 2012, p. 119.
- Pinel 1994, p. 255.
- Briselance et Morin 2010, p. 95.
- Pinel 1994, p. 202-203.
- Briselance et Morin 2010, p. 449.
- « Peau d'âne, les archéologues refont le film », sur Libération,
- Olivier Weller, « L'archéologie peut-elle raconter des contes de fée ? Peau d'âne sous la truelle », Les Nouvelles de l'archéologie no 137, 2014, p. 40-44.
- « L'archéologie, comme complément de mémoire... » et « À la recherche des décors de Peau d’âne... la suite » sur le site du Service archéologique départemental des Yvelines.
- [vidéo] Vincent Charpentier, « Archéologie du merveilleux : on a retrouvé la cabane de Peau d'âne ! », France Culture, (lire en ligne).
- Judith Chétrit, « Déterrer Peau d'âne », So Film, (consulté le ).
- « Peau d’âme, une comédie (musicale) documentaire »,Look at Sciences, 17 décembre 2015.
Voir aussi
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