Quipu

Quipu, quipou, khipu ou quipo, signifie « nœud » et « compte » en quechua. Le terme désigne aujourd'hui les objets qu'utilisait l'administration inca pour le recensement des données statistiques concernant l'économie et la société de l'empire. En l'absence d'écriture, l'administration figurait les entiers naturels à l'aide de successions de nœuds le long de cordelettes de diverses couleurs fixées à une corde : l'ensemble constituait un quipu[1].

Ne doit pas être confondu avec Queipo.

Représentation d'un quipu.

Il est toutefois possible qu'une partie des quipus ait véhiculé une information d'un autre type, notamment des mots-clefs comme payé ou vendu, voire de véritables textes[2].

Principe

Les Incas ne disposaient pas de système d'écriture, à la différence des Mayas et des Aztèques. Les quipus sont un système de représentation des nombres exprimés dans un système de numération positionnel en base 10. Chaque cordelette comporte trois types de nœuds distincts :

  • des nœuds simples (demi-nœuds), chacun représentant une unité, au plus haut nombre de neuf ;
  • des nœuds compliqués, formés d'un demi-nœud auquel on ajoute un ou plusieurs tours, chacun représentant une dizaine, au plus haut nombre de neuf ;
  • des nœuds de huit, chacun représentant une centaine, au plus haut nombre de neuf.

Un tel alignement de nœuds sur une cordelette permettait de former un nombre entier inférieur ou égal à 999. Dans cette écriture des entiers, le 0 était remplacé par l'absence de nœuds de tel ou tel type.

L'enregistrement d'un entier supérieur demandait l'utilisation de plusieurs cordelettes. L'ajout d'une seconde cordelette attachée à la première permettait de passer 999 à 1 000. Une éventuelle troisième cordelette attachée alors à la seconde permettait le passage de 999 999 à 1 000 000.

Exemple : 203 956 demande deux cordelettes :

  • la première cordelette comporte 9 nœuds de huit, 5 nœuds compliqués, 6 nœuds simples ;
  • la seconde comporte 2 nœuds de huit, aucun nœud compliqué, 3 nœuds simples.

La première cordelette était attachée à une corde.

Quipu au Musée Larco à Lima

Contexte

Les quipus constituent un système original de consignation de données qui a été développé très tôt dans le Pérou ancien. En effet, certains pourraient dater de quelques milliers d'années comme ceux découverts par Ruth Shady sur le site de la civilisation de Caral remontant à 4 500 ans[3].

On connait surtout les quipus pour l'utilité qu'en avait l'administration inca. Celle-ci s'en servait pour toute la gestion économique et sociale de l'empire. Les quipucamayocs maîtres du Quipu »), présents au nombre de trois au minimum dans chaque communauté, recensaient toutes les données démographiques et économiques du lieu. Ces données renvoyées vers les centres administratifs de l'empire permettaient aux Incas de contrôler la prospérité des communautés. Ils pouvaient ainsi répartir les surplus vers les communautés moins florissantes.

Les quipus semblent également avoir constitué un outil de communication dans l'ancien Pérou ; Garcilaso de la Vega, chroniqueur fils d'une princesse inca et d'un noble espagnol, nous rapporte un témoignage d'une telle utilisation. On sait en effet que les chaskis (les hommes à pied qui parcouraient l'Empire pour remettre le courrier) utilisaient les quipus pour mémoriser les messages avec des données qualitatives et quantitatives.

Le quipu péruvien VA 42527 (Museum für Völkerkunde, Berlin), déjà étudié par Gary Urton, comporte une division en quatre quadrants très particulière. En associant l’analyse statistique des données à une étude de type expérimentale de ce quipu, de façon curieuse, Alberto Sáez-Rodríguez[4] ouvre de nouvelles pistes de recherche dans l’étude des quipus. Dans son article scientifique, Alberto Sáez-Rodríguez prouve l'existence d'une carte stellaire en deux dimensions, correspondant aux coordonnées X, Y des 6 étoiles les plus brillantes de l'amas ouvert des Pléiades (M45). L’enjeu de ce travail est de démontrer que les Incas connaissaient bien un système de coordonnées rectangulaires 200 ans avant René Descartes.

Vers une pierre de Rosette

Le site archéologique de Incahuasi, dont les premiers quipus ont été découverts en 2013, permettra aux scientifiques d'en comparer un grand nombre ainsi que des objets avec lesquels ils ont été découverts. L'un des plus grands experts en quipus, Gary Urton, qui travaille aussi sur le site avec Alejandro Chu, qui a mené les excavations, a déclaré que sans être une véritable pierre de Rosette, il s'agit d'une importante quantité de nouvelles données et qu'il sera possible de bâtir un vocabulaire de base[1].

Près d'un tiers des quipus connus sont plus élaborés que les autres, et semblent comporter des informations autres que des chiffres. Gary Urton a passé 25 ans à rechercher, numériser et étudier plus de 900 quipus : la couleur des cordelettes, la structure des nœuds et leur orientation par rapport à l'ensemble sont variables et semble-t-il signifiantes. Un nœud simple peut par exemple signifier ou payé selon qu'il est fait dans un sens ou dans l'autre. L'orientation des nœuds et la couleur des cordelettes, voire la façon dont elles sont nouées à la ficelle principale, peuvent correspondre au statut social des individus dont on consigne les tributs, voire aux noms des clans ou des individus. Avec 95 combinaisons différentes des couleurs, types de fibres et types de nœuds, on pourrait même être en présence d'une écriture syllabique[2].

Culture populaire

  • Les quipus sont mentionnés abondamment dans le dessin animé Les Mystérieuses Cités d'or de 1983, dans lequel, déchiffrés par le personnage de Zia, ils aident les héros à comprendre certaines des coutumes Incas à de maintes reprises[5].
  • Ils sont également mentionnés dans l'épisode 13 de la série Il était une fois... l'Espace, dont l'intrigue tourne autour d'une civilisation Inca.
  • À la fin de la bande dessinée La Nuit de l'Inca de Frantz Duchazeau et Fabien Vehlmann, les seigneurs assemblés ordonnent aux Quipucamayoc de dénouer tous les quipus contant l'histoire de l'Inca sacrilège, en une damnatio memoriae doublée d'une amnistie générale.
  • L'artiste Cecilia Vicuña utilise le motif du quipu pour ses performances interactives créant des installations immersives et monumentales[6].

Notes et références

  1. (en) William Neuman, « Untangling an Accounting Tool and an Ancient Incan Mystery », sur The New York Times, (consulté le ).
  2. Daniel Cossins, « Ainsi écrivaient les Incas », Courrier international, no 1462, 8-14 novembre 2018, p. 46-49.
    (en) Daniel Cossins, « We thought the Incas couldn’t write. These knots change everything », New Scientist, (lire en ligne, consulté le ).
  3. Tradición andina: Edad de oro, Teodosio Chávez C., Israel Chávez S. & Nadia Chávez S., T Chavez C, 2007, p. 130-31
  4. Saez-Rodríguez, A. (2012). An Ethnomathematics Exercise for Analyzing a Khipu Sample from Pachacamac (Perú). Revista Latinoamericana de Etnomatemática. 5(1), 62–88
  5. Les Mystérieuses Cités d'Or, saison 1, épisode 6 "Le Vaisseau Solaris" (M.K. Production, Le Studio Pierrot, D.I.C.)
  6. Juliet Lynd, « Precarious Resistance: Weaving Opposition in the Poetry of Cecilia Vicuña », PMLA, vol. 120, no 5, , p. 1588–1607 (JSTOR 25486270)

Voir aussi

Bibliographie

  • Marcia Ascher, Mathématiques d'ailleurs, nombres, formes et jeux dans les sociétés traditionnelles, Éditions du Seuil, .
  • (en) A. Saez-Rodríguez, « An Ethnomathematics Exercise for Analyzing a Khipu Sample from Pachacamac (Perú) », Revista Latinoamericana de Etnomatemática, vol. 5, no 1, , p. 62–88.
  • (en) Gary Urton, Signs of the Inka khipu : Binary coding in the Andean knotted-string records, Austin, University of Texas Press, , 1re éd., 202 p. (ISBN 978-0-292-78539-7, OCLC 50323023)

Liens externes

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