Philistinisme

Le philistinisme est un concept développé par la politologue, journaliste et philosophe allemande Hannah Arendt, dans son ouvrage La Crise de la culture (ou Between Past and Future pour la version originale).

Description

Il se scinde en deux branches :

  • le philistinisme inculte
  • le philistinisme cultivé

Ce terme est antérieur à sa redéfinition et à la théorie de son emploi, élaborées par Arendt. Basiquement, un philistin se dit de quelqu'un qui est fermé aux arts, aux lettres, et aux inventions[1]. Ce mot provient de l'allemand Philister et était autrefois employé comme expression par les étudiants allemands afin de désigner les individus étrangers aux universités (c'est-à-dire les marchands, ou encore les bourgeois)[2]. C'est aussi ce que les Grecs appelaient l' apeirokalia à savoir une forme de vulgarité, et un manque d'expérimentation, de connaissance des belles choses (qui ont la capacité d'émouvoir).

Le philistinisme inculte

Le philistinisme inculte est une notion définie par Arendt telle qu'un « état d'esprit qui juge de tout en termes d'utilité immédiate et de valeurs matérielles et n'a donc pas d'yeux pour des objets et des occupations aussi inutiles que ceux relevant de la nature et de l'art »[2]. C'est ainsi le sens que l'on retrouvait chez les Grecs, et chez les étudiants allemands évoqués précédemment.

Le monde selon Arendt est ce qui unit les hommes dans leurs désaccords, clivages et divergences, ce qui leur est commun, ce qui créé un lien entre eux, et ce qu'ils partagent. Ce monde n'est autre que l'esprit, et l'ensemble de ses œuvres (art et culture) dans la mesure où l'apparence de l'esprit est la beauté.

Ainsi, celui qui se désintéresse des arts et de la culture, se désintéresse des choses belles, émancipatrices, sources d’élévation, de libération et d'unité. Il se préoccupe davantage des choses matérielles, monnayables, rentables et ne fait pas d'efforts de pensée. Ces incultes sont décrits par Hannah Arendt comme de « simples faiseurs d'argent ».

Le philistinisme cultivé

Le philistin cultivé, lui, est tout autre, dans la mesure où il s'intéresse effectivement à la culture, mais pour des raisons perçues comme illégitimes par Arendt, et qui sont loin de celles inhérentes et propres aux grandes œuvres de l'esprit humain.

En effet, cette notion renvoie à l'ensemble des personnes qui utilisent les biens culturels comme instrument, comme un moyen au service de leur élévation dans les rangs sociétaux. Ils portent certes un intérêt à la culture, mais ce n'est que pour nourrir les passions sociales que sont la recherche de pouvoir et de prestige. Ils consacrent ainsi du temps à l'étude des œuvres uniquement pour en tirer des bénéfices symboliques, une position sociale qu'ils jugent supérieure, en servant des intérêts narcissiques. Ce sont des intellectuels qui font preuve d'un comportement snob, ou encore hautain, puisqu'ils utilisent l'art (à l'instar d'une monnaie ou d'une marchandise échangeable), pour se distinguer, appartenir aux classes dirigeantes et pour jouir d'un sentiment de domination. Ce processus se traduira par exemple lorsque le philistin cultivé instruira un autre individu, sur une notion méconnue par ce dernier. Il aura alors l'impression de briller dans le regard de l'autre, de susciter l'admiration (tant convoitée)[3]. Ce mécanisme social sera cependant effectué de manière désavouée et cachée par le masque du désintéressement[3]. « Dans cette lutte pour une position sociale, la culture commença à jouer un rôle considérable : celui d'une des armes, sinon la mieux adaptée, pour parvenir socialement et s'éduquer »[2]. L'art devient une clef au développement, à l'éducation et à l'enrichissement personnel, quand il devrait être une clef à la contemplation et à l'expression d'émotions. « Ce peut être aussi utile, aussi légitime de regarder un tableau en vue de parfaire sa connaissance d'une période donnée, qu'il est utile et légitime d'utiliser une peinture pour boucher un trou dans un mur »[2].

De plus, Arendt précise que ce comportement s'observe dans la société, ou encore la bonne société, c'est-à-dire les couches de la population qui disposent de plus de richesses et de temps libre (elles correspondent à la bourgeoisie et l'aristocratie du XIXe siècle).

Arendt affirme que cette utilisation particulière de l'art, et ces finalités qui lui sont octroyées, détournent le philistin du réel message, et de la réelle portée de l’œuvre, à savoir : « le pouvoir d'arrêter notre attention et de nous émouvoir »[2].

Pierre Bourdieu

Pierre Bourdieu va encore plus loin dans cette analyse de la distinction esthétique, en estimant que c'est là la seule raison d'être de l'art. Selon sa thèse (exposée dans son ouvrage La Distinction publié en 1979), les distinctions du beau et du laid, du noble et du vulgaire, sont uniquement des distinctions de classe et reflètent les rapports de domination sociétaux. Le monde culturel n'existerait et ne serait conçu que pour ce jeu social dissimulé et calculateur[3].

Notes et références

  1. Éditions Larousse, « Définitions : philistin - Dictionnaire de français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le )
  2. Hannah Arendt, La Crise de la culture, Gallimard, , 380 p., p 258-259
  3. Simone Manon, 10 leçons sur : la liberté, Samuel Bernardet, , 188 p., p. Chapitre 4 et 6

Lien externe

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