Summorum Pontificum (motu proprio)

Summorum Pontificum est une lettre apostolique sous forme de motu proprio publiée le , par laquelle le pape Benoît XVI redéfinissait le cadre juridique de la continuation de la célébration de la forme du rite romain qui était en vigueur en 1962, le rite tridentin.

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Summorum Pontificum
Motu proprio du pape Benoît XVI
Date 12 octobre 2006
Sujet Redéfinition du cadre juridique réglant la célébration de la messe selon le Missel romain de 1962.
Chronologie

Les premiers mots (en latin) du document sont Summorum Pontificum cura La sollicitude des souverains pontifes »).

Son principal effet pratique était d'autoriser (art. 1) tout prêtre catholique de l'Église latine, quand il célébrait la messe sans le peuple, à utiliser soit l'édition 1962 soit l'édition 2002 du Missel romain ; et d'autoriser les curés et les recteurs d'églises qui ne sont ni paroissiales ni conventuelles à accepter si un groupe stable de fidèles leur demandait de célébrer la messe selon l'édition 1962 et à utiliser le « rituel ancien pour l’administration des sacrements du baptême, du mariage, de la pénitence et de l’onction des malades ».

Contenu du motu proprio

Par le motu proprio Summorum Pontificum, publié le , texte d'environ quatre pages accompagné d'une lettre pastorale adressée aux évêques, le pape Benoît XVI donnait un cadre canonique à l'usage du « rite tridentin », expression que le pape déplorait, en déclarant à propos des missels de 1962 et de 2002 : « Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel romain comme s’il s’agissait de "deux rites". Il s’agit plutôt d’un double usage de l'unique et même rite[1]».

Messe basse tridentine de requiem dans la crypte de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg.

Pour Benoît XVI, il n'existe qu'un seul rite romain, dont deux formes peuvent légitimement être employées : la « forme ordinaire » (le missel révisé en 2002 par Jean-Paul II, troisième édition typique du missel romain rénové par Paul VI) et la « forme extraordinaire » du même rite romain, sixième édition typique (publiée en 1962 par Jean XXIII) du missel initialement réformé en 1570[2].

L'article 5 concernait les fidèles attachés à la forme tridentine : « Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la messe selon le rite du Missel romain édité en 1962. » L'autorisation de la « forme extraordinaire » dépendait donc du curé ou du recteur de l'église, alors qu'elle était jusque-là réservée à l'évêque[3]. Si le curé ne pouvait répondre à cette demande, il devait s'adresser à l'évêque diocésain, qui devait proposer des solutions. Cependant, l'évêque restait de droit le modérateur de la liturgie et conservait son autorité.

En dehors du cadre public des célébrations paroissiales, la messe « en l'absence de peuple » (sine populo) pouvait être célébrée selon la forme de 2002 ou de 1962, un indult n'étant plus nécessaire (art. 2).

Le motu proprio déclarait donc que la réforme liturgique n’avait pas abrogé juridiquement le missel de 1962, toujours utilisable « en principe » dans l'Église latine. Plusieurs canonistes ont mis en doute l'exactitude de cette affirmation[4],[5],[6].

D'autre part, certains chapitres du Rituel romain avaient été formellement supprimés et remplacés, comme l'extrême-onction remplacée par l'onction des malades[7].

Les clercs conservaient le droit d’utiliser le Bréviaire romain de 1962 pour la liturgie des Heures[8].

Lettres aux évêques

Benoît XVI a envoyé une lettre aux évêques catholiques du monde entier pour accompagner Summorum Pontificum. Il y indique qu'il n'y a pas d'enjeu pastoral fort dans Summorum Pontificum mais que cette redéfinition de l'usage de la messe de 1962 fait craindre à certains l'apparition d'un bi-ritualisme, découlant de la possibilité offerte aux fidèles de choisir entre deux formes de l'unique rite romain, incarnant deux visions de l'Église fort différentes, sinon opposées. « Deux craintes s'opposaient plus directement à ce document », et la longue introduction du motu proprio, ainsi que la lettre d'accompagnement, sont destinées à les dissiper :

L'élévation lors d'une messe pontificale tridentine.
  • D'une part, il y est nettement affirmé que la norme[9] reste le missel de Paul VI, et que rien n'est remis en cause par rapport à l'enseignement de Vatican II (notamment sur la réforme liturgique). « Le nouveau Missel restera certainement la forme ordinaire du rite romain, non seulement en raison des normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans lesquelles se trouvent les communautés de fidèles. »
  • D'autre part, « Il n'y a aucune contradiction entre l'une et l'autre édition du Missale Romanum. » Les deux formes liturgiques doivent être reconnues comme une même lex credendi, et comme deux formes légitimes de la lex orandi, l'une étant la forme ordinaire de l'Église catholique de rite latin, l'autre une forme extraordinaire, « honorée en raison de son usage vénérable et antique ».

La remise à l'honneur de la pratique liturgique tridentine répond aussi à une préoccupation pastorale interne : « Il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle, et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. » Par ailleurs, le pape renouvelle les critiques déjà formulées par Jean-Paul II sur les dérives liturgiques modernes : « En de nombreux endroits on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau Missel (…) cette créativité a souvent porté à des déformations de la Liturgie à la limite du supportable. » Il souhaite en conséquence que « dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, [soit] manifestée de façon plus forte que cela ne l'a été souvent fait jusqu'à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien ».

Relations avec les traditionalistes

C'est la mise en vigueur, en 1969, par le pape Paul VI, du rite romain rénové à la suite du concile Vatican II, la messe de Paul VI, qui était au cœur du conflit entre l'Église et les catholiques traditionalistes, très attachés au rite antérieur dit « rite tridentin ». En 1988, le cardinal Ratzinger (devenu plus tard le pape Benoît XVI) avait tenté un premier rapprochement qui avait échoué.

Autel préparé pour une messe tridentine, Croatie.

Ce motu proprio était une tentative de l'Église pour renouer les liens rompus avec les lefebvristes traditionalistes. Après deux décennies de division et de ruptures (on a même parlé de schisme), marquées notamment par l'excommunication de Marcel Lefebvre et des quatre prêtres ordonnés évêques en 1988, l'Église, après avoir réintégré des prêtres traditionalistes en 2006, venait, à la suite de contacts entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, de faire un grand pas en vue de la résolution du conflit.

Dans sa lettre d'accompagnement, Benoît XVI indique que la « raison positive » de ce motu proprio est de mettre fin à cette division interne. Il constate qu'historiquement, au seuil des schismes passés, « les responsables de l’Église n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité » et que « les omissions dans l’Église ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider ». Il condamne fermement certains discours traditionalistes qui visent à rejeter la réforme liturgique sur des arguments de non-conformité aux dogmes de l'Église : « Pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l'usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. » Cela étant dit, il adresse aux évêques et à tous ceux qui auront des décisions à prendre en ces matières, le plaidoyer de Paul : « Nous vous avons parlé en toute liberté, Corinthiens ; notre cœur s'est grand ouvert. Vous n'êtes pas à l'étroit chez nous ; c'est dans vos cœurs que vous êtes à l'étroit. Payez-nous donc de retour ; … ouvrez tout grand votre cœur, vous aussi ! » (2 Co 6. 11-13).

Ces dispositions sont saluées aussi bien par Bernard Fellay au nom de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, que par les traditionalistes des communautés Ecclesia Dei[10].

Le Saint-Siège lève les décrets d'excommunication le 21 janvier 2009[11], en ajoutant qu'« on espère que ce pas sera suivi de la réalisation rapide de la pleine communion avec l'Église, de toute la Fraternité de Saint-Pie-X[12] », espoir qui ne s'est pas réalisé.

Instructions Universæ Ecclesiæ

Messe solennelle tridentine

Dans la lettre pastorale accompagnant le motu proprio, Benoît XVI annonçait une période probatoire de trois ans pour sa mise en œuvre, demandant aux évêques de lui rendre compte des difficultés d'application à l'issue de cette période. Le processus s'achève quand la Commission pontificale Ecclesia Dei publie, le , un texte d'instructions reprenant plus précisément les principes d'application du motu proprio et en ajoutant quelques dispositions pratiques. Daté du , en la fête de saint Pie V, le texte réaffirme les objectifs : le rite ancien est un précieux trésor à conserver, les fidèles doivent pouvoir y accéder et cela doit permettre de favoriser la réconciliation au sein de l'Église[13].

Les questions de compétence sont clarifiées : c'est l'ordinaire du lieu qui est chargé de régler la mise en œuvre de la forme extraordinaire dans son diocèse, mais la commission pontificale Ecclesia Dei reçoit le pouvoir de trancher les litiges. Le texte offre plusieurs précisions de nature juridique. Une des plus notables est de n'honorer que les demandes de groupes qui acceptent la validité de la forme ordinaire et l'autorité du pape. La formation des séminaristes à la forme extraordinaire est encouragée, toutefois la forme ancienne du sacrement de l'ordre ne peut pas être conféré dans les séminaires diocésains, et est réservé aux instituts Ecclesia Dei[14]. Le texte tout entier est présenté comme un texte d'équilibre visant à la réconciliation[15].

Abrogation en 2021

Par le motu proprio Traditionis custodes publié le , le pape François abroge Summorum Pontificum. Cette décision s’appuie notamment sur une enquête menée en 2020 auprès de l'épiscopat mondial qui a conclu que l'usage du missel de 1962 allait souvent de pair avec un rejet du concile Vatican II et risquait de diviser l'Église[16].

Selon Christophe Dickès, seuls 15% des évêques ont donné des réponses défavorables aux questions posées, 15% étaient en faveur de la messe tridentine, 70% n'ont pas répondu.[17],[18] D'autres affirment (et regrettent) l'absence d'informations sur les résultats de l'enquête n'ont pas été rendus publiés[19]

La célébration avec autorisation ecclésiastique de la messe selon le missel de 1962 reste possible, mais avec de nombreuses limitations. L'autorisation doit être concédée par l'évêque du diocèse (non pas par d'autres évêques et évidemment non par des curés) et en accord avec les orientations du Siège Apostolique ; l'évêque diocésain doit indiquer les endroits, hors des églises paroissiales, où célébrer la messe et établir les jours des célébrations; les lectures devront être faites en langue vernaculaire[20],[21].

Particularité de Summorum Pontificum

La faculté concédée aux évêques diocésains par Jean-Paul II dans les documents Quattuor abhinc annos et Ecclesia Dei ne concernait que l'autorisation de la célébration de la messe de 1962. Benoît XVI a non seulement permis à chaque curé de faire de même, mais l'a également habilité à « concéder l’utilisation du rituel ancien pour l’administration des sacrements du Baptême, du Mariage, de la Pénitence et de l’Onction des Malades »[22].

Le motu proprio Traditionis custodes, qui le 16 juillet 2021 a remplacé Summorum Pontificum, reconnaît que l'évêque diocésain peut autoriser l'emploi du Missel romain de 1962 dans la célébration de la messe, mais pas de livres de la même époque dans l'administration des autres sacrements mentionnés[23].

Notes et références

  1. « Lettre aux évêques qui accompagne la lettre apostolique « Motu Proprio data » Summorum Pontificum, sur l'usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 (7 juillet 2007) | BENOÎT XVI », sur www.vatican.va (consulté le )
  2. « Motu Proprio Summorum Pontificum sur la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970 (7 juillet 2007) | BENOÎT XVI », sur www.vatican.va (consulté le )
  3. Cette situation a été rétablie en juillet 2021 par le motu proprio Traditionis custodes du pape François.
  4. Andrea Grillo. Beyond Pius V: Conflicting Interpretations of the Liturgical Reform. Liturgical Press 2013. p. 104.
  5. Chad James Glendinning, "Summorum Pontificum and the Use of the Extraordinary Form of the Roman Rite A Canonical Analysis in Light of the Current Liturgical Law", pp. 232–241
  6. Normes Liturgiques de l'archidioèse de Washington, chapitre 14, note 1507
  7. « L’ancien Rituel pourra être utilisé jusqu’au 31 décembre 1973. À partir du 1er janvier 1974, seul le nouveau Rituel devra être utilisé par tous. » Paul VI, Constitution apostolique Sacram Unctionem, 1972.
  8. Art. 9 § 3.
  9. Benoît XVI précise dans la lettre : « Il faut dire avant tout que le Missel, publié par Paul VI et réédité ensuite à deux reprises par Jean-Paul II, est et demeure évidemment la forme normale – la forma ordinaria – de la liturgie eucharistique. » Cf. la Lettre du pape aux évêques en ligne.
  10. Communiqué de presse de Bernard Fellay.
  11. (it) Décret de la Congrégation pour les évêques sur la levée de l'excommunication sur le site du Vatican et (fr) Traduction non officielle en français sur le site de la Conférence des évêques de France.
  12. Traduction du décret par l'agence Zenit.
  13. Ces trois points sont exposés au no 8 de l'instruction.
  14. cf. no 31 de l'instruction
  15. « Instruction «Universae Ecclesiae» sur l'application du motu proprio «Summorum Pontificum» », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  16. Xavier Le Normand, « Le pape François limite drastiquement la célébration selon la forme extraordinaire », sur la-croix.com, .
  17. « Traditionis Custodes : "La diversité des rites fait la richesse de l’Église" », sur Aleteia, (consulté le )
  18. « Traditionis Custodes : les neuf questions posées à tous les évêques », sur Aleteia, (consulté le )
  19. Cardinal Leo Burke, Déclaration à propos du Motu proprio “Traditionis Custodes”. Observation 7
  20. Traduction du motu proprio « Traditionis custodes »
  21. Youna Rivallain, « Motu proprio : que change la décision du pape ? », sur la-croix.com, .
  22. Summorum Pontificum, art 9 §1]
  23. On the Implementation in the Archdiocese of Cincinnati of the motu proprio of the Holy Father, Pope Francis, Traditionis custodes III

Annexes

Bibliographie

  • Marc Aillet, Un événement liturgique — ou le sens d'un Motu Proprio, éditions Tempora, 2007, 140 p.
  • Grégoire Celier et Olivier Pichon, Benoît XVI et les traditionalistes, Paris, Entrelacs, 2007, 249 p.

Article connexe

Liens externes

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