Razika Adnani

Razika Adnani est une philosophe, islamologue et conférencière franco-algérienne. Elle est membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l'Islam de France[1] et membre du conseil scientifique du Centre civique d’étude du fait religieux (CCEFR)[2].

Elle est également présidente fondatrice des Journées internationales de philosophie d’Alger (JIPA[3]).

Parcours et idées

Enseignante

Jusqu’en 2005, elle enseigne la philosophie en Algérie. Elle publie en 2001 et 2003 deux précis de philosophie destinés aux lycéens.

Elle quitte l'enseignement afin de s’investir complètement dans la réflexion philosophique ainsi que dans la recherche sur l’Islam et la pensée musulmane.

Philosophe, spécialiste de l’islam

D'un point de vue philosophique, Razika Adnani est influencée par la Philosophie des Lumières et des humanistes tels que Kant et Spinoza. Penseur de l'islam, elle s’inscrit dans la lignée d'intellectuels comme Mohammed Arkoun ou Nasr Hamid Abou Zeid qui interrogent la pensée musulmane en vue de la renouveler, pour un islam plus adapté aux conditions sociales et politiques de la société d’aujourd’hui, où l’individu vit de plus en plus au contact avec l’autre.

« Si la philosophie ne répond pas avec certitude à nos questions, en revanche, elle nous propose plusieurs « voix » possibles. En nous faisant admettre notre incapacité à atteindre la vérité absolue, elle nous apprend à écouter l’autre, elle nous apprend la tolérance. » Razika Adnani.

Les ouvrages qu’elle publie depuis 2011 sont le fruit des diverses voies de recherche dans lesquelles elle s’est engagée.

Violence et identité

Avec La nécessaire réconciliation, essai paru en France en 2014, Razika Adnani réfléchit sur  la question de la violence, de la relation à l’autre, à soi et à l’histoire. Cet ouvrage emprunte à l’Algérie la matière de sa réflexion, mais ouvre le champ sur les questions relatives au rapport à la violence et à la mémoire.

Sa réflexion la mène à forger sa propre théorie de « la moralisation de la violence », phénomène qui n’est pour elle qu’un signe de corruption de la conscience morale ; ainsi, elle met en garde contre le risque de « moraliser la violence » :

« Si la violence devient une valeur morale, rien ne l’arrête, rien ne nous arrête ![4] »

Par ailleurs, Razika Adnani met en évidence la relation entre violence et manque de maturité. Dans un entretien au magazine Reporters en mai 2017, elle déclare :

« La violence s’exprime là où l’humain manque de maturité parce que le travail nécessaire pour lui apprendre les valeurs de l’humanité et lui apprendre à maîtriser ses instincts n’a pas été fait. L’humain, comme le dit Ibn Khaldûn, est le seul être qui possède l’intelligence et la main : deux outils indispensables pour créer et construire. Quand l’éducation manque et que la qualité humaine est par conséquent médiocre, ces deux outils, mal utilisés, deviennent nuisibles[5]. »

Pour elle maturité et modernité sont indissociablement liées. Elle réfute l’idée que la modernité soit associée à un temps donné :

« Dirait-on que Montesquieu, Rousseau et Voltaire ne sont pas modernes parce qu’ils n’appartiennent plus au « maintenant ? […] qu’est-ce que la modernité si ce n’est l’âge mature de l’humanité [6]»

Enfin, pour elle la relation que nous entretenons avec nous-mêmes détermine celle que nous entretenons avec autrui, et met ainsi en évidence les rapports entre violence, relation à l’autre, à soi et à l’histoire.

Pensée musulmane: histoire, analyse et enjeux

Son intérêt pour la pensée musulmane découle d’un constat : on ne peut comprendre les phénomènes religieux, sociaux ou politiques qui prévalent aujourd’hui au sein de l’islam sans interroger son histoire, et précisément celle de la pensée musulmane. Elle écrit :

« C’est pendant [sa période la plus ancienne] que la pensée musulmane a connu non seulement ses problématiques les plus fondamentales et ses idées les plus novatrices, mais aussi les théories et les décrets qui continuent à s’imposer et à façonner en grande partie l’islam tel qu’il est compris et pratiqué. […] De ce fait, la connaissance de cette histoire est indispensable pour comprendre les problèmes que rencontrent l’islam et la pensée musulmane aujourd’hui[7]

Ainsi publie-t-elle en 2011 un ouvrage en arabe intitulé Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique à l’islam ?

Puis en 2017, elle prolonge et amplifie sa réflexion dans un livre en français : Islam : quel problème ? Les défis de la réforme, essai sur la pensée musulmane depuis les origines. Elle y détaille les relations, souvent tendues, entre religion musulmane, pensée et raison ; elle met en évidence la grande diversité de courants de pensée dont certains, comme le mutazilisme, sont très éloignés des courants dominants actuels. Elle analyse enfin les malentendus historiques sur le sens donné au mot même de « réforme » et esquisse des pistes pour inscrire l’Islam dans le XXIe siècle.

Elle appelle à une réforme orientée vers l’avenir, non pas tournée vers le passé ; elle invite à s’affranchir de l’esprit salafiste qui bloque l’islam et à réhabiliter la pensée créatrice et rationnelle, en réalité, celle de l’humain face au divin. Comme le souligne le journaliste et essayiste Joseph Macé-Scaron : « De Rachid Benzine à Ghaleb Bencheikh en passant par Razika Adnani, nombreux sont les islamologues à en appeler à accélérer le mouvement en vue de libérer la parole du dogmatisme archaïque. » (Marianne, 20 novembre 2015[8]).

Razika Adnani ajoute que la réforme est une question de responsabilité :

« La responsabilité des musulmans envers eux-mêmes et envers leur religion ne leur permet plus de se contenter de nier tout lien entre leur religion et les agissements barbares commis en son nom. […] Réformer l’islam est également un acte de responsabilité des musulmans envers les autres, car ils vivent avec eux. Leur devoir les oblige à revoir les règles concernant leur rapport à l’autre et le regard qu’il porte sur lui. […] Le faire est une forme d’honnêteté envers soi-même, mais aussi envers les autres[9]»

Dans ses ouvrages, comme à travers ses tribunes et articles publiés dans les presses française et étrangère (cf. cette section), elle approfondit sa pensée sur des sujets précis : raison et religion, égalité homme-femme, apostasie etc. De même, elle participe à des débats tels que la réforme de l’Islam ou l’apprentissage de l’arabe à l’école. Interrogée par le journaliste Alexis Feertchak sur l’emploi, à l'école publique, de la formule de salut ‘salam aleikoum’, elle déclare qu'il « faut plutôt éviter d'employer la formule ‘Salam aleikoum' dans le cadre de l'enseignement laïc », et précise : « Ça illustre la très grande difficulté de séparer la langue arabe de l'islam. Dans les pays du sud de la Méditerranée, l'arabisation n'a d'ailleurs pas empêché le développement de l'islamisme. Je crains qu'il y ait encore davantage de communautarisme dans les cours d'école ». (Le Figaro, 22 novembre 2018[10]).

Dans un entretien accordé au journaliste Antoine de Tournemire à l'occasion de la Conférence Internationale de Paris « L’Islam au XXIe siècle » (UNESCO 26-27 février 2019), elle réaffirme son attachement à la « séparation entre le politique et le religieux » comme « ultime solution » […] « pour une paix politique et sociale »[11]

Lors de ce même colloque (UNESCO, 26 février), elle témoigne de l’impact du fondamentalisme religieux sur la vie des femmes à travers un cas qu’elle a vécu et clôt ainsi le thème « Islam et Égalité ». Son témoignage est disponible sur la Chaîne de l'évènement[12].

Une philosophe engagée dans la société

Rare femme islamologue, qui maîtrise parfaitement le français et l'arabe, elle est reconnue comme expert sur les questions ayant trait à l’Islam.

Participation à des groupes de réflexion

En 2017, elle intègre le Conseil d’Orientation de la Fondation de l'islam de France présidée par l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement.

Elle est par ailleurs membre de l'association Euromed- IHEDN et du groupe d’analyse de JFC Conseil.

Conférences

De 2015 à 2017, elle intervient lors du séminaire « Les nouveaux fondamentalistes » du Collège des Bernardins et participe à une table ronde du colloque conclusif le 15 mars 2017[13]. Elle précise le sens de son intervention dans une vidéo publiée par les Bernardins.

De 2014 à 2016, elle anime un cycle de conférences à l'Université Populaire de Caen sur le thème "Penser l'islam"[14].

En 2017 et 2018, elle intègre l'Université Populaire de Nantes où elle donne un cycle de conférences sur la pensée musulmane.

En février 2019, Razika Adnani porte témoignage sur le thème « Islam et Égalité » lors du colloque « L’Islam au XXIe siècle » des 26 et 27 février 2019[15] à l’UNESCO.

Enfin, elle collabore depuis 2014 avec le Ministère de la Justice dans le contexte de la formation des cadres qui prennent en charge des jeunes radicalisés.

Débats

Elle débat régulièrement avec des intellectuels et des personnalités sur des sujets de société :

"Algérie : la fin du système" : interrogée par Christine Ockrent, elle se montre raisonnablement optimiste quant aux changements politiques en cours en Algérie (Affaires étrangères, France Culture, 9 mars 2019[16]) : « Je pense qu'on est devant une nouvelle société algérienne. Il y a un avant et un après 22 février. […] Cette population a surpris tout le monde. C'est quelque chose d'extraordinaire. »

"L’islam doit-il et peut-il changer ?", avec Annie Laurent, 15 juin 2018 (Ichtus au service de la Cité)

"Islam en Europe", avec Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner, mai 2017 (Radio-télévision slovaque rtv:)

Journées Internationales de Philosophie d’Alger

En 2015, elle fonde, organise et anime les premières Journées Internationales de Philosophie d'Alger (Thème : « Autrui »), évènement dont le succès est confirmé par une deuxième édition en 2017 (Thème : « Le beau »), puis une troisième en 2018 (Thème : « La violence »). Une quatrième édition est en préparation pour 2019.

« J'ai fondé les Journées Internationales de Philosophie d'Alger afin de donner à la philosophie toute la place qu’elle mérite au sein de la société ; lui permettre d'être proche de l'individu, de ses préoccupations et de ses questionnements. » Razika Adnani.

Ouvrages

Manuels de philosophie

  • El Kafifi el Falsafa (publié en arabe ; éditions Rayhana, 2001 et 2003). Deux précis de philosophie destinés aux lycéens sur l’art de disserter en philosophie suivis chacun d’un dictionnaire de philosophie. Cette publication est une première en Algérie.

Essais

Depuis 2011, Razika Adnani a publié trois ouvrages en français et en arabe.

Elle y développe une analyse de fond, guidée par la raison, de phénomènes le plus souvent appréhendés sous le prisme de la passion ou de l’actualité. Son style fluide, sans jargon, fait de ses livres des ouvrages de référence très accessibles.

Le blocage de la raison dans la pensée musulmane est-il bénéfique ou maléfique pour l’islam ? (publié en arabe ; Afrique Orient Éditions, Maroc, 2011). Thème principal : problématique de la raison dans la pensée musulmane. En exergue de sa critique, le journal Le Matin (Maroc) résume le propos de l’auteur : « La raison sert-elle la religion musulmane ou au contraire la dessert-elle ? » (Le Matin, 22 avril 2013[17]). Dans son analyse, l’éditorialiste des pages Culture du Journal Liberté écrit : « Par son ouvrage, Razika Adnani ressuscite la problématique de l’accord entre la raison et la religion et relance le débat considéré comme clos dans la pensée musulmane depuis l’échec d’Ibn Rochd (Averroès). » (Liberté, 28 novembre 2012[18])

La nécessaire réconciliation (publié en français ; éditions UPblisher, France, 2014 et 2e édition 2017). Thème principal : violence et phénomène de moralisation de la violence à partir d’une analyse sociologique et historique de l’Algérie (cf. le long entretien au magazine Reporters du 21 mai 2017[5] consacré à cet ouvrage). À ce sujet, le poète algérien Hassani M'hamed a écrit : « Razika Adnani [est] celle qui ose se présenter comme philosophe dans une Algérie perturbée depuis des années. Une Algérie insoumise mais fragilisée par des années de violence et de discours irrationnels. Elle ose philosopher, remuer l’inertie sociale pour rendre des concepts banalisés opérationnels, redonner goût à la vie au quotidien en réhabilitant l’autre, sans qui le moi perd toute humanité. » (Hassani Mhamed, 1er novembre 2017[19])

Islam : quel problème ? Les défis de la réforme (publié en français ; éditions UPblisher, France, 2017). Thème principal : analyse de la pensée musulmane des origines à nos jours. Comme le souligne Jacques Munier (Le Journal des idées, France Culture, 28 mars 2018[20]), l’auteur promeut un examen des phénomènes religieux, à commencer par le radicalisme, qui dépasse les cadres géographique et sociologique. Ghaleb Bencheikh précise (Questions d’islam, France Culture, 16 juin 2018[21]) : « Elle revisite l’histoire de la pensée islamique en passant en revue les différentes théories qui ont participé à la longue et lente construction humaine du fait islamique. Elle pense que cette connaissance est une étape nécessaire pour savoir où se situent les blocages et œuvrer pour une véritable réforme de la pensée islamique. »

Tribunes et articles sur des sujets d'actualité

Depuis 2010, Razika Adnani est régulièrement invitée par la presse à s’exprimer sur des sujets d’actualité relatifs à l'identité, la violence ou liés à l’Islam. En marge de ses ouvrages et conférences, ces publications précisent sa pensée sur des points particuliers des doctrines islamiques, théologiques ou juridiques, comme en atteste la sélection suivante :

Références

  1. « La Fondation de l’islam de France s’ouvre aux femmes », sur La Croix,
  2. « Conseil scientifique CCEFR (liste des membres) », sur Centre civique d’étude du fait religieux
  3. « Journées Internationales de Philosophie d’Alger », sur Razika Adnani
  4. Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, 2e édition, Éditions UPblisher (ISBN 978-2-7599-0325-2), page 27
  5. Omar Merzoug, « Razika Adnani : Philosophe, islamologue et conférencière : " La violence s’exprime là où l’humain manque de maturité " », Reporters, (lire en ligne)
  6. Razika Adnani, La nécessaire réconciliation, 2e édition, Éditions UPblisher (ISBN 978-2-7599-0325-2), pages 61 et 76
  7. Razika Adnani, Islam : Quel Problème ? Les Défis de la Réforme, Éditions UPblisher, , 210 p. (ISBN 978-2-7599-0339-9), page 11
  8. Joseph Macé-Scaron, « L'islamisme, cette hérésie », Marianne, (lire en ligne)
  9. Razika Adnani, « La réforme de l’islam, une question de responsabilité », econostrum.info, (lire en ligne)
  10. Alexis Feertchak, « Laïcité, neutralité politique : une vidéo sur l'enseignement de l'arabe vivement critiquée », Le Figaro, (lire en ligne)
  11. Antoine de Tournemire, « Razika Adnani : La séparation entre le politique et le religieux est l’ultime solution (…) dans tous les pays qui aspirent à une paix politique et sociale », L’Islam au XXIe siècle, (lire en ligne)
  12. « Intervention de Razika Adnani », L’Islam au XXIe siècle "Islam et Égalité", unesco, 26 février 2019 (lire en ligne)
  13. « Collège des Bernardins - Programme colloque conclusif 15 mars 2017 », sur Collège des Bernardins
  14. « Université populaire de Caen - Programme colloque "Penser l'Islam" », sur Université populaire de Caen
  15. « Conférence internationale de Paris », sur L’Islam au XXIe siècle
  16. Christine Ockrent, « Algérie : la fin du système », France Culture, Affaires étrangères, (lire en ligne)
  17. Pages Culture, « La problématique de la raison dans la pensée musulmane », Le Matin, (lire en ligne)
  18. Pages Culture, « Problématique de la raison en religion », Liberté, (lire en ligne)
  19. Hassani M'hamed, « Portrait; Razika Adnani, philosophe et islamologue algérienne », blog du poète et dramaturge Hassani M'hamed, (lire en ligne)
  20. Jacques Munier, « Islam, problème et solution à la fois », France Culture, Le Journal des idées, (lire en ligne)
  21. Ghaleb Bencheikh, « Razika Adnani : une certaine idée sur la réforme de la pensée islamique », France Culture, Questions d’islam, (lire en ligne)

Liens externes

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