Pays de Cocagne

Le Pays de Cocagne est, dans l'imaginaire de certaines cultures européennes, une sorte de paradis terrestre, une contrée miraculeuse où la nature déborde de générosité pour ses habitants et ses hôtes. Loin des famines et des guerres, Cocagne est une terre de fêtes et de bombances perpétuelles, où l'on prône le jeu et la paresse, et où le travail est proscrit.

Pour les articles homonymes, voir Cocagne.

À l'origine de l'expression « Pays de Cocagne »

Dans son livre La Faim et l’Abondance, Massimo Montanari situe la naissance du mythe de Cocagne entre le XIIe et le XIVe siècle. On trouverait une des plus anciennes références dans les Carmina Burana, ces chants de clercs vagabonds rebelles et défroqués qui célébraient le vin, l'amour libre, le jeu et la débauche (les Goliards). Un personnage s’y présente comme l’abbé de Cocagne : « Ego sum abbas cucaniensis ».

En 1250 environ, un texte en ancien français intitulé le Fabliau de Coquaigne[1] (BNF 837 167-168) décrit ce pays de fêtes continuelles, du luxe et d’oisiveté, où plus on dort et plus on gagne. Il reprend le conte de 71 vers en moyen néerlandais Dit it van dat edele lant von Cockaenghen (Voici le noble pays de Cocagne).

Le pays d’abondance avait le même nom ou presque dans beaucoup de langues européennes, comme en anglais « the Land of Cockaigne », ou « Cokaygne », en italien « Cuccagna ». Les Flamands l’appelaient tantôt « Het Luilekkerland » (« pays des douces friandises »), tantôt « Kokanje », mais aussi « Cockaengen ».

L’étymologie du nom a été très discutée :

  • Cocagne vient, selon les uns, du canton de Cuccagna en Italie , sur la route de Rome à Loreto ; selon d'autres, du poète macaronique Teofilo Folengo, surnommé Merlin Coccaie, qui dans ses vers aurait décrit ce pays délicieux ; ou enfin d'une fête instituée à Naples sous un nom analogue, dans laquelle on distribuait au peuple des comestibles et du vin.
  • Cocagne pourrait dériver de l’occitan cocanha.
  • Aux Pays-Bas, on a dit qu’il venait de celui de la ville de Kockengen dans la province d’Utrecht, ou bien de l’expression « het land van de honingkoeken » : « le pays des gâteaux de miel ».
  • Le mot anglais « cockaigne » serait attesté dès 1305 environ, issu de l’ancien français « coquaigne ». Lui-même est d’origine obscure  : provient-il de mots hérités du latin « coquere », « cuisiner » (par exemple l’anglais « to cook ») ou bien d’autres mots germaniques désignant les gâteaux, comme l’anglais « cake », le wallon « couque », etc ?
  • Le chemin de Cocaigne allait du Cotentin jusqu'en Gascogne en direction de Saint-Jacques-de-Compostelle.
  • Le terme pourrait également dériver de la « coque », « cocagne » ou « coquaignes  », une boule de feuilles écrasées et compactées à la main par les cultivateurs d'une plante appelée le pastel qui était fabriquée dans le Lauragais et l'Albigeois du XVe au XVIIe siècle[2]. Sa zone de culture se trouvait dans le triangle Albi-Carcassonne-Toulouse. De cette plante était extraite une teinture bleue, d'où la couleur appelée « bleu pastel » ou « bleu de Cocagne ». La cocagne était ensuite mise à sécher et était vendue aux fabricants de teinture à un cours tellement élevé que toute la filière du pastel devint extrêmement riche. L'expression « Pays de cocagne » pourrait évoquer la richesse de cette région.

Survivance actuelle

De nos jours, l'expression reste particulièrement présente non seulement dans le langage (dialecte picard, ch'ti, champenois...) mais aussi dans l'imaginaire du Nord de la France. Interrogé sur le « Pays de Cocagne », une partie de cette population évoque pour 44 % le Sud-Ouest, 15 % l'Italie (dont 31 % la Toscane), 6 % la Provence.

Le mot reste présent dans le nom du mât de cocagne, attraction traditionnelle dans les fêtes de village. C'est un poteau savonné en haut duquel on accroche des jambons, des bouteilles et autres friandises que les jeunes montaient décrocher à leurs risques et périls, et au grand amusement de la foule.

Pays de Cocagne dans le Tarn

Une partie du département du Tarn, entre Mazamet et Toulouse, a gardé de l'époque de la production du pastel le nom de Pays de Cocagne. La Communauté de communes du Pays de Cocagne a été fondée en puis dissoute le et en partie reprise en 2013 par la Communauté de communes Tarn-Agout[3].

En 2015, les communautés de communes Tarn-Agout, Sor et Agout, et Lautrecois-Pays d'Agout forment ensemble un PETR, présidé par Bernard Carayon, qui prend le nom de Pays de Cocagne. Son territoire couvre 1 022 km2 sur 75 communes, et compte 68 000 habitants[4].

Représentation culturelle

Une interprétation picturale : Le Pays de Cocagne de Bruegel l'Ancien

Le Pays de Cocagne, par Pieter Brueghel l'Ancien (1567-1569)

En 1567, peut-être alors même que Bruxelles était déjà mise à feu et à sang par le duc d'Albe et ses 60 000 soldats, venus au nom de Philippe II d'Espagne persécuter l’hérétique anabaptiste, le protestant luthérien ou calviniste et mater la révolte des Gueux, Pieter Bruegel se réfugiait dans la peinture de son Pays de Cocagne.

Le tableau montre trois personnages endormis ou somnolents, repus, sous un arbre qui porte une table couverte de mets. Un clerc, un chevalier et un paysan y représentent les trois ordres de la société médiévale : le clergé, la noblesse d’arme et la paysannerie, tous trois ici égaux dans l’abondance et la quiétude opulente.

Les frontières terrestres du Pays de Cocagne sont faites de montagnes de bouillie ou de gelée. Une fois arrivé dans cette contrée paradisiaque, on peut s’attendre à ce que les cailles nous tombent toutes rôties dans le gosier, comme le fait le soldat situé à gauche du tableau, bouche grande ouverte, et néanmoins protégé par un toit couvert de tartes. On y voit des oies qui viennent se jeter toutes cuites sur les plats, des cochons qui accourent vers nous lardés d’un couteau et des cactus formés de galettes, des œufs à la coque qui courent…

Ici les soldats ont déposé leurs armes, les agriculteurs leur fléau, les étudiants se couchent sur leurs livres, pour une trêve perpétuelle sous les auspices d’une nature généreuse. Le pays de Cocagne peut être vu comme une expression de l’aspiration à la prospérité universelle, à la paix et à l’égalité, un paradis terrestre, une utopie.

Dans la littérature

Dans la musique

En 1901, dans l'ouverture de concert Cockaigne, Edward Elgar décrit une place londonienne idéalisée.

En 1956, dans la chanson Auprès de mon arbre, Georges Brassens appelle son arbre « mon mât de cocagne ». Il a aussi écrit la chanson mise en musique par Joël Favreau Je bivouaque au pays de Cocagne.

En 1965, Serge Rezvani écrit la chanson interprétée par Jeanne Moreau, La vie de Cocagne.

En 1992, dans la chanson Je vais à Bang Bang, le groupe Les Innocents énonce que : « Mon pays de Cocagne, il est entre deux trains ».

En 1996, dans la chanson Quassù, le groupe corse Diana di l'Alba y fait référence : « Istu paese di Cuccagna » (Ce pays de Cocagne).

En 2013, le groupe Zoufris Maracas sort l'Extended Play nommé Cocagne, comme le titre de son premier morceau.

En 2015, dans la chanson Je M'en Irai, David TMX « S'exile dans le pays de Cocagne ».

En 2016, dans la chanson On vous rassure, le groupe Tryo évoque des personnes qui : « Dans la pénombre, pleine campagne, se sentent isolés dans leur pays de Cocagne ».

En 2017, dans la chanson Tôt le matin, Gaël Faye « rêve d'un pays de Cocagne ».

Au cinéma

En 1995, dans le film d'animation Pocahontas de Disney, le héros John Smith parle du Nouveau monde comme de « cette terre de Cocagne ».

Pays de cocagne est le titre d'un film français documentaire réalisé par Pierre Étaix et sorti en 1970.

Dans le spectacle vivant

Le Roi de Cocagne (1718), pièce de Marc-Antoine Legrand.

Galerie

Notes et références

  1. Pour accéder au texte, voir ce lien.
  2. « Au beau Pays de Cocagne », sur communes.com, (consulté le )
  3. Richard Bornia, « Lavaur. Plus de 2 millions d'euros alloués au Pays de Cocagne », sur La Dépêche du Midi, (consulté le )
  4. « Le Pays de Cocagne », sur cc-tarnagout.fr.
  5. Guy Demerson, « L'utopie populaire de Cocagne et Le Disciple de Pantagruel », Réforme, Humanisme, Renaissance, 11, 1980, p. 75-83.
  6. Une forme plus courante est : Schlaraffenland.
  7. Note de Natacha Rimasson-Fertin, in Jacob Grimm et Wilhelm Grimm, Contes pour les enfants et la maison, vol. 2, Natacha Rimasson-Fertin (éd. et trad.), Paris, José Corti, 2009 (ISBN 978-2-7143-1000-2)

Bibliographie

Sources primaires

Version française d'environ 1250 :

Version anglaise d'environ 1275-1325 :

  • «  The Land of Cokayne  », in Charles William Dunn et Edward Byrnes (éd.), Middle English Literature , New York  ; Londres, Garland, 1990, p. 188-192.

Version allemande de la fin XIIIe ou début XIVe siècle :

  • «  So ist diz von Lügenen  », in Elfriede Marie Ackermann, Das Schlaraffenland in German Literatur and Folksong : Social Aspects of an Earthly Paradise, with an Inquiry into its History in European Literatur , Chicago, University of Chicago, 1944, p. 143-144.

Décaméron italien de 1349-1353 de Boccace évoquant le pays imaginaire de « Boustifaille » :

  • Boccace, Le décaméron, Giovanni Clerico (trad.), Paris, Gallimard, 2016, p. 647.

Version allemande d'environ 1355 :

  • «  Das Wachtelmaere  », in Elfriede Marie Ackermann, Das Schlaraffenland in German Literatur and Folksong : Social Aspects of an Earthly Paradise, with an Inquiry into its History in European Literatur , Chicago, University of Chicago, 1944, p. 150-151.

Ouvrages

  • Jean Delumeau (dir.), La mort des Pays de Cocagne : comportements collectifs de la Renaissance à l'âge classique, Paris, Université de Paris, 1976.
  • Franco Junior Hilario, Cocagne : Histoire d'un pays imaginaire , Paris, Arkhê, 2013.
  • Olga Urevna Silantieva, Le Pays de Cocagne et le Schlaraffenland dans la littérature française et allemande au XVIIIe et XIXe siècles , Saint-Denis, Université de Paris 8, 2010.

Chapitres d'ouvrages

  • Guy Borgnet, « Le pays de Cocagne dans la littérature allemande. Des origines à Hans Sachs », in Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok (éd), Gesellschaftsutopien im Mittelalter. Discours et figures de l'utopie au Moyen Âge, Greifswald, Reineke, 1994, p. 15-18.
  • Luisa Del Guidice, «  Mountains of Cheese and Rivers of Wine  : Pesi du Cuccagna and Others Gastronomic Utopias  », in Ead . et Gerald Porter (éd.), Imagined States. Nationalism, Utopia and Longing in Oral Cultures , Logan, Utah State University Press, 2001, p. 11-63.
  • François Delpech, «  Aspects des pays de Cocagne. Programme pour une recherche  », in Jean Lafond et Augustin Redondo (éd.), L'image du monde renversé et ses représentations littéraires et para-littéraires. De la fin du XVIe siècle au milieu du XVIIe , Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1979, p. 35-48.
  • Juliette Dor, «  Carnival in Cokaygne  : The Land of Cokaygne in Medieval English Literature  », in Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok (éd), Gesellschaftsutopien im Mittelalter. Discours et figures de l'utopie au Moyen Âge , Greifswald, Reineke, 1994, p. 39-49.
  • Peter Dronke, « The Land of Cokaygne : Three Notes on the Latin Background », in Christopher Cannon et Maura Nolan (éd.), The Medieval Latin and Middle English Literature. Essays in Honour of Jill Mann, Suffolk, Boydell and Brewer, 2011, p. 65-75.
  • Arno Gimber, «  Le Pays de Cocagne dans les littératures européennes au Moyen Âge. De l'utopie renversée et de la contre-utopie. Quelques comparaisons  », in Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok (éd), Gesellschaftsutopien im Mittelalter. Discours et figures de l'utopie au Moyen Âge , Greifswald, Reineke, 1994, p. 51-63.
  • Jacques Le Goff, « Cocagne », in Id., Héros et merveilles du Moyen Âge, Paris, Seuil, 2005, p. 110-119.
  • Karma Lochrie, « Somewhere in the Middle Ages : The Land of Cocagne, Then and Now », in Ead., Nowhere in the Middle Ages, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2016, p. 49-88.
  • Jean-Charles Payen, « Fabliaux et Cocagne : abondance et fête charnelle dans les contes plaisants du XIIe et du XIIIe siècles », in Gabriel Bianciotto et Michel Salvat (éd.), Épopée animale, fable, fabliau. Actes du IVe colloque de la Société internationale renardienne, Évreux, 7-, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 435-448.

Articles

Articles connexes

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