Langues de l'Empire byzantin

Différentes langues ont été parlées et/ou écrites dans les territoires de l'Empire romain d'Orient (ou Empire byzantin) tout au long de ses mille ans d'histoire. Certaines ont évolué, d'autres ont disparu, beaucoup ont laissé des documents écrits, toutes sont mentionnées dans les sources[1]. La plupart de ces langues ont eu une riche littérature et ont contribué à véhiculer les trésors littéraires et les débats d'idées de leur (long) temps.

Les langues populaires parlées dans l'Empire à l'époque de Justinien. Les langues "autres" sont l'illyre, le thrace, le phrygien, l'isaurien, le cappadocien et, en Crimée, l'alain et le gotique. Le grec démotique et, en occident, le latin étaient les langues de communication entre tous.

Langues savantes

L'Empire a eu deux langues officielles : le latin (à peu près abandonné vers le VIIe siècle) et le grec médiéval (Μεσαιωνική Ελληνική), compris par presque tous. Les lettrés écrivaient et savaient s'exprimer aussi en koinè, langue grecque de l'époque hellénistique, devenue depuis langue littéraire et savante. Dans les Balkans, l'église utilisa d'abord le grec liturgique (Ακολουθιακή Ελληνική) comme à Constantinople, puis également le slavon liturgique, avec l'alphabet cyrillique créé pour les Slaves par Cyrille et Méthode. En Anatolie, l'église utilisa le grec liturgique et l'arménien, dont l'alphabet est inspiré à la fois du grec et de l'araméen.

Mais ses populations et ses différentes confessions s'exprimaient en bien d'autres langues encore.

Langues populaires

Grec populaire

Sur les côtes de la péninsule des Balkans et de l'Anatolie, en Calabre, à l'est de la Sicile et dans toutes les îles de la Méditerranée orientale, le grec populaire (Μεσαιωνική δημοτική), issu de la koinè attique, a toujours dominé, mais avec des variantes : italique (Κατωιταλιώτικα) en Calabre et Sicile, helladique dans les Balkans et autour de l'Égée, pontique autour de la Mer Noire, micrasiatique en Anatolie centrale et méridionale, notique en Cyrénaïque et en Égypte. À ces variantes, il faut ajouter le tsakonien, également issu de la koinè, mais avec des traits doriens. Seul celui-ci est assez différent du grec moderne pour constituer un vrai dialecte. Les linguistes hellénistes discutent pour savoir si les variétés actuelles du grec moderne proviennent des variétés médiévales (ce qui suppose une continuité de peuplement grec sur place, hypothèse dominante dans l'historiographie grecque) ou uniquement du Μεσαιωνική δημοτική grec populaire ») helladique (ce qui suppose un repeuplement plus moderne à partir du pourtour de l'Égée, hypothèse fréquente et vivement discutée au sein de l'historiographie européenne et turque). Les démographes soulignent que l'une n'exclut pas l'autre, car sous la pression des évènements militaires, économiques et environnementaux, des transferts de population ont été très fréquents tout au long de l'histoire, sans pour autant que les peuplements antérieurs (et leurs parlers) disparaissent intégralement. Après l'arrivée des turcs en Anatolie, un dialecte gréco-turc, le Καππαδοκική Ελληνική / Kappadokikế Ellênikế (cappadocien) se développa dans le Sultanat de Roum, dont le nom signifie : Sultanat du pays des Romains, et que l'on appelle aussi Sultanat d'Icônion et, en Turquie : Sultanat selçuk de Konya.

Langues anatoliennes, iraniennes, thraces et illyriennes

Ce sont des langues indo-européennes parlées dans l'intérieur des Balkans et dans l'intérieur de l'Anatolie. Dans les Balkans (qui ne s'appelaient pas encore ainsi : le mot balkan est turc et signifie "rocheux-glissant"), on parlait des langues thraces et illyriennes qui évoluèrent ultérieurement soit en dialectes albanais (guègue, tosque), soit, par romanisation, en dialectes valaques au nord de la ligne Jireček, et, par hellénisation, en dialectes grecs au sud de celle-ci. Dans l'intérieur de l'Anatolie, outre de nombreux îlots grecs notamment dans les principales villes, on parlait plusieurs langues indo-européennes : phrygien, thynien et bithynien (des langues thraces), des parlers issus des anciens isaurien et cappadocien (langues que les Kurdes actuels revendiquent comme relevant du proto-kurde, mais que les linguistes classent dans la famille anatolienne, et non pas iranienne des langues indo-européennes, or c'est de cette dernière qu'est issu le kurde). Il ne faut pas confondre le cappadocien anatolien avec le Καππαδοκική Ελληνική (grec cappadocien), dialecte plus tardif du grec apparu après l'arrivée des turcs. Les mercenaires Sarmates, Roxolans puis Alains de l'armée, s'exprimaient pour leur part dans des langues iraniennes.

Langues romanes

Les études byzantinologiques, axées sur l'abandon du latin au profit du grec comme langue officielle, oublient souvent la composante romane de l'Empire byzantin. Or en Italie du nord et du sud, en Sicile, en Afrique du nord ou dans la partie byzantine de l'Hispanie on parlait des langues romanes, et les lettrés comme Cassiodore et l'Église y utilisaient le latin classique, tandis que dans l'intérieur des terres des Balkans, la romanisation des langues illyriennes et thraces a produit respectivement le dalmate et le thraco-romain qui, après avoir évolué en roman oriental (mentionné par Théophylacte Simocatta et Théophane le Confesseur) a donné les langues romanes orientales des Valaques (aroumain, istrien, mégléniote et roumain)[2].

Langues slaves et turques

À partir du VIe siècle s'ajoutèrent aux langues des Balkans les langues slaves : sorabe (qui plus tard contribua à la naissance du serbo-croate) et slavon ainsi que les dialectes irano-turcs des premiers Bulgares (qui adoptèrent ensuite le slavon) et turcs des Gök-Oğuz (dont se revendiquent les actuels Gagaouzes). En Anatolie, à partir du XIe siècle, les turcs commencèrent à s'installer, à turciser et islamiser ses habitants : initialement, c'est en alphabet grec qu'ils écrivirent leurs langues. En outre, de nombreux mercenaires de l'Empire, entre autres Antes ou Khazars, étaient locuteurs de langues slaves ou turques.

Arménien et langues caucasiennes

En Anatolie orientale, de la Cilicie à la Mer Noire (qui ne s'appelait pas encore ainsi : ce nom est turc, et cette mer s'appelait alors le Pont-Euxin) dominaient l'arménien (autre langue indo-européenne) et le laze, langue du Caucase proche des dialectes géorgiens actuels. L'arménien littéraire et liturgique était cependant répandu dans tout l'Empire, dans la plupart des villes où vivaient des communautés arméniennes.

Langues du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord

Le Sud-Est (Syrie, Canaan, et extrême Nord-Ouest de l'Arabie) de l'Empire byzantin, était le domaine de divers dialectes d'araméen (dont le syriaque issu d'Edesse, en particulier apprécié et pratiqué parmi les chrétiens sémites de la région, ainsi que les dialectes mandéens et diverses versions de néo-araméen) qui coexistaient avec le grec (dominant, comme il était typique, les villes et leurs environs). En Égypte, la langue vernaculaire était le copte, issue de l'ancien égyptien. Quant aux juifs de l'Empire, dits "Romaniotes", ils s'exprimaient en yévanique, alors que les synagogues continuaient à faire usage d'hébreu dans le cadre liturgique. À partir du VIIIe siècle, à la suite de l'extrême violence des guerres byzantino-sassanides, puis arabo-byzantines, débuta l'oblitération de la longue (un millénaire, par endroits) imprégnation grecque au sud-est de l'Empire et latine en Afrique du nord. Les populations sémitiques (Syriens, Cananéens, Nabatéens...) et nord-africaines au sens large (les Égyptiens, et ceux que l'on appelle communément aujourd'hui Berbères) subirent l'arabisation linguistique et culturelle et sont progressivement devenues minoritaires au milieu des arabophones islamisés[3].

Autres langues

À partir du Xe siècle, des mercenaires Varègues, de langue germanique scandinave, ont également servi dans les forces byzantines ; c'est vraisemblablement l'un d'eux qui a gravé les runes que l'on peut voir sur le lion byzantin actuellement placé à la porte de l'arsenal de Venise. Les colonies de marchands vénitiens et génois établis à Constantinople et dans d'autres ports byzantins, parlaient les dialectes de l'Italie du nord correspondants. À partir du XIIIe siècle, l'annexion des îles Ioniennes et de nombreuses îles Égéennes (dont l'Eubée, la Crète, Chypre) par les vénitiens, imposa dans ces îles l'italien vénitien comme lingua franca, dont il reste de nombreux toponymes et expressions dans le grec local. Enfin, l'Empire latin de Constantinople et les principautés latines que se sont taillés les croisés en Grèce, y favorisèrent l'usage du français médiéval et, en Grèce centrale, du catalan dans les armées et les colonies latines. En grec populaire, les Latins sont d'ailleurs dits indistinctement Francs (Φράγκοι) : une désignation plutôt religieuse que linguistique.

Sources

  1. Johann Thunmann, (de) Untersuchungen über die Geschichte der östlichen europäischen Völker ("Investigations sur l'histoire des peuples européens de l'est"), 1. Theil, Leipzig, 1874
    A. Budinszky, (de) Die Sprache über Italien und Provinzen des Römischen Reiches ("Les langues en Italie et dans les provinces de l'empire romain"), Berlin, 1881
    A. Keramopoullos (A. Κεραµóπουλλου), Langues et peuples dans l'Empire byzantin, Athènes, 1939
    Franz Dölger, (de) Die Völker im Mittelalter ("Les peuples au Moyen âge"), 1940
    Ferdinand Lot, La langue de commandement dans les armées romaines et le cri de guerre français au Moyen Âge in : volume “Mémoires dédiés à la mémoire de Félix Grat” , I, Paris, 1946
    Petre Ş. Năsturel, Problèmes d'histoire et de linguistique in : “Studii de cercetări şi istorie veche”, vol. VII, Bucarest, 1956.
  2. Alexandru Rosetti, Istoria limbii române Histoire du roumain »], 2 vol., Bucarest, 1965-1969
  3. Gabriel Camps, "Comment la Berbérie est devenue le Maghreb arabe" in : Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée no 35, 1983, p. 7-24 (p. 15). DOI : 10.3406/remmm.1983.1979, en ligne:
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