Littérature jeunesse au Québec

On considère que la littérature jeunesse au Québec commence avec Les Aventures de Perrine et Charlot[1], en 1923, paru pour la première fois dans la revue L'Oiseau bleu publiée par la Société Saint-Jean-Baptiste à l'intention des jeunes Canadiens français. À cette époque, la production était plutôt frugale et les années 1920 n'ont connu que quelques titres jeunesse. Mais aujourd'hui, et depuis les années 1980, la production en littérature jeunesse au Québec explose et se diversifie.

L'aube de la littérature jeunesse

Avant Les Aventures de Perrine et Charlot, les ouvrages présentés à la jeunesse n'étaient pas directement dédiés aux enfants ou aux adolescents. Il s'agissait plutôt d'ouvrages de la littérature pour adultes et que l'on publiait pour la jeunesse tel quel ou en les adaptant pour un public plus jeune[2]. À la fin du XIXe siècle, apparaissent les premières collections destinées au marché scolaire. Commanditées par l’État, le Département de l’Instruction publique édite, imprime et distribue par le biais de ses inspecteurs « les ouvrages les plus représentatifs des lettres canadiennes »[3]. Bien qu’entre 1876 et 1886 on dénombre la distribution de près de 175 000 livres aux enfants dans le cadre de récompenses scolaires, ils étaient rarement écrits à leur intention[4]. Quelques ouvrages visaient également, mais pas exclusivement, la jeunesse, mais Les Aventures de Perrine et Charlot est considéré par la majorité des chercheurs comme le premier roman québécois dont l'intention première était de s'adresser à un jeune public[5].

Une littérature intentionnelle pour la jeunesse, à cette époque, n'aurait pas été possible sans l'apport des revues pour la jeunesse qui naissent à cette époque[6]. Ainsi, L'Oiseau bleu, née en 1920, a été le premier à publier Les Aventures de Perrine et Charlot sous forme de feuilleton[7]. La commande en avait été faite à Marie-Claire Daveluy par le directeur de la revue, Arthur Saint-Pierre, avec l'intention : « d'écrire un roman dont les principaux personnages seraient des enfants » [6].

Les quelques ouvrages publiés à cette époque se composent surtout d'adaptations de récits historiques pour les jeunes, de romans historiques, de recueils de contes, d'œuvres didactiques, religieuses ou édifiantes et on compte un bon nombre d'hagiographies adaptées pour les jeunes. Il va sans dire qu'à cette époque, c'est le clergé qui voit à la bienséance dans l'édition et qui dicte ses préoccupations aux auteurs et aux maisons d'édition, car la plupart des livres de l'époque sont distribués aux jeunes comme prix scolaires et les écoles sont alors dirigées par les communautés religieuses. Ajoutons qu'en 1925, la Loi Choquette, exige que la moitié des sommes allouées pour les prix scolaires soient consacrées à des livres canadiens[8]. Les thèmes exploités restent plutôt conservateurs et seuls quelques titres se démarquent. On cherche d'abord et avant tout à édifier la jeunesse dans les valeurs catholiques de l'époque.

La guerre de 39-45

Puisque les relations entre la France et le Québec sont coupées durant la guerre, on augmente la production de livre québécois, ce qui propulse la littérature jeunesse.

En 1940, à la suite de la capitulation de la France, le gouvernement canadien de Mackenzie King accorde le droit aux éditeurs canadiens-français de reproduire des œuvres françaises non disponibles sur le marché canadien[9], ce qui fait de Montréal un centre d'édition important[10]. Les éditeurs de l'époque ajoutent, dans bien des cas, à leur production un secteur jeunesse. Plusieurs périodiques pour la jeunesse naissent également à cette époque. On atteint, durant les années 1940, 320 titres. C'est au cours de cette période que naîtront véritablement les romans d'aventure et le livre illustré pour la jeunesse. La fin de la guerre entraînera la reprise de l'édition française et la chute de l'édition québécoise [11]. S'ensuit une période de disette pour la production jeunesse au Québec.

La période Duplessis

Malgré la baisse de la production, on assiste à une explosion des genres. On retrouve des romans d'aventures, de science-fiction, fantaisistes, d'anticipation, scouts, des bibliographies, des recueils de contes, de la poésie, des récits de voyage... Des prix littéraires naissent tels que celui de l'Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) qui contribuent à ranimer l'édition et hausser les standards qui entourent la littérature jeunesse. Finalement, entre 1950 et 1959, 350 titres seront publiés, dont 40 le seront par Eugène Achard [12].

La Révolution tranquille

Des suites du Rapport Bouchard (publié en 1963), une loi décrète en 1971 que tous les livres scolaires doivent être achetés de librairies québécoises accréditées. D'autres mesures de facilitation sont également votées par le gouvernement. Le commerce du livre jeunesse devient alors sous le contrôle québécois. Au milieu des années 1960, de grandes maisons d'édition étrangères jugent le marché québécois assez rentable pour y établir des bureaux[13].

À l'époque de la Révolution tranquille, les valeurs québécoises sont en mutation et le livre québécois pour la jeunesse suit la tendance. Par contre, c'est à cette époque que périclite la distribution de récompenses scolaires sous forme de livres, sur laquelle les éditeurs ne peuvent désormais plus compter. Ils se tournent alors vers les bibliothèques et les librairies.

Durant les années 1970, les thèmes du nationalisme et du féminisme commencent à entrer en jeu dans la production jeunesse. Quant à la narration, on commence à voir poindre le point de vue de l'enfant dans la diégèse qui devient narrateur-personnage[14]. On s'intéresse à ce qu'il a à raconter et il perd son statut d'être invariablement sage et bienséant. La deuxième partie des années 1970 voit remonter la production des ouvrages jeunesse d'un point de vue quantitatif.

Les éditions Le Tamanoir (qui deviendront les éditions La Courte Échelle en 1978[9]) essaient alors de faire sortir la production jeunesse d'une vision manichéenne et de montrer aux jeunes la complexité et la multiplicité du réel afin de bâtir leur esprit critique.

La période contemporaine

À partir de 1980, on commence à voir pulluler les maisons d'édition[15] entièrement consacrées à la jeunesse. Ce phénomène n'est pas étranger au fait que l'on essaie de sensibiliser les jeunes à la lecture dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans les médias[16]. On voit aussi naître l'animation autour du livre dans les bibliothèques et les écoles. L'album fait un boom dans l'édition et aborde tous les thèmes, du corps (Vive mon corps) au monde animal (Les Animaux et leurs petits), des relations garçon-fille (Sophie et Pierrot) aux notions complexes comme le temps (Le Temps).

Le roman jeunesse également prend son essor et se diversifie sous la forme de mini-romans[17] et de romans pour adolescents, qui connaissent un véritable avènement[18]. Les romans à gros caractères sont un autre développement récent dans la littérature jeunesse : des livres épais mais au texte aéré qui permettent aux lecteurs novices de développer un sentiment de compétence[19]. C'est la prolifération du roman-miroir. Le protagoniste parle au "je" et doit ressembler le plus possible au lecteur cible. Il lui reflète son univers comme un jeu de miroir afin qu'il se reconnaisse.

Notes et références

  1. Dominique Demers, Du Petit Poucet au dernier des raisins. Introduction à la littérature jeunesse, Boucherville, Éditions Québec / Amérique Jeunesse, , 253 p. (ISBN 978-2-89037-666-3), p.23
  2. Lepage, Françoise., Histoire de la littérature pour la jeunesse : Québec et francophonies du Canada ; suivie d'un Dictionnaire des auteurs et des illustrateurs, Orléans (Ont.), Éditions David, , 826 p. (ISBN 2-922109-24-0 et 9782922109245, OCLC 41661550, lire en ligne), p. 50
  3. Jacques Michon, « Édition et innovation : le livre à un dollar », Documentation et bibliothèques, vol. 51, no 2, , p. 97–104 (ISSN 2291-8949 et 0315-2340, DOI 10.7202/1030091ar, lire en ligne, consulté le )
  4. Ginette Landreville, « La littérature jeunesse québécoise a 80 ans », Lurelu : la seule revue québécoise exclusivement consacrée à la littérature pour la jeunesse, vol. 26, no 2, , p. 93–102 (ISSN 0705-6567 et 1923-2330, lire en ligne, consulté le )
  5. BAnQ, « Le saviez-vous », sur banq, (consulté le )
  6. Madore, Édith, 1961-, La littérature pour la jeunesse au Québec, Montréal (Québec), Boréal, , 126 p. (ISBN 2-89052-500-7 et 9782890525009, OCLC 30514579, lire en ligne), p. 18
  7. Françoise Lepage, « Le statut professionnel des illustrateurs pour la jeunesse : une lente et difficile conquête », Documentation et bibliothèques, vol. 51, no 2, , p. 80 (ISSN 2291-8949 et 0315-2340, DOI 10.7202/1030089ar, lire en ligne, consulté le )
  8. Manon Poulin, « Un véhicule de propagande pour les forces nationalistes », Québec français, , p. 63 (ISSN 1923-5119 et 0316-2052, lire en ligne)
  9. Suzanne Pouliot, « L’édition québécoise pour la jeunesse au XXe siècle. Une histoire du livre et de la lecture située au confluent de la tradition et de la modernité », Globe : revue internationale d’études québécoises, vol. 8, no 2, , p. 203–235 (ISSN 1481-5869 et 1923-8231, DOI 10.7202/1000915ar, lire en ligne, consulté le )
  10. Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, , 684 p. (ISBN 978-2-7646-2027-4), p. 271
  11. Sophie Montreuil, « À rayons ouverts, no 81 (automne 2009) | BAnQ », sur www.banq.qc.ca (consulté le )
  12. Marcoux, Josée, 1969-, Littérature jeunesse au Québec : Médiaspaul (Éditions Paulines 1947-1995), Médiaspaul, (ISBN 2-89420-424-8 et 978-2-89420-424-5, OCLC 44943735, lire en ligne), p. 7
  13. Inthavanh, Patrick., Les Éditions Libre Expression réflexion sur la concentration et la convergence dans le milieu du livre au Québec, [s.n.], (ISBN 978-0-494-91691-9 et 0-494-91691-5, OCLC 852735679, lire en ligne)
  14. Madore, Édith, 1961-, La littérature pour la jeunesse au Québec, Montréal (Québec), Boréal, , 126 p. (ISBN 2-89052-500-7 et 9782890525009, OCLC 30514579, lire en ligne), p. 104
  15. Lucie Guillemette, Myriam Bacon, « À rayons ouverts », sur banq.qc.ca, printemps 2007, no 71 (consulté le )
  16. Biron, Michel, Histoire de la littérature québécoise, Montréal, Boréal, , 684 p. (ISBN 978-2-7646-2027-4 et 2764620276, OCLC 501388322, lire en ligne), p. 595
  17. Marie Fradette, « La littérature de jeunesse de 1970 à aujourd’hui : relance, expérimentation et établissement d’une littérature », Québec français, no 145, , p. 50–53 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne, consulté le )
  18. Suzanne Pouliot, « L’édition québécoise pour la jeunesse au XXe siècle. Une histoire du livre et de la lecture située au confluent de la tradition et de la modernité », Globe : revue internationale d’études québécoises, vol. 8, no 2, , p. 203–235 (ISSN 1481-5869 et 1923-8231, DOI 10.7202/1000915ar, lire en ligne, consulté le )
  19. Myriam de Repentigny, « De gros livres pour les petits lecteurs », Lurelu, vol. 42, no 2, , p. 15–16 (ISSN 0705-6567 et 1923-2330, lire en ligne, consulté le )

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