Limites planétaires

Les limites planétaires sont les seuils que l'humanité ne doit pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir durablement vivre dans un écosystème sûr, c’est-à-dire en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l'environnement planétaire.

Ce concept a été proposé par une équipe internationale de 26 chercheurs et publié en 2009.

Il consiste alors en neuf limites planétaires à ne pas dépasser, dont sept sont chiffrées par les chercheurs et trois sont déjà franchies. Ces neuf processus naturels sont retenus, car ensemble ils permettent et régulent la stabilité de la biosphère : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, les changements d'utilisation des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale de l’eau, l’appauvrissement de la couche d'ozone stratosphérique et l'augmentation des aérosols dans l’atmosphère.

En 2012, l'économiste Kate Raworth propose d'ajouter à ces limites naturelles planétaires, extérieures (« plafond »), des limites intérieures (« plancher »), correspondant aux besoins humains essentiels pour le bien vivre. Elle liste 11 nécessités ou dimensions de vie distinctes, formant le « plancher social ». Les limites planétaires et les dimensions de vie peuvent être représentées en un anneau et former une grille d'analyse (utilisée par la France en 2019) pour étudier les interactions entre état de l'environnement et besoins humains.

En 2015, une dixième limite est ajoutée, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, et un quatrième dépassement est constaté.

Définition initiale de 2009

Limites planétaires selon le rapport de Rockström et al. publié dans Nature en 2009[1],[2]. Les zones en rouge représentent l'état actuel estimé et le cercle vert définit les limites estimées.

En 2009, une équipe internationale de 26 chercheurs, menés par Johan Rockström (en) du Stockholm Resilience Centre (en) et Will Steffen de l'Université nationale australienne, publie un article dans les revues Nature[1] et Ecology and Society (en)[3], dans lequel elle identifie neuf limites planétaires (planetary boundaries) à ne pas dépasser si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr, c’est-à-dire évitant les modifications brutales, non-linéaires, potentiellement catastrophiques et difficilement prévisibles de l’environnement. Parmi ces chercheurs figurent notamment le climatologue James E. Hansen (directeur du Goddard Institute for Space Studies de la NASA, pionnier des recherches sur le changement climatique), Paul Crutzen (prix Nobel de chimie 1995), le climatologue allemand Hans Joachim Schellnhuber (fondateur du Potsdam-Institut für Klimafolgenforschung et conseiller du gouvernement allemand et de la Commission européenne sur le réchauffement climatique) et le géographe belge Eric Lambin.

Les auteurs considèrent alors que les seuils sont dépassés pour trois des sept limites pour lesquelles ils proposent des valeurs limites, en matière de volume émis ou extrait de l’environnement[4] :

  1. Changement climatique : concentration atmosphérique en CO2 inférieure à 350 ppm et/ou une variation maximale de +1 W/m2 du forçage radiatif ;
  2. Érosion de la biodiversité : taux d’extinction « normal » des espèces inférieur à 10 espèces par an sur un million. Or, le taux actuel d’extinction planétaire serait 100 à 1 000 fois supérieur à l'échelle de la planète[5]. Ces disparitions ont des impacts majeurs sur les écosystèmes et sur les fonctions qui ne sont plus remplies par les espèces disparues ;
  3. Perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore : limite à la fixation industrielle et agricole de N2 à 35 Tg/an et apport annuel de phosphore aux océans inférieur à 10 fois le lessivage naturel du phosphore. La modification des cycles de l’azote et du phosphore contenu dans les sols résulte notamment de l’agriculture et de l’élevage intensifs. L’usage d’engrais et les déjections issues de l’élevage contribuent à perturber ces cycles indispensables au bon état des sols et des eaux. La limite était déjà atteinte pour l’azote en 2009.

Quatre limites planétaires n’ont pas encore été franchies à l'époque[4] :

  1. Modifications des usages des sols : maximum de 15 % de la surface de terres libres de glaces convertie en terres agricoles ;
  2. Utilisation d’eau douce : inférieure à 4 000 km3/an de consommation des ressources en eaux de ruissellement ;
  3. Diminution de la couche d’ozone stratosphérique : réduction inférieure à 5 % dans la concentration en ozone par rapport au niveau pré-industriel de 290 unités Dobson ;
  4. Acidification des océans : taux moyen de saturation de l'eau de mer de surface en aragonite supérieur ou égal à 80 % du niveau pré-industriel.

Deux limites ne peuvent alors pas encore être quantifiées, par manque de données[4] :

  1. Pollution chimique (composés radioactifs, métaux lourds, composés organiques synthétiques) ;
  2. Concentration des aérosols atmosphériques.

Les auteurs insistent sur les interactions entre ces limites (synergies possibles). Le concept de « limites planétaires » permet de définir le « terrain de jeu planétaire » (planetary playing field) dans les limites duquel l'humanité pourrait vivre en sécurité (du point de vue de la durabilité des ressources naturelles et des services écosystémiques.

Synthèse des neuf limites planétaires et de leur dépassement[4]
DimensionMesure Limites planétaires Valeur actuelleLimite dépassée ?
Réchauffement climatiqueConcentration de CO2 dans l'atmosphère (ppm) ou forçage radiatif (W/m2) max. 350 ppm

max. +1,0 W/m2

405 ppm[6]

1,43 W/m2[7]

oui
Acidification des océansSaturation moyenne globale en aragonite dans les eaux de surface (unités Omega[8]) min. 2,75

(80 % du niveau pré-industriel)

3,03

(88 % du niveau pré-industriel)[9]

non
Diminution de l'ozone stratosphériqueConcentration de l'ozone strasphérique (unité Dobson) min. 275 DU 220–450 DU[10]oui, régional et dans le temps
Charge en aérosols atmosphériquesÉpaisseur optique d'aérosols pas de limite globale

Asie du Sud : max. 0,25

-

Asie du Sud : 0,3–0,4[11]

-

oui, régional

Cycles biogéochimiques cycle du phosphore Mondial : entrée du phosphore dans les océans (téragrammes/an)

Régional: Entrée du phosphore dans les systèmes aquatiques à eau douce (téragrammes/an)

Mondial : max. 11 Tg/an

Régional: max. 6,2 Tg/an

Mondial : 22 Tg/an[12]

Régional: 14 Tg/an[13]

oui
Cycle de l'azote Fixation biologique industrielle et intentionnelle de l'azote(téragrammes/an) max. 62 Tg per annum 150–180 Tg per annum[14] oui
Consommation d'eau douceConsommation globale d'eau de surface et de nappe phréatique (km3 par an) max. 4 000 km3/an 2 600 km3/an[15] non
Changement d'usage des solsPart de la forêt originelle min. 75 % 62 %[15] oui
Intégrité de la biosphère Diversité génétique Taux d'extinction (nombre d'espèces par million d'année, E/Ma) max. 10 E/MSY 100–1000 E/Ma[15] oui
Diversité fonctionnelle Index de biodiversité min. 90 % 84 % pour l'Afrique australe[15] oui, régional
Introduction d'entités nouvellesAucune limite jusque-là définie.

Prises en compte

Par les Nations unies

Le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon entérine le concept de limites planétaires le , tout en présentant les points clés du rapport de son « Groupe de haut niveau sur la durabilité mondiale » à une session plénière informelle de l'Assemblée générale des Nations Unies[16],[17].

Il déclare : « La vision du Groupe de haut niveau est d'éradiquer la pauvreté et de réduire l'inégalité, de rendre la croissance inclusive et la production et la consommation plus durables, tout en combattant le changement climatique et en respectant une série d'autres limites planétaires »[18]. Le concept est incorporé dans la version initiale des conclusions de la Conférence des Nations unies sur le développement durable à convoquer à Rio de Janeiro les 20–. L'utilisation du concept est ensuite retirée du texte de la conférence, en partie à cause de craintes de quelques pays pauvres que son adoption puisse mener à la mise à l'écart de la réduction de la pauvreté et du développement économique, mais aussi, selon des observateurs, « parce que l'idée est tout simplement trop nouvelle pour être adoptée officiellement et [a] besoin d'être soumise à la contestation, mûrie et retravaillée pour tester sa robustesse avant d'avoir une chance d'être acceptée internationalement aux négociations des Nations Unies »[19].

Par l'Union européenne

Cette approche est au cœur des démarches internationales à l'origine du septième programme d’action pour l’environnement (2013-2020) de l’Union européenne : « Bien vivre, dans les limites de notre planète »[20].

Par la France

Schéma utilisé par le CGDD en 2019, inspiré du « concept du donut » des limites planétaires[21][réf. incomplète] qui vise à concilier amélioration des conditions de vie et respect de la biosphère. Il illustre deux frontières à ne pas franchir pour conserver les conditions d’un « bien vivre » : une frontière « plancher », qui est celle des besoins humains de base, et une frontière « plafond » correspondant aux limites de destruction/exploitation de l'environnement.

En 2019, dans sa deuxième partie, l'édition 2019 du rapport L'environnement la France, publié par le Commissariat général au développement durable (CGDD) a repris ce concept[22]. Le rapport précise que la notion d'empreinte inclut les effets différés hors du territoire, avec par exemple pour la France une « déforestation importée » liée aux importations de matières premières agricoles et forestières s’élevant à 14,8 millions d'hectares en 2016[22].

Actualisation de 2015

En , les auteurs ont publié, dans Science, une actualisation de leurs travaux, qui conclut que quatre limites planétaires sont aujourd’hui dépassées, ou sur le point de l’être[23],[24],[25] :

  1. changement climatique : la communauté scientifique internationale admet que, pour limiter l’ampleur du réchauffement climatique mondial à 2 °C d’ici 2100 (par rapport à 1990), la concentration atmosphérique en CO2 ne devrait pas dépasser une limite comprise entre 350 et 450 ppm (parties par million). Or, la concentration actuelle atteint depuis peu 400 ppm et les 450 ppm pourraient être dépassés si la croissance actuelle des émissions de gaz à effet de serre se poursuit ;
  2. érosion de la biodiversité : limite déjà dépassée en 2009 ;
  3. perturbation du cycle de l'azote : la limite était déjà atteinte en 2009 ;
  4. perturbation du cycle du phosphore : la limite est désormais franchie aussi pour le phosphore, avec cependant des variations importantes selon les régions.

L’analyse de la limite des modifications des usages des sols a été recentrée sur les processus de régulation naturelle du climat, via les échanges d’énergie, d’eau et de CO2 entre les sols et l’atmosphère. Les chercheurs s’intéressent plus particulièrement au rôle des forêts dans cette régulation et constatent que, pour continuer à profiter de leurs bénéfices, il faudrait accroître leurs superficies, notamment celles des forêts tropicales et boréales.

Trois autres limites planétaires n’étaient pas encore franchies en 2015 :

  1. utilisation d'eau douce ;
  2. diminution de la couche d’ozone stratosphérique ;
  3. acidification des océans.

La dixième limite concerne la diffusion « d’entités nouvelles » dans l’environnement (molécules de synthèse, nanoparticules…), qui peut avoir des conséquences biologiques et/ou géophysiques nocives. Plus de 100 000 substances entrant dans cette catégorie sont aujourd’hui commercialisées dans le monde, avec des impacts écotoxicologiques et environnementaux largement méconnus et probablement très complexes. Les chercheurs s’estiment donc incapables de fixer une limite planétaire pour ces substances, mais invitent à mieux les surveiller et, par précaution, à limiter leur usage tant que possible.

Les auteurs insistent sur la dimension systémique des impacts causés par le dépassement des limites planétaires. Ils insistent en particulier sur les risques liés au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité, deux limites fondamentales qui pourraient, si elles sont dépassées de manière substantielle et persistante, « entraîner le système terrestre vers un nouvel état » potentiellement destructeur, sinon pour la planète, au moins pour ses habitants. Ils rappellent aussi que l’interaction des limites entre elles ne doit pas être sous-estimée, de même que l’inertie des systèmes naturels : par exemple, même si les émissions mondiales de gaz à effet de serre s’interrompaient demain, la concentration de ces gaz déjà émis dans l’atmosphère pourrait suffire à perturber durablement le climat.

Notes et références

  1. (en) Johan Rockström et al., « A safe operating space for humanity », Nature, (lire en ligne, consulté le ).
  2. (en) « Planetary boundaries research » Recherche sur les limites planétaires »], sur Stockholm Resilience Centre (en).
  3. (en) « Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity », Ecology and Society (en), (lire en ligne, consulté le ).
  4. Boutaud et Gondran 2020, p. 19-34.
  5. (en) J.H. Lawton et R.M.May, Extinction rates, Oxford, Royaume-Uni, presse de l'université d'Oxford.
  6. (en) Ed Dlugokencky, Pieter Tans, « Trends in Atmospheric Carbon Dioxide », sur esrl.noaa.gov, U.S. Department of Commerce – National Oceanic & Atmospheric Administration,
  7. (en) James Butler, Stephen Montzka, « The NOAA annual greenhouse gas index (AGGI) », sur esrl.noaa.gov, U.S. Department of Commerce – National Oceanic & Atmospheric Administration,
  8. (en) « ORNL/CDIAC-105 : Program Developed for CO2 System Calculations », sur ncei.noaa.gov (consulté le ).
  9. Auteur:Li-Qing Jiang, Richard A. Feely, Brendan R. Carter, Dana J. Greeley, Dwight K. Gledhill; titre:Climatological distribution of aragonite saturation state in the global oceans; (ISSN 0886-6236)
  10. (en) « Antarctic Ozone », sur legacy.bas.ac.uk, British Antarctic Survey,
  11. auteur: Rohit Srivastava; titre: Trends in aerosol optical properties over South Asia; (ISSN 0899-8418)
  12. auteur: Stephen R. Carpenter, Elena M. Bennett; titre: Reconsideration of the planetary boundary for phosphorus; (ISSN 1748-9326)
  13. auteur: Graham K. MacDonald, Elena M. Bennett, Philip A. Potter, Navin Ramankutty; titre: Agronomic phosphorus imbalances across the world’s croplands
  14. auteur: D. L. N. Rao, D. Balachandar; titre: Nitrogen Inputs From Biological Nitrogen Fixation in Indian Agriculture; (ISBN 9780128118368)
  15. auteur: Will Steffen et al.; titre: Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet
  16. (en)« Climate change: Understanding Rio+20 », UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, ITIN, 3 avril 2012.
  17. (en)« Rio+20 zero draft accepts 'planetary boundaries' », Science and Development Network (en), 28 mars 2012.
  18. (en)« Secretary-General Highlights Key Points... », United Nations News, 16 mars 2012.
  19. (en)« Your guide to science and technology at Rio+20 », Science and Development Network (en), 12 juin 2012.
  20. « Programme d’action général de l’Union pour l’environnement à l’horizon 2020 : "Bien vivre, dans les limites de notre planète" », sur Union Européenne, (consulté en )
  21. K. Raworth, 2012
  22. L'environnement en France 2019, Commissariat général au développement durable, 220 p., PDF (lire en ligne), p. 11, « La France et les « neuf limites planétaires » ».
  23. (en)« Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet », Science, 13 février 2015.
  24. « Quatre limites planétaires mondiales sont aujourd’hui dépassées », Futuribles, 18 février 2015.
  25. Natacha Gondran, « Apprendre à respecter les limites planétaires », sur Institut Momentum,

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, Les Limites planétaires, La Découverte, coll. « Repères », (ISBN 9782348046230). 

Articles connexes

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