Spoliation des biens culturels

La spoliation des biens culturels est la pratique de dépouiller un État ou une personne de son patrimoine (produit des fouilles archéologiques, collections scientifiques, manuscrits rares, œuvres d'art, objets d'antiquité, d'intérêt artistique ou historique, etc.). Ces biens culturels[1] sont obtenus par la violence, la fraude, la ruse, ou le dol, que ce soit en temps de guerre (un cas fréquent est le pillage des œuvres d'art) ou en temps de paix (sous la forme notamment de la confiscation par abus de pouvoir).

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Au cours du sac de Jérusalem, Titus ordonne le pillage de la ville

Histoire

La spoliation est une pratique à grande échelle qui a lieu dès l'Antiquité, notamment avec le pillage des tombeaux égyptiens. Elle se développe avec la conquête romaine des colonies grecques d'Italie au IIIe siècle av. J.-C.. En -70, l'avocat Cicéron traite du pillage d'œuvres d'art dans ses fameuses diatribes contre Caius Licinus Verres qui dépouille les temples de la province romaine de Sicile[2].

Au Moyen Âge et jusqu'à nos jours, le pillage est une pratique fréquente de tout vainqueur qui a le droit de revendiquer comme butin de guerre les biens des ennemis vaincus pour récompenser ses soldats et ses mercenaires[3].

Avant que l'archéologie ne devienne une science dans les années 1880, les restes physiques sont le plus souvent considérés comme des champs de ruines dans lesquels des explorateurs ou des mercenaires se servent sans vergogne (notamment dans les possessions coloniales) pour les revendre aux antiquaires ou les céder aux salles ethnographiques des musées (marbres du Parthénon au British Museum, musées français riches d'œuvres d'art confisquées par les armées napoléoniennes mais aussi révolutionnaires, Napoléon organisant et autorisant le pillage systématique d'œuvres d'art en Europe[4]), cette attitude atteignant son apogée au début du XIXe siècle dans l'Europe en pleine vogue d'antiquarianisme[5].

La dépossession massive d'œuvres d'art a lieu lors du pillage des œuvres d'art en temps de guerre, notamment lors de la Seconde Guerre mondiale. Des services nazis de confiscation, spécialement institués, entreprennent, à partir de listes établies bien avant le déclenchement de la guerre, le pillage et la confiscation de collections publiques et privées dans tous les pays qu'ils occupent ainsi que la spoliation des Juifs[6]. Certains États ou particuliers prennent des mesures pour évacuer leurs chefs-d'œuvre, tel le musée du Louvre[7]. Dès la fin de la guerre se pose le problème de la restitution des œuvres d'art pillées sous le troisième Reich qui se traduit notamment en Allemagne par la Wiedergutmachung (en). La chute de Berlin se traduit également par du pillage, notamment le trésor d'Eberswalde par les Soviétiques.

En 1978, l'UNESCO crée le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale, offrant ainsi un cadre de discussion et de négociation pour la restitution des biens culturels (en)[8]. Depuis la fin des années 1990, les demandes de restitution se multiplient, notamment de la part des États d'Amérique du Sud, du Proche et Moyen Orient et des anciens pays colonisés, ce qui suscite la sensibilisation mais aussi des débats (traitement juridique des contentieux, rôle des musées qui par leur conservation de ces biens ont évité leur disparition ou leur dégradation s'ils étaient restés dans leur pays d'origine) au niveau des musées privés ou publics (à travers le code déontologique du Conseil international des musées adopté en 1986[9]), du marché de l'art et des collectionneurs. Sont révélateurs à cet égard la demande officielle de la Grèce depuis plus de trente ans de la restitution de la frise du Parthénon au British Museum, la demande de l'Égypte en 2011 de restitution du buste de Néfertiti exposé au Neues Museum de Berlin, ou le trésor de Troie qui est restitué en à la Turquie par l'université de Philadelphie[10]. Différentes commissions nationales et internationales (telle la Commission Bergier en Suisse ou la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation en France) de restitution et d’indemnisation sont depuis cette époque mises en place et des dispositions sont prises pour mener des recherches de provenance (de) qui se révèlent parfois complexes comme le montre l'affaire en 2012 du Trésor artistique de Munich. En France, malgré le principe d’inaliénabilité des collections publiques (voir l'édit de Moulins) réaffirmé par la loi du relative aux musées de France[11], les restes de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentotte », sont restitués à l'Afrique du Sud en 2002, quinze têtes maoris sont rendues à la Nouvelle-Zélande en 2010.

Cette pratique subsiste toujours, notamment dans des pays touchés par la corruption ou les troubles (œuvres d'art Yoruba au Nigeria, pillage des musées nationaux irakiens lors de la troisième Guerre du Golfe), essentiellement dans un but mercantile pour alimenter les galeries, les marchands d’art ou les collectionneurs privés[12].

Quelques cas célèbres

Notes et références

  1. L'article premier de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé signée en 1954 à La Haye définit comme biens culturels les biens qui, à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque État comme étant d'importance pour l'archéologie, la préhistoire, l'histoire, la littérature, l'art ou la science, et qui appartiennent aux catégories ci-après : Collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et d'anatomie; objets présentant un intérêt paléontologique ; biens concernant l'histoire, y compris l'histoire des sciences et des techniques, l'histoire militaire et sociale ainsi que la vie des dirigeants, penseurs, savants et artistes nationaux, et les événements d'importance nationale ; produit des fouilles archéologiques (régulières et clandestines) et des découvertes archéologiques ; éléments provenant du démembrement de monuments artistiques ou historiques et des sites archéologiques ; objets d'antiquité ayant plus de cent ans d'âge, tels qu'inscriptions, monnaies et sceaux gravés ; matériel ethnologique ; biens d'intérêt artistique tels que tableaux, peintures et dessins faits entièrement à la main sur tout support et en toutes matières (à l'exclusion des dessins industriels et des articles manufacturés à la main) ; productions originales de l'art statuaire et de la sculpture, en toutes matières ; gravures, estampes et lithographies originales ; assemblages et montages artistiques originaux, en toutes matières ; manuscrits rares et incunables, livres, documents et publications anciens d'intérêt spécial (historique, artistique, scientifique, littéraire, etc.) isolés ou en collections ; timbres-poste, timbres fiscaux et analogues, isolés ou en collections ; archives, y compris les archives phonographiques, photographiques et cinématographiques ; objets d'ameublement ayant plus de cent ans d'âge et instruments de musique anciens.
  2. Didier Fontannaz et Laurent Flutsch, Le pillage du patrimoine archéologique. Des razzias coloniales au marché de l'art, un désastre culturel, Favre Sa, , p. 42
  3. Michael Jucker, « Le butin de guerre au Moyen Âge. Aspects symboliques et économiques », Francia, no 36, , p. 113–133
  4. Thierry Lentz, Napoléon, Le Cavalier Bleu, , p. 57
  5. (de) Hartmut Böhme, Christof Rapp, Wolfgang Rösler, Alain Schnapp et al., Übersetzung und Transformation [« Le sentiment des ruines, de l’Orient ancien aux Lumières : continuités et transformations »], Berlin New York, Walter De Gruyter, , 549 p. (ISBN 978-3-11-019348-0), p. 193–216
  6. Lynn H. Nicholas, Le pillage de l'Europe : les œuvres d'art volées par les Nazis, Éditions du Seuil,
  7. Michel Rayssac, L'exode des musées : Histoire des œuvres d'art sous l'Occupation, Payot, , 1006 p. (ISBN 978-2-228-90172-7 et 2-228-90172-5)
  8. « Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?), Portail de l'UNESCO
  9. Code de déontologie de l’ICOM pour les musées
  10. Guillaume Perrier, « La Turquie réclame le retour de ses trésors antiques », sur lemonde.fr,
  11. Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France
  12. Philippe Baqué, Un nouvel or noir. Pillage des œuvres d'art en Afrique, Paris-Méditerranée, , 191 p.

Annexes

Bibliographie

  • Héctor Feliciano, Le musée disparu : Enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis, Gallimard, , 400 p.
  • Nathaniel Herzberg, Le musée invisible. Les chefs-d'œuvre volés, Éditions du Toucan, , 2010 p.
  • Corinne Bouchoux et Laurent Douzou, « Si les tableaux pouvaient parler...». Le traitement politique et médiatique des retours d'œuvres d'art pillées, Presses universitaires de Rennes, , 552 p.
  • Corinne Bouchoux et Laurent Douzou, Saisies, spoliations et restitutions : Archives et bibliothèques au XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, , 383 p.
  • Melissa Müller, Monika Tatzkow et Marc J. Masurovski, Œuvres volées, destins brisés, Beaux-Arts éditions, , 288 p.
  • Laurent Flutsch et Didier Fontannaz, Le pillage du patrimoine archéologique. Des razzias coloniales au marché de l'art, un désastre culturel, Favre, , 211 p.
  • Corinne Hershkovitch, Didier Rykner, La restitution des œuvres d'art. Solutions et impasses, Hazan, , 127 p.

Articles connexes

Liens externes

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