Thérapie génique

La thérapie génique ou génothérapie est une stratégie thérapeutique qui consiste à faire pénétrer des gènes dans les cellules ou les tissus d'un individu pour traiter une maladie. La thérapie génique vise à remplacer ou complémenter un allèle mutant défectueux par un allèle fonctionnel ou à surexprimer une protéine dont l'activité aurait un impact thérapeutique.

Thérapie génique à base d'un vecteur adénovirus (virothérapie).
Un nouveau gène est inséré dans un vecteur dérivé d'un adénovirus, lequel est utilisé pour introduire l'ADN modifié dans une cellule humaine. Si le transfert se déroule correctement, le nouveau gène élaborera une protéine fonctionnelle qui pourra alors exprimer son potentiel thérapeutique.

Historique

Jusqu'au premier essai

Le concept de thérapie génique – réparer ou modifier le patrimoine génétique pour traiter une pathologie – est réellement évoqué par la communauté scientifique à la fin des années 1960[1]. L’amélioration des connaissances concernant les liens entre certains gènes mutés et certaines pathologies, la création de systèmes de transfert de gènes à partir de virus sécurisés, l’amélioration des technologies de manipulation de l’ADN – en bref toutes les avancées de ce tissu de concepts et techniques que l’on appelle aujourd’hui la biotechnologie – permettent à cette idée théorique de voir le jour sous la forme d’un premier essai clinique initié par S. Rosenberg aux États-Unis en 1989[2].

Engouement et désenchantement

Les années 1990 à 2000 voient éclore une kyrielle d’essais cliniques dans des pathologies très diverses : cancer, maladies cardiaques et vasculaires, infections virales, immunodéficiences héréditaires… associée à un engouement majeur du public (notamment à travers le Téléthon) et des investisseurs. Mal servie par une communication faisant peu la part des choses entre la réalité du terrain et les hypothèses, face à des acteurs industriels ou à des patients qui attendent des résultats positifs immédiats[réf. nécessaire], la thérapie génique est rapidement confrontée au constat amer se dégageant de cette période : aucun bénéfice réel n'est observé pour les quelque 4 000 patients enrôlés dans les 400 à 600 essais[réf. nécessaire] réalisés durant cette période. Des difficultés de communication entre la communauté scientifique académique et celle de l’industrie, un désengagement progressif des capitaux-risqueurs sur les approches de thérapie génique, une méfiance concernant le réel potentiel de cette stratégie domine la fin de la dernière décennie du XXe siècle[réf. nécessaire].

Premier succès en 2000

Premier succès de la thérapie génique en 2000, le traitement des enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère lié à l'X (en anglais, X-SCID, Severe Combined Immunodeficiency liée au chromosome X) par Alain Fischer, Marina Cavazzana et Salima Hacein-Bey-Abina[3] est rapidement devenu le protocole clinique emblématique de la thérapie génique. De très jeunes enfants atteints du SCID-X et souffrant d’une immunodéficience sévère (des "bébé bulles") ont reçu un traitement de thérapie génique visant à rendre actifs leurs lymphocytes T déficients. Chez ces patients, la mutation de certaines protéines associées au récepteur de l'interleukine-2 affecte profondément les cellules impliquées dans la réponse immunitaire. Ces malades ne disposent pas d’une réaction immunitaire efficace, ce qui les rend sensibles à toutes les infections opportunistes. La thérapie a consisté à transférer dans les cellules sanguines de ces patients un gène fonctionnel restaurant la fonctionnalité du récepteur à l’interleukine-2. Dans un premier temps, l’entreprise s’est révélée être une réussite totale avec la guérison des patients[4] : la plupart des bébés ont pu sortir de leurs bulles et vivre normalement. Cependant, quatre de ces patients sur la vingtaine d'enfants traités par ce type de thérapie ont développé une leucémie après quelques années[5]. De nombreuses données convergent pour penser que le type de vecteur utilisé pourrait s'intégrer dans des régions sensibles du génome, et en dérégulant certains gènes, comme le proto-oncogène LMO2[6] (un gène fréquemment retrouvé activé dans des lymphomes naturels) pourrait participer à ces formes de leucémies induites. On peut corréler cette intégration du vecteur à la multiplication anarchique des globules blancs encore indifférenciés à l’origine de la leucémie. Il s'agirait donc bien d'un effet secondaire direct imputable à la stratégie elle-même, même si le développement de ce type de leucémie n'a pas été décelé dans la majorité des patients impliqués dans les divers essais cliniques de ce type réalisés par le monde.

Cet essai clinique "phare" de la thérapie génique a eu plusieurs répercussions. Il a tout d'abord montré que le concept de thérapie génique était pertinent et qu'une stratégie de manipulation du génome pouvait avoir un impact thérapeutique. Mais il a mis aussi en évidence la nécessité d'améliorer les stratégies (utilisation de nouveaux vecteurs limitant les insertions génotoxiques, réduction de la quantité de cellules exposées au vecteur puis réinjectées au patient...) et l'appréhension des risques qui pouvaient être associés à la thérapie génique. Ces risques ont également été mis en évidence dans le cas du décès d'un patient aux États-Unis en 1999, Jesse Gelsinger, lors de l'injection de fortes doses d'un vecteur dérivé d'un adénovirus.

Période 2000-2012

Durant la première décennie du XXIe siècle, de nombreuses équipes, à la fois portées par plusieurs années d’investissement dans une approche thérapeutique, et par de profondes convictions quant à l'intérêt de la thérapie génique, ont continué à développer l'approche de thérapie génique[7],[8]. Ces approches ont contribué à mettre en avant le potentiel de la thérapie génique en permettant de réelles avancées thérapeutiques dans des pathologies souvent difficiles, voire impossibles, à traiter. Mis en avant notamment en 2007-2008 avec des essais cliniques sur des pathologies de la vision, ou des pathologies neuronales infantiles (LINCL ou late infantile neuronal ceroid lipofuscinosis) dans lesquels des signes positifs d'amélioration clinique avaient été rapportés[9], le traitement de pathologies oculaires a connu un gain d'intérêt très fort depuis l'amélioration de la vision de jeunes patients atteints de certaines formes d'Amaurose de Leber par le transfert intraoculaire du gène RPE65[10].

Dans l'adrénoleucodystrophie liée à l'X, le transfert avec un vecteur lentiviral du gène ABCD1, (et mis au point par Patrick Aubourg, Nathalie Cartier, et l'équipe d'Alain Fischer), montre chez deux jeunes patients un arrêt de la démyélinisation responsable de cette pathologie [11]. Des études sont également menées sur le syndrome de Wiskott-Aldrich[12].

En 2011-2012, des travaux de traitement de lymphomes par le transfert de gènes codant des molécules artificielles capables de rediriger des lymphocytes T à l'encontre de cellules leucémique laisse aussi penser, malgré 15 années d'échecs, que le traitement de certains cancers pourrait être effectivement envisagé à moyen-terme par la thérapie génique[13],[14].

En 2012, Emmanuelle Charpentier, en s'alliant avec sa consœur Jennifer Doudna, de l'université de Berkeley, aux États-Unis innove grâce aux séquences CRISPR pourtant mises en évidence depuis 1987[15]. Elle réussit à fabriquer en laboratoire un « ARN guide » correspondant au gène que l'on souhaite cibler, puis de l'arrimer à une enzyme Cas9. Cette dernière découpe alors le gène. CRISPR-Cas9 met immédiatement en émoi la communauté scientifique car cet outil est parfois considérée comme la baguette magique qui permet à l'humanité de modifier ses propres gènes à volonté[16]. Elles reçoivent le prix Nobel de Chimie 2020 pour ces travaux de recherche[17].

Période 2012-2020

La mise au point de thérapies géniques se révèle une tâche ardue, de nombreux essais cliniques de thérapie génique ayant été des échecs dans la mesure où ils n'ont que très rarement, et que brièvement, amélioré l'état clinique des patients. Entre 2015 et 2020, cependant, un petit nombre d'essais cliniques se sont révélés suffisamment probants pour conduire à une autorisation de mise sur le marché, aux États-Unis ou en Europe.

En 2017, une équipe de médecins européens est parvenue à remplacer 80 % de l’épiderme d’un petit garçon - atteint d’épidermolyse bulleuse - grâce à la thérapie génique. Il est le deuxième patient en 12 ans à bénéficier de ce traitement expérimental[18].

En 2019, près d'une dizaine de traitements par thérapie génique pour des maladies rares du sang, de la vision, des muscles et certains cancers, avait reçu une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis ou en Europe. Ces traitements concernent l'amyotrophie spinale[19], la maladie de Pompe[20], le déficit en adénosine désaminase, la bêta-thalassémie, la leucémie aiguë lymphoblastique, le lymphome diffus à grandes cellules B, l'amaurose de Leber[3].

La prudence reste de mise et ces résultats restent toutefois à confirmer, ou pour certains à améliorer. Le début de la seconde décennie du XXIe siècle voit toutefois les sociétés de biotechnologie se rapprocher à nouveau de cette stratégie thérapeutique laissant imaginer le maintien d'un soutien financier pertinent pour le développement clinique de cette approche. Ainsi, les investissements des capitaux-risqueurs est passé de 560 millions de dollars en 2013 à 2,9 milliards de dollars en 2019[3]. Il est possible d'imaginer que cette approche se positionne de manière pertinente dans des niches stratégiques lui permettant un développement serein, ou en tous les cas loin des excès de communication que l'on a pu constater dans les années 1990[21].

De nombreuses cibles

Le concept de thérapie génique est né de l'idée de traiter des pathologies héréditaires. Il s'est rapidement orienté vers le traitement de toutes les affections, héréditaires ou non, dans lesquelles il était possible d'imaginer que certains gènes étaient défectueux ou qu'il était possible d'envisager un rôle pour de nouveaux gènes. Les cancers, les infections virales, la douleur, les affections cardiaques, les atteintes traumatiques du système nerveux… Conceptuellement, il n'est pas une pathologie qui ne pourrait pas bénéficier d'une approche de thérapie génique, que ce soit par une stratégie de restauration d'une activité génétique défaillante ou par la production d'une activité supplémentaire qui puisse avoir un impact thérapeutique. En 2013, près de 2 000 essais cliniques auraient été proposés au niveau international[réf. nécessaire],[22]. L'analyse cumulée des données montre que, depuis le premier essai clinique (qui s'intéressait alors au traitement du cancer), environ 65 % des essais se focalisent sur le traitement du cancer, et 35% sur des pathologies très variables comme les infections virales, les maladies neurologiques, les pathologies oculaires, les maladies liées à des déficiences au niveau du système sanguin... Si le jeu des statistiques est tentant, il faut toutefois se garder de tirer des conclusions claires de l'analyse globale de ces protocoles qui s'intéressent à des pathologies, des technologies et des concepts très diversifiés. De plus, le peu de données exhaustives qu'il est possible d'obtenir pour ces protocoles rend difficile l'estimation du nombre réel de protocoles cliniques effectivement réalisés, du nombre de patients, du niveau de divulgation des résultats du protocole dans des journaux scientifiques, voire du réel intérêt thérapeutique des protocoles réalisés.

Transporter un gène : la problématique des vecteurs en thérapie génique

Une fois le gène sélectionné pour son potentiel thérapeutique face à une pathologie, une étape cruciale de la thérapie génique est de faire pénétrer la nouvelle information génétique dans l'organisme du patient.

Vecteurs viraux

L'utilisation de virus modifiés pour transporter un gène thérapeutique repose sur le constat de l'efficacité des virus pour transférer leur propre matériel génétique dans les cellules humaines. Pour produire des vecteurs viraux, on utilise des virus modifiés génétiquement, dits sécurisés. Le principe consiste à éliminer les séquences du virus qui codent des protéines, notamment celles associées à un éventuel comportement pathogène du virus, et à ne conserver que celles qui sont utilisées pour construire la particule virale et assurer le cycle d'infection. Le génome du virus est reconstruit pour porter les séquences du gène thérapeutique. Les protéines virales qui potentiellement manqueraient à la formation des particules virales thérapeutiques sont fournies par des cellules dites productrices ou d'encapsidation lors de la phase de production des vecteurs.

Vecteurs adénoviraux

L’adénovirus est un virus à ADN. Il présente la caractéristique de faire pénétrer son matériel génétique dans la cellule cible sans attendre la mitose (division cellulaire) et sans insérer la nouvelle information génétique dans le génome de la cellule cible. Bien que très utilisés dans de nombreux essais cliniques, les chercheurs n’arrivent toujours pas à ce jour à le débarrasser complètement de ses gènes, maintenant ainsi un caractère potentiellement pathogène au vecteur construit[23]. Ce vecteur, très utilisé dans les années 1990 est aujourd'hui beaucoup moins envisagé en thérapie génique.

Vecteurs rétroviraux

Les rétrovirus sont utilisés comme vecteur en thérapie génique car ils permettent d'insérer la nouvelle information génétique dans le génome de la cellule cible. Le nouveau gène se transmet alors de cellules mères en cellules filles de manière égale sans « dilution » de l'information génétique dans le temps. Le génome des rétrovirus est composé de molécules d'ARN (acide Ribonucléique) et non d'ADN comme le génome des cellules humaines. L'infection par un rétrovirus implique une étape de rétrotranscription de l'ARN en un fragment d'ADN qui pourra être associé (étape d'intégration) aux chromosomes après pénétration dans le noyau cellulaire. Une combinaison de protéines virales et de protéines de la cellule cible assure cette étape de transfert des molécules d'ADN du cytoplasme cellulaire vers le noyau et l'intégration dans le génome de l'hôte. Une fois intégré, le génome du rétrovirus sous sa forme ADN est stable et transmis de manière mendélienne comme n'importe quel gène de la cellule.

Si la plupart des essais cliniques ont été réalisés avec des vecteurs dérivés de rétrovirus de souris, certains essais cliniques sont actuellement en cours utilisant des vecteurs dérivés du virus VIH (traitement de l'adrénoleucodystrophie par l'équipe Cartier-Aubourg à Paris depuis 2007, traitement de l'infection à VIH aux États-Unis depuis 2000, traitement d'hémoglobinopathies par l'équipe Leboulch-Beuzard à Paris). Ce dernier type de vecteur, dit vecteur lentiviral, dérivé d'un virus humain mais totalement sécurisé, est un vecteur particulièrement en vogue. En effet, il est capable de modifier génétiquement des cellules au repos, ouvrant ainsi des possibilités de manipuler par des neurones, des cellules hépatiques, toute une gamme de populations cellulaires inaccessible aux vecteurs rétroviraux dérivés de virus murins[24].

L'intégration des vecteurs rétroviraux dans le génome de la cellule cible, si elle est un atout majeur pour la pérennisation et la transmission de l'information génétique, représente néanmoins une difficulté en matière de sécurité. Deux essais cliniques utilisant les vecteurs rétroviraux murins pour modifier les cellules hématopoïétiques (traitement de l'immunodéficience liée à une mutation portée par la chaîne gamma-c du récepteur à l'interleukine-2 (voir plus bas), et traitement de la maladie de Gaucher) ont conduit à l'apparition de formes de leucémies chez les patients.

Vecteurs dérivés de virus adéno-associés

Les vecteurs dérivés de virus adéno-associés, ou AAV (pour adeno associated virus) sont des vecteurs permettant le transfert de petites unités d'expression génétique. Majoritairement, ce transfert se fait sans intégration à l'ADN de la cellule hôte. Le virus natif est capable d'intégrer le génome de la cellule hôte, toujours au même endroit dans le chromosome 19. Une insertion non contrôlée pouvant entraîner d'importants désordres dans la fonction cellulaire, ces vecteurs ont été fortement développés pour leur potentiel sécuritaire bien qu’ils ne soient capables que de transférer des petits gènes. Bien que la construction du vecteur à partir du virus élimine cette propriété de ciblage de l'insertion, les vecteurs dérivés des AAV ont été beaucoup utilisés sur le plan clinique. Longtemps considérés comme inoffensifs, à l'inverse des vecteurs adénoviraux et rétroviraux (voir plus loin), les vecteurs dérivés de l'AAV ont connu un fort développement[25]. Au cours de l'été 2007, le décès d'un patient dans un essai clinique de traitement de la polyarthrite rhumatoïde par des vecteurs dérivés de l'AAV a permis aux détracteurs de cette stratégie de pointer le doigt sur ce type de vecteur[26]. Mais les vecteurs dérivés des AAV ont été testés dans de nombreuses approches thérapeutiques avec des succès obtenus, notamment entre 2007 et 2010, lors d'essais de traitements d'une forme d'Amaurose congénitale de Leber de modèles animaux canins et finalement de jeunes patients (voir plus loin). En 2013, le vecteur de type AAV apparait comme un vecteur intéressant dont le développement de l'utilisation dans les prochaines années est prévisible.

Vecteurs dérivés d’autres virus

Au-delà de ces vecteurs fréquemment utilisés en clinique, de nombreuses tentatives d’utilisation de vecteurs à partir de virus sont décrites dans la littérature. On relèvera de nombreux travaux concernant l’utilisation du virus Herpes Simplex (HSV), des poxvirus (actuellement en développement clinique), de virus animaux apparentés au VIH, du virus de la grippe… Ces diverses tentatives témoignent d'une part de l'inexistence d'un vecteur viral universel poussant les scientifiques à tester de nouvelles voies, et d'autre part de la volonté pour certains industriels de se positionner dans le domaine avec des brevets propriétaires.

Vecteurs non viraux

Différentes stratégies ont été élaborées pour ne pas recourir aux virus et utiliser directement la molécule d'ADN :

La plupart des stratégies combinent des molécules chimiques (polycations) et la molécule d'ADN pour faciliter la traversée de la membrane des cellules et la rentrée des molécules d'ADN. Ces vecteurs produits par des bactéries, facilement purifiables, sont des particules inertes et n'ont pas les caractères potentiellement pathogènes des virus qui sont à l'origine des vecteurs viraux. À l'inverse des vecteurs viraux, ils sont plus faciles à produire, à manipuler et à stocker et sont caractérisables comme des produits pharmaceutiques classiques. Cependant, leur efficacité est bien moindre que celle des virus pour transférer une information génétique dans une grande population de cellules, rendant difficile leur utilisation dans certains cas (modification d'une grande partie des cellules d'une tumeur par exemple). En outre, ils n'ont qu'une capacité très réduite à intégrer l'information génétique dans le génome, les rendant ainsi inutiles pour des modifications génétiques pérennes de populations cellulaires en prolifération active. Cette technologie peut être cependant parfaitement adaptée à certaines stratégies thérapeutiques reposant sur le déclenchement d'une cascade d'évènements à partir de quelques cellules modifiées génétiquement (activation du système immunitaire, par exemple).

Administration du vecteur

De nombreux essais cliniques de thérapie génique ont utilisé une stratégie de protocole dite ex vivo, c'est-à-dire en prélevant des cellules cibles de l’individu et en les soumettant aux vecteurs de transfert du gène thérapeutique en dehors de l'organisme. Les cellules sont ensuite réinjectées au patient. Cela permet aux chercheurs dans certains cas d'évaluer l'ampleur de la modification génétique tant en ce qui concerne le pourcentage de cellules modifiées génétiquement que l'expression des protéines thérapeutiques, ou de présélectionner des populations cellulaires particulières (ex.: les cellules souches sanguines). Néanmoins, certaines stratégies, notamment celles visant à éliminer des tumeurs, ou celles visant à modifier génétiquement des cellules qu'on ne peut manipuler hors de l'organisme, utilisent une approche dite in vivo en injectant directement le vecteur dans le tissu ciblé et en le laissant agir librement.

Stratégies sans limites

La thérapie génique, comme toutes les approches de biotechnologie, repose sur la recherche fondamentale. Les mécanismes biologiques mis en évidence, et leurs origines génétiques sous-jacentes, permettent d’imaginer des stratégies de réparation ou de supplémentation. La réussite de ces stratégies dépend donc autant des capacités à mettre en place des techniques adéquates (transfert de gène efficace, expression cohérente du gène…) que de la justesse avec laquelle sont appréhendés les mécanismes en cause. Leur limite ne dépend que de l’imagination de la communauté scientifique et médicale. Dans cet esprit, on peut distinguer plusieurs grandes approches.

Maladie avec un gène muté : stratégie phare de la thérapie génique

La « réparation » d’une activité génétique est envisagée ou a été testée sur le plan clinique dans de nombreuses pathologies. Certaines immunodéficiences liées à des déficits dans le gène codant l’Adénosine Déaminase, ou dans celui codant la chaîne gamma-c du récepteur à l’Interleukine-2 (protocole Fischer, voir ci-dessous) ou les béta-thalassémies (premier grand succès en 2010[27]). Les hémophilies de type A et B sont respectivement associées à des défauts de production des facteurs VIII et IX de la chaîne de coagulation qui pourraient être produites par des cellules musculaires ou hépatiques libérant ces facteurs dans le sang. Le traitement de la mucoviscidose est envisagé par l’expression du gène codant le CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator) par certaines cellules pulmonaires.

Maladie avec contexte génétique mal connu : « gènes de secours » possibles

Certaines pathologies sont plus complexes en apparence. Ainsi, le traitement de la maladie de Parkinson est abordé de diverses manières dans la mesure où le lien entre la dégénérescence des neurones et une mutation génétique n’est pas clairement établi. Il est par exemple proposé d’exprimer la Décarboxylase de l'acide glutamique (GAD), la Décarboxylase de l'acide aminé aromatique (AADC) ou la Neurturine pour au minimum limiter la dégénérescence.

Cancer, maladie à la génétique trop complexe

Le cancer est essentiellement abordé à travers le concept de destruction directe ou indirecte des cellules cancéreuses. De nombreux protocoles cliniques ont été réalisés en insérant dans les cellules cancéreuses des gènes codant des protéines sensibilisant les cellules cancéreuses à des drogues. Ainsi, le gène codant la thymidine kinase du virus Herpes simplex sensibilise les cellules à un produit normalement inoffensif, le ganciclovir. Les cellules cancéreuses sont modifiées directement dans l’organisme en injectant les vecteurs in vivo et le ganciclovir est administré dans un second temps. Reposant plus sur les évolutions de la recherche fondamentale des vingt dernières années, certaines approches proposent d’utiliser des mécanismes de protection naturelle pour éradiquer les cellules cancéreuses. La stimulation du système immunitaire par la surexpression de cytokines (GM-CSF, Interféron…), ou le rétablissement de chaînes biologiques dite de « mort cellulaire programmée » ou apoptose (surexpression de p53…), font partie de ces stratégies.

Bloquer des processus en transférant un gène

De nombreuses stratégies de blocage biologique ont vu le jour dans les années 1990 essentiellement pour contrer l’infection par le VIH. Expression de protéines virales mutées (leurre) interférant avec les protéines naturelles du virus, expression d’ARN anti-sens capables d’inhiber la traduction de protéines virales, expression de molécules de protection naturelle de la cellule (interférons, protéines de déclenchement de l’apoptose…)… toutes ces stratégies reposent sur une interférence entre les diverses phases du cycle de multiplication du virus et une protéine ou un ARN dont la production est assurée par un vecteur exogène transféré dans les lymphocytes T du patient. Dans un autre domaine, de nombreux groupes travaillent sur l’expression de protéines impliquées dans les mécanismes immunitaires pour bloquer les rejets de greffe (production d’inhibiteur du complément, de cytokines immunosuppressives dérégulant le mécanisme de réponse immunitaire, d’inhibiteurs des interactions entre greffon et cellules immunitaires…). Bien que peu développées, certaines approches s’intéressent également à l’inhibition de la douleur avec par exemple l’expression de la pré-proenképhaline.

Manipuler le développement

Des approches récentes[Quand ?] se sont portées sur l’expression de protéines impliquées dans le développement embryonnaire (protéine NeuroD ou protéine PDX1) pour modifier le statut des cellules hépatiques et les transformer quasiment en cellules pancréatiques afin de redonner au patient diabétique des cellules capables de produire de manière régulée de l’insuline.

Thérapie génique et société

Au début des années 2000, la thérapie génique était le plus souvent inefficace chez l'homme en raison de la combinaison de plusieurs paramètres : l'inefficacité des vecteurs à transduire un pourcentage important de cellules, la difficulté de créer des vecteurs qui permettent de reproduire les cinétiques complexes d'expression des gènes, parfois l'utilisation de gènes thérapeutiques inadéquats en raison d'erreurs conceptuelles concernant les mécanismes de la maladie, l'état de santé de certains patients pour lesquels la thérapie génique ne pourrait rien apporter de toute façon… Cette inefficacité rendaient plus aigües les considérations éthiques, sociologiques, et sécuritaires… avec une question sous-jacente : les recherches devaient-elles être arrêtées ? La poursuite de la recherche dans les vingt ans qui ont suivi ont néanmoins permis de mettre au point quelques traitements. Les problèmes liés au risque de diffusion du virus vecteur dans la population, ainsi que celui d'une transmission germinale (qui conduirait à transmettre à l'enfant du malade les nouveaux gènes lors de la fécondation) sont actuellement pratiquement inexistants, et les effets secondaires, s'ils restent dramatiques sur le plan humain, sont globalement très rares et ne justifient pas un arrêt des efforts de R & D. Les diverses instances impliquées dans le contrôle des essais en thérapie génique (l'ANSM en France, Le RAC aux États-Unis) ont adopté des cadres réglementaires permettant une protection optimale du patient et de son entourage, et on peut considérer aujourd'hui que la thérapie génique n'est « pas plus risquée » que les autres approches thérapeutiques expérimentales[28].

Un problème sociologique et éthique, classique de toute approche médicale reposant sur la biotechnologie, est celui du coût et de l'effort financier que la société consent au développement de la thérapie génique. Encore inexistant d'un point de vue commercial, le coût de la thérapie génique est actuellement assuré par les organismes publics caritatifs ou gouvernementaux, et surtout par l'industrie. Considérée comme une thérapie de pays riches, ne pouvant pas faire état d'un bilan très positif ni médicalement ni commercialement, et face aux difficultés de financement de la recherche scientifique de nombreuses voix s'élèvent pour demander une redistribution de l'argent alloué à la thérapie génique, et arrêter les investigations[réf. nécessaire]. Dans les faits, le contexte n'est pas aussi manichéen que l'on pourrait imaginer. Par exemple, si le développement de la thérapie génique est le fait de pays riches, certaines études basent leur concept sur l'utilisation de vecteurs de type ADN nu (non viraux) qui pourraient être facilement produits, stockés, envoyés et de coût relativement bas permettant ainsi à des pays pauvres d'accéder à des traitements qui aujourd'hui reposent sur des approches médicamenteuses lourdes sur le plan financier.

Auto-expérimentation de Parrish

L'Américaine Elizabeth Parrish, PDG de BioViva, est le premier cas connu d'auto-expérimentation d'une thérapie génique[29]. Elle est le « patient zéro » de la technologie de son entreprise, ciblant les caractéristiques du processus de vieillissement, dans une étude personnalisée N=1, à la fois critiquée et louée. Elle s'est rendue en Colombie pour l'administration de son traitement en raison de l'interdiction légale de la démarche par la Food and Drug Administration sur le territoire américain. Ce traitement par injection d'adénovirus lui aurait étendu les télomères leucocytaires. De nombreux spécialistes doutent des résultats en raison des marges d'erreur[30].

Enseignement et études en France

L'enseignement de la thérapie génique ne compose pas une part importante des cours des facultés de sciences de la vie. Cette stratégie est souvent abordée dans les cours de certaines disciplines dans lesquelles la thérapie génique s'est investie durant ces vingt dernières années. En médecine, les internes en biologie médicale peuvent se sensibiliser à ce domaine avec les enseignements de thérapie cellulaire, qui englobent la thérapie génique, au cours de leurs quatre derniers semestres d'internat.

Notes et références

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  2. Thomas Valère, « Thérapie génique :le point sur les essais cliniques », Médecine/sciences, , p. 75 (lire en ligne).
  3. « La thérapie génique : aujourd'hui et demain », VLM, no 191, 4e trimestre 2019, p. 13.
  4. (en) Marina Cavazzana-Calvo, Salima Hacein-Bey, Geneviève de Saint Basile, Fabian Gross, Eric Yvon, Patrick Nusbaum, Françoise Selz, Christophe Hue, Stéphanie Certain, Jean-Laurent Casanova, Philippe Bousso, Françoise Le Deist et Alain Fischer, « Gene Therapy of Human Severe Combined Immunodeficiency (SCID)-X1 Disease », Science, vol. 288, no 5466, , p. 669-672 (lire en ligne).
  5. Jean Rosa, D'une médecine l'autre, Odile Jacob, , p. 302.
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