Pacte de Bagdad

Le traité d'organisation du Moyen-Orient, plus communément appelé pacte de Bagdad, a été signé le par le Royaume d'Irak, la Turquie, le Pakistan, l'État impérial d'Iran et le Royaume-Uni. Les États-Unis rejoignent le comité militaire de l'alliance en 1958. Le pacte sera rebaptisé Organisation du traité central (Central Treaty Organisation) ou CenTO, après le retrait irakien le . Il s'inscrit dans le cadre de la politique de l'« endiguement », menée par les États-Unis lors de la guerre froide, dont le but était de ralentir la montée en puissance de l'Union soviétique au Moyen-Orient, à travers la mise en place de ce que l'OTAN appelle un « cordon sanitaire ». Le pacte de Bagdad entre ainsi dans la politique de la pactomanie américaine.

Pour les articles homonymes, voir CENTO.

Traité d'organisation du Moyen-Orient
« Pacte de Bagdad »
Pays membres du traité
Situation
Région Moyen-Orient
Création
Dissolution 1979
Type Alliance militaire
Quartier général Bagdad (19551958)
Ankara (19581979)
Langue anglais
Organisation
Membres  Royaume d'Irak
Turquie
Pakistan
 État impérial d'Iran
Royaume-Uni

La mise en place de l'alliance atlantique, et de l'OTASE provoque une levée de boucliers au Moyen-Orient. L’Égypte et la Syrie, mais aussi les partis politiques de gauche dénonceront un pacte impérialiste, allant à l'encontre de la politique de neutralisme positif prônée jusqu'alors. L'organisation, peu efficace dans les faits, est dissoute en 1979.

Historique

Le traité turco-pakistanais à l'origine du Pacte

Au printemps 1953, lors d'une mission diplomatique en Turquie, l'américain Foster Dulles soumet l'idée d'un pacte anti-communiste au Président du conseil turc, Adnan Menderes. Ce pacte regroupant les pays de la région devait permettre de contenir la poussée soviétique en Orient. Situé à mi-chemin entre l'OTAN et l'OTASE, il devait servir de trait d'union entre ces deux coalitions.

La Turquie est le premier pays à adhérer au projet, et sera le moteur derrière ce traité. Déjà membre de l'OTAN, elle a été fortement échaudée par ses relations diplomatiques avec l'URSS [1], et elle espère bien par cette politique sortir de son isolement diplomatique et s'assurer le soutien inconditionnel des États-Unis. Les remontrances que lui fait le pouvoir soviétique par l'entremise de la Pravda, conforte Menderes du bien-fondé de son action, et le conduit à se rapprocher du Pakistan membre de l'OTASE. En effet, le , la Turquie et le Pakistan signent un pacte d'assistance mutuelle. Il s'agit alors d'un pacte ouvert, puisque celui-ci est ouvert aux autres pays de la région. Cet accord établit que la Turquie et le Pakistan se consulteront en matière internationale, collaboreront en matière de défense et s'assisteront mutuellement en cas d'agression. Plus qu'un pacte, il s'agit en réalité d'un traité d'alliance militaire placé sous l'égide de l'article 51 de la Charte des Nations unies.

Salué par les chancelleries occidentales, le pacte demeure fragile. En cas d'agression, les troupes pakistanaises ou turques devront forcément transiter par l'Irak, puisque le massif montagneux iranien ne permet pas le déplacement de troupe. C'est dans cette optique que la Turquie mène tous ses efforts pour faire intégrer Bagdad à l'alliance.

Irak

Homme fort du pays, Nouri Saïd est un anti-communiste convaincu et homme-lige du Royaume-Uni dans la région. S'il n'aime pas beaucoup la Turquie, il est néanmoins conscient de la supériorité militaire de cette dernière sur son pays, et ne tient pas à se l'aliéner. Sa politique vis-à-vis de la Turquie est résumé par Khaled Khanna, Président du Parlement irakien qui explique « qu'il vaut mieux signer un accord préventif en vertu duquel ils (les Turcs) entreront chez nous en alliés et non par droit de conquête. Au moins, ils se retireront une fois la guerre terminée[2] ». De plus, il avait toujours dans l'idée de reconstituer le projet de Croissant fertile qu'il a dû abandonner en 1949 sous la pression de l’Égypte et de l'Arabie saoudite, et qui lui permettrait d'entamer une union entre l'Irak, la Jordanie et la Syrie.

C'est donc le qu'un accord est conclu entre la Turquie et l'Irak. Le traité, d'une durée de cinq ans reprend les résolutions du traité turco-pakistanais, mais il s'en distingue néanmoins dans un certain nombre de points. D'abord, il se place sous l'égide de la Ligue arabe, ensuite, il reste fermé à Israël et enfin il annonce qu'avec quatre puissances signataires, un conseil permanent à l'échelon ministérielle serait créé. La quatrième puissance à rejoindre l'alliance est donc le Royaume-Uni, le 1er avril 1955. Ce pacte revêt un caractère important pour Londres, puisqu'il lui permet de retrouver un peu de l’influence perdue en Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

De son côté Washington est plus réservé. Les États-Unis sont déconcertés par l'accueil violent fait au Pacte par la rue arabe, et ne tiennent pas à se brouiller avec Le Caire, Riyad ou la Ligue arabe. Ils choisissent donc de ne pas adhérer à l'alliance, mais restent présents sur le plan militaire. Devant les nouvelles possibilités offertes par le traité, le Strategic Air Command quitte Tripoli pour Adana. Situé au plus près de leurs ennemis, les bombardiers américains ne sont plus qu'à 24 minutes des bases aériennes soviétiques les plus proches. Les experts américains déclarent que « Cette base était très vulnérable aussi longtemps que la Turquie était seule, parce que le dispositif manquait de profondeur. Maintenant, il pourra être efficacement défendu, en conjonction avec un réseau d'aérodromes installés en Irak et au Pakistan »[3]

Avec la Turquie, le Pakistan et maintenant l'Irak, le bouclier prend forme. Cependant, il reste encore un dernier pays à convaincre, le plus grand et qui a des frontières directes avec l'URSS, l'Iran.

Iran

Trois avions américains F-4 Phantom II sur la base aérienne de Chiraz en 1977.

Maillon manquant de la stratégie américano-turque en Orient, l’Iran reste le dernier pays à convaincre à adhérer au traité pour que le « bouclier oriental » prenne vie.

En ce début des années 1950, le pays est secoué par l’agitation des milieux nationalistes et communistes qui réclament tous deux la nationalisation du pétrole. À la tête de ce combat, le docteur Mossadegh, leader du Front national. Nommé premier ministre, il nationalise le pétrole en 1951. Cette décision provoque de graves remous dans le pays. Le Royaume-Uni ne veut pas se laisser intimider, et l’expulsion des ingénieurs et des techniciens occidentaux des installations pétrolières rendent l’Iran incapable d’extraire et de commercialiser son propre pétrole. Soutenu par les Soviétiques, Mossadegh compte en plus sur le soutien du parti communiste iranien Tudeh. Malgré cela, il est victime en d'un coup d'état, l'Opération Ajax, menée et financée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Avec le retour au pouvoir du Shah, Washington fait savoir que l’adhésion de l’Iran au Pacte de Bagdad serait vivement appréciée et que cela engendrerait une augmentation des aides financières à ce pays.

Mais le point de friction pour les autorités iraniennes demeure le traité russo-iranien de 1921 (en). Celui-ci permet à l’URSS d’intervenir dans le pays si une puissance tierce se sert du territoire iranien pour « se livrer à des opérations politiques ou militaires hostiles à la Russie » . Ce traité donne donc le droit à l’Union Soviétique d’envahir son voisin en cas d’adhésion au pacte. Les Soviétiques ne manquent pas de le rappeler. Par la voix de leur ministre des affaires étrangères tout d’abord, puis par leur organe de presse, la Pravda, qui déclare dans un éditorial : « Il (l’Iran) commettrait, à l’égard de l’URSS, un acte inamical, dont il devrait s’attendre à supporter toutes les conséquences ». Loin de les démotiver, ces menaces des Russes poussent le gouvernement iranien à accélérer l’adhésion de son pays au Pacte de Bagdad.

Le pays rejoint donc l’alliance anti-soviétique le , et devant la menace représentée par les États-Unis qui ont encore à cette date le « monopole de la terreur », les Soviétiques se gardent de lui déclarer la guerre.

Un Pacte qui crée une forte opposition

Le Pacte soulève une forte opposition dans le monde arabe. On retrouve à la pointe de ce combat l’Égypte nassérienne, mais aussi, - et c'est plus surprenant - l'Arabie saoudite. Promoteur du "neutralisme positif", Nasser veut que le monde arabe échappe à la logique de guerre froide, et plus particulièrement sur le choix d’un des deux blocs. Les Égyptiens défendaient l'idée d'une forme d'isolationnisme, et prenaient comme référence l'Amérique de George Washington qui refusait de s'ingérer dans les affaires européennes, mais qui ne se privait pas de commercer avec eux pour autant[4].

C'est donc avec véhémence que la radio du Caire s'attaque à la ratification du Pacte par l'Irak. Nouri Saïd est accusé d'avoir trahi ses frères d'armes et d'avoir rompu l'unité de la Ligue arabe. Mais pire, il est accusé de faire le jeu d'une politique néo-ottomane de la Turquie. On craint en effet dans les capitales arabes une ingérence de la Turquie dans leurs affaires intérieures sous prétexte de lutte anti-communiste. À l’intérieur du pays, l’opposition crie à la trahison, le mécontentement augmente dans l’armée et la sécurité de Nouri Saïd est directement menacée. Le Caire parle de mettre l’Irak au ban de la Ligue arabe, et l’accueil du premier ministre turc Adnan Menderes à Damas se fait sous les huées et les jets de pierre.

En Jordanie, les manifestations prennent de plus en plus d’ampleur. Le Royaume-Uni promet de rehausser la subvention annuelle du Royaume à 22 millions de livres sterling en échange d’une adhésion au traité. Devant cette offre, et devant l’insistance des Britanniques par la voix du maréchal Templer, quatre ministres jordaniens quittent leurs fonctions, et des émeutes éclatent dans le pays. Trois gouvernements se succèdent en à peine huit jours et le roi Hussein comprend à ce moment qu’il n’est plus à l’abri d’une révolution. Il décide donc de faire marche arrière, et rejette le traité, à la grande satisfaction de l'Égypte et de l’Arabie saoudite.

Cette dernière, anti-communiste et résolument pro-américaine, aurait toutes les raisons du monde de soutenir et d'intégrer l’alliance. Mais le roi Saoud a une trop grande méfiance envers la Turquie, qui est de fait le pilier du dispositif. De plus, il connait les visées de Nouri Saïd, et plus particulièrement des Britanniques, qui veulent créer un « Croissant fertile » (une union entre l’Irak, la Syrie et la Jordanie) qui contribuerait à l'encerclement de l’Arabie saoudite. C’est donc avec un certain soulagement qu’il accueille le rejet du Pacte par la Jordanie et la Syrie.

Organisation

Construite sur le modèle de l'OTAN et conçue comme le prolongement de l'OTASE, cette alliance contraint les nations aussi bien à la coopération mutuelle et la protection qu'à la non-intervention dans les affaires des autres. Son but était de contenir l'Union soviétique en ayant une ligne d'États forts sur sa frontière sud. Cependant, sur le plan géopolitique, l'alliance sera considérée comme une des moins réussies de la guerre froide[réf. nécessaire]. D'autre part, le CENTO se dirigea dès les années 1960 vers une coopération économique entre les membres.

Il siège à Ankara (Turquie), dans l'ancien bâtiment du Parlement.

Le rôle des États-Unis

Même si les pressions américaines, sous forme de promesses de largesses économiques et militaires, eurent un rôle clef dans les négociations, les États-Unis choisirent de ne pas participer à l'accord afin d'éviter de s'aliéner les États arabes avec lesquels ils tentaient toujours de cultiver des relations amicales. Ainsi, le pacte a souvent conduit les Américains à soutenir des régimes corrompus ou impopulaires en Irak, Iran et Pakistan.

Les États-Unis avaient, grâce à un État membre, le Pakistan, des facilités pour espionner l'Union soviétique. Basés à Peshawar, les avions espions Lockheed U-2 pratiquaient des vols de reconnaissance au-dessus de l'espace aérien soviétique. Après la crise des U-2 de 1960, le premier secrétaire du PCUS Nikita Khrouchtchev avertit le Pakistan qu'il était devenu une cible pour les forces nucléaires soviétiques.

L'incompétence du CENTO

Le Moyen-Orient et l'Asie du Sud devinrent des zones très sensibles durant les années 1960, avec l'aggravation du conflit israélo-arabe et de la guerre indo-pakistanaise. Les États-Unis et le CENTO furent incapables d'intervenir dans ces problèmes. Le soutien américain à Israël dégrada également les relations entre les États-Unis et les membres musulmans du pacte. En 1965 et 1971, le Pakistan essaya sans succès d'obtenir de l'aide du CENTO dans sa guerre contre l'Inde.

L'alliance dura théoriquement jusqu'à la Révolution iranienne de 1979. En réalité, elle était bel et bien finie depuis 1974, quand la Turquie envahit Chypre, obligeant le Royaume-Uni à retirer ses forces d'un lieu pourtant prévu par l'alliance. Par ailleurs, les Anglais, après cette défaite, n'avaient plus les moyens de se poser comme maîtres de la Méditerranée ni du Moyen-Orient ; ce qui fait qu'en quelque sorte, le non-respect du pacte de Bagdad a sonné le glas final de l'impérialisme britannique en Méditerranée.

Bilan

Il semble finalement que l'alliance n'ait que peu joué sur la prévention de l'expansion de l'influence soviétique sur les États non-membres de la zone. D'autres États du Proche et Moyen-Orient refusèrent d'adhérer au CENTO et se tournèrent vers les Soviétiques, notamment l'Égypte et la Syrie, qui craignaient une déstabilisation des rapports de force entre les grandes "familles" arabes. L'Égypte va également craindre de perdre sa place de leader arabe, avec le rôle toujours plus important de Nasser et la peur d'un retour de l'influence britannique dans la région, notamment dans l'affaire du canal de Suez.

Notes et références

  1. À la suite du neutralisme de la Turquie pendant la Seconde Guerre mondiale, l'URSS voulait lui faire payer cette politique en exigeant la démilitarisation des Détroits qui assuraient la sécurité du pays. Ils souhaitaient également la cession des provinces de Kars et d'Ardahana et la restitution du sandjak d'Alexandrette à la Syrie.
  2. Benoist-Méchin, Un printemps arabe, p.480
  3. Benoist-Méchin, Le Roi Saud ou l'Orient à l'heure des relèves p.108.
  4. Benoist-Méchin, Un printemps arabe, p.77

Articles connexes

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