Tablettes de Tărtăria

Les tablettes de Tărtăria proviennent d'une petite localité au centre de la Roumanie : elles sont à ce pays ce que les tablettes de Glozel sont à la France. Tărtăria est par ailleurs un site archéologique de la Culture de Vinča, mais ces tablettes constituent un artefact atypique. Certains archéologues pensent qu'elles sont apocryphes et relèvent de l'OOPArt.

À titre d'exemple, l'amulette ci-contre montre les travaux agricoles à effectuer en fonction des phases de la lune et des saisons. D'autres montrent la saison de la période de reproduction du bétail et la période de la chasse ou de l'abattage des bêtes, à la manière d'une représentation mnémotechnique. Les partisans de leur authenticité soulignent que des tablettes inscrites de la même époque ont été découvertes à Gradešnica, dans le nord-ouest de la Bulgarie, et à Dispilio dans le nord-ouest de la Grèce.

Contexte

Ces tablettes controversées s'inscrivent dans la polémique protochroniste sur les origines et l'histoire des Daces et des Roumains, initiée par Nicolae Densuşianu dans sa Dacie préhistorique. Ses théories para-historiques, totalement rejetées par l'Académie roumaine, ont été baptisées « dacomanie » ; leur équivalent au sud du Danube est la « thracomanie » bulgare, elle aussi rejetée par l'Académie bulgare. Selon l'ensemble des historiens et des linguistes, les Roumains sont les descendants des Thraco-Romains (Thraces romanisés : voir Origine des roumanophones), mais l'école protochroniste dont le médecin Napoleon Săvescu est le porte-parole actuel, affirme qu'ils seraient les descendants directs des Daces, qui auraient parlé une langue proche du latin, et dans cette idée, les Latins seraient des Daces émigrés en Italie. Les historiens et les linguistes, eux, pensent que les descendants directs des Daces restés non-romanisés, à savoir les Carpes, sont les Albanais[1].

L'école protochroniste ne se contente pas d'affirmer que les Daces seraient à l'origine des Latins, mais affirme aussi qu'ils auraient conquis, deux mille ans avant notre ère, toute l'Europe occidentale, l'Inde et l'Asie jusqu'au Japon, qu'ils seraient à l'origine de la civilisation sumérienne et aussi du premier alphabet au monde (thèses de Viorica Enăchiuc) : les tablettes de Tărtăria viennent en appui à ces thèses qui par ailleurs manquent cruellement de preuves.

Apparition et datation

Les tablettes apparaissent en 1961 : l'archéologue roumain Nicolae Vlassa affirme les avoir déterrées près de Tărtăria, entre Orăștie, Simeria et Cugir (județ d'Alba), en Transylvanie. Il publie une première étude en 1963[2].

Plus tard, à la suite de datations au carbone 14 effectuées en Russie et en Italie (alors que l'on dispose en Roumanie de toute la technologie nécessaire), on affirma qu'elles auraient été gravées entre 5 500 et 4 500 avant J.-C., bien avant les premières tablettes  de Sumer. Ces tablettes seraient liées à la civilisation néolithique de Vinča[3]. Ayant été recuites dans un but de conservation, les tablettes de Tărtăria ne sont plus datables par thermoluminescence[4]. De nouvelles analyses ont confirmé une datation haute, antérieure à 5 000 avant J.-C.[5]

Des inscriptions néolithiques ont été trouvées sur d'autres sites balkaniques, comme le sceau d'argile de Karanovo et la tablette d'argile de Gradešnica, découverts en Bulgarie en 1956 et 1970, respectivement[6]·[7]. Certains auteurs comme Marija Gimbutas ont conclu à l'existence d'une proto-écriture balkanique, plus ancienne que l'écriture sumérienne[8]. C'est aussi l'opinion de Sorin Paliga, qui voit dans les tablettes de Tărtăria une évolution locale de signes abstraits[9].

L’extension de la culture de Vinča au Ve millénaire

Comparaison avec la Mésopotamie

En comparant les tablettes de Tărtăria avec certaines tablettes sumériennes (Uruk IIIb), on a voulu rajeunir la chronologie du néolithique balkanique (Vinča) d'un bon millénaire[10], mais cet argument comparatif n'a pas convaincu les archéologues. Selon Jean-Paul Demoule, il est plus simple d'admettre que la fosse de Tărtăria relève des niveaux Crotofeni, qui datent du début du IIIe millénaire[4].

Selon l'école protochroniste, « des savants russes, américains, bulgares et britanniques » (non nommés, mais supposés plus compétents que leurs collègues roumains) penseraient, d'après les tablettes de Tărtăria, que le peuple de Sumer aurait émigré vers l'Orient à partir de la Dacie, ce qui expliquerait les différences, jugées surprenantes, entre les Sumériens et leurs voisins sémites. Ces tablettes semblent décrire le calendrier agricole lunaire, commun à la plupart des civilisations mésopotamiennes et nordiques 2 000 ans avant notre ère. A contrario, les Égyptiens anciens se basaient sur le lever de l'étoile Sotis. Une entité génétique, l'haplogroupe R1b (L23) se retrouve également tout autour de la mer Noire de même qu'au sud du Kurdistan ce qui expliquerait l'étendue d'un mouvement migratoire lors d'un changement climatique (durant l'Holocène) qui a fait monter le niveau des mers.

Notes et références

  1. Eqrem Çabej, Eric Hamp, Georgiev, Kortlandt, Walter Porzig, Sergent et d'autres linguistes considèrent, dans une perspective paléolinguistique ou phylogénétique, que le proto-albanais s'est formé sur un fond thraco-illyrien vers le VIe siècle, à l'intérieur des terres, subissant un début de romanisation encore sensible dans la langue moderne, tandis que les emprunts les plus anciens de l'albanais aux langues romanes proviennent du diasystème roman oriental et non de l'illyro-roman qui était la langue romane anciennement parlée en Illyrie après la disparition de l'illyrien (pendant l'occupation romaine, l'illyro-roman a remplacé l'illyrien à la manière du gallo-roman remplaçant le celtique en Gaule). Comme les lieux albanais ayant conservé leur appellation antique, ont évolué selon des lois phonétiques propres aux langues slaves et que l'albanais a emprunté tout son vocabulaire maritime au latin et au grec, ces auteurs pensent que les ancêtres des Albanais ont vécu à l'est de l'actuelle Albanie et que les régions côtières de ce pays (thème du Dyrrhacheion) étaient initialement gréco-latines. De nos jours, l'existence en albanais de mots empruntés au roman oriental balkanique et en roumain de mots de substrat apparentés à des mots albanais corrobore cette manière de voir.
  2. (en) Nicolae Vlassa, « Chronology of the Neolithic in Transylvania in the light of the Tartarian settlement's stratigraphy », Dacia, vol. VII, , p. 485-494.
  3. (en) Shan M. M. Winn, Pre-writing in Southeastern Europe : the sign system of the Vinča culture, ca. 4000 B.C., Calgary, Western Publishers, , 421 p. (ISBN 0-919119-09-3), p. 1.
  4. André Leroi-Gourhan (dir.), Dictionnaire de la Préhistoire, Paris, P.U.F., , 1222 p. (ISBN 2-13-041459-1), p. 1026-1027.
  5. (en) Gheorghe Lazarovici et Marco Merlini, « New archaeological data refering to Tărtăria tablets », Documenta Praehistorica, , p. 205-219. (DOI 10.4312/dp.32.16, lire en ligne)
  6. Henri de Saint-Blanquat, « Une écriture avant Sumer ? », Sciences et Avenir, no 294, , p. 674-678.
  7. Stephan Christov, « L'histoire a commencé (sans doute) dans les Balkans », Science et Vie, vol. CXXIV, no 672, , p. 62-65.
  8. Marija Gimbutas, « La fin de l'Europe ancienne », La Recherche, no 87, , p. 228-235.
  9. (en) Sorin Paliga, « The tablets of Tǎrtǎria. An enigma ? A reconsideration and further perspectives », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 19, no 1, , p. 9–43 (DOI 10.3406/dha.1993.2073, lire en ligne, consulté le )
  10. (de) Vladimir Milojčić, « Die Tontafeln von Tărtăria (Siebenbürgen) und die absolute Chronologie des mitteleuropäischen Neolithikums », Germania, vol. 43-2, , p. 261-268.

Bibliographie

  • Nicolae Vlassa, « Chronology of the Neolithic in Transylvania in the light of the Tartarian settlement's stratigraphy », Dacia, VII, 1963, p. 485-494.
  • Evžen Neustupný, « The Tartaria Tablets: A chronological issue », Antiquity, vol. 42, 1968, p. 32-35.

Voir aussi

Liens externes

Articles connexes

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