Justine ou les Malheurs de la vertu

Justine ou les Malheurs de la vertu est le premier ouvrage du marquis de Sade publié de son vivant, en 1791, un an après avoir été rendu à la liberté par la Révolution et l’abolition des lettres de cachet. C’est aussi la deuxième version de cette œuvre emblématique, sans cesse récrite, qui a accompagné Sade tout au long de sa vie.

Justine ou les Malheurs de la vertu

édition originale de 1791

Auteur D.-A.-F. de Sade
Pays France
Genre Roman
Date de parution 1791

Les trois versions de Justine

Il existe trois versions de l’histoire de Justine, réunies pour la première fois dans le tome II des œuvres de Sade publiées dans la Pléiade en 1995 :

1 - Les Infortunes de la vertu (1787)

Le manuscrit original des Infortunes de la vertu n'a jamais été publié du vivant de Sade. Abondamment corrigé, il superpose plusieurs strates de corrections. Il a néanmoins été reconstitué dans sa version initiale, d'abord par Maurice Heine en 1930, puis en 1969, et enfin en 1995 par Michel Delon pour l'édition de la Pléiade. « En raison du développement progressif des aventures de l’héroïne, qui imposait de continuelles augmentations au texte primitif », écrit Maurice Heine, « Sade prit la décision de considérer son ouvrage comme un roman ».

2 - Justine ou les Malheurs de la vertu publiée en 1791

3 - La Nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu, suivie de l'histoire de Juliette, sa sœur, publiée en 1799

Ces versions se différencient par :

  • l’amplification

De la première à la dernière version, Sade ne cesse de multiplier les malheurs de Justine — et d’expliciter les scènes érotiques — comme il ne cesse de prolonger et de durcir les dissertations idéologiques : la première version occupe 118 pages dans l’édition de la Pléiade, la deuxième 259 pages et la troisième 705 pages (sans compter l’histoire de Juliette qui occupe 1080 pages). L’amplification passe aussi par les illustrations : un frontispice allégorique dans Justine ou les Malheurs de la vertu, quarante gravures obscènes dans la Nouvelle Justine.

  • le vocabulaire

Retenu dans les deux premières versions (emploi de périphrases, d’allusions), il est ouvertement obscène dans la Nouvelle Justine.

  • La narration

Justine est narratrice de ses malheurs dans les deux premières versions. Le vocabulaire de la jeune fille et ses réticences morales limitent son évocation des passions dont elle est victime. Elle perd la parole dans la Nouvelle Justine, le récit devient objectif, aucune nécessité narrative ne bride plus les descriptions de violence et d'orgie.

Justine ou les Malheurs de la vertu (1791)

L'édition originale

L’édition originale, constituée de deux volumes in-octavo reliés en veau, est ornée d’un frontispice allégorique de Philippe Chéry gravé par Antoine Carrée représentant la Vertu entre la Luxure et l’Irréligion. Le nom de l’auteur ne figure pas sur la page de titre et le nom de l’éditeur (Girouard à Paris) est remplacé par la rubrique : En Hollande, chez les Libraires associés.

La dédicace témoigne de la conscience qu’a son auteur de l’originalité de son ouvrage, bien qu'il soit en quelque sorte l'antithèse d'un roman moral de Samuel Richardson, Paméla ou la Vertu récompensée, ayant eu un grand succès en 1740 :

« Le dessein de ce roman est nouveau sans doute ; l’ascendant de la Vertu sur le Vice, la récompense du bien, la punition du mal, voilà la marche ordinaire de tous les ouvrages de cette espèce ; ne devrait-on pas en être rebattu ! Mais offrir partout le Vice triomphant et la Vertu victime de ses sacrifices, montrer une infortunée errante de malheurs en malheurs, jouet de la scélératesse ; plastron de toutes les débauches ; en butte aux goûts les plus barbares et les plus monstrueux ; (…) n’ayant pour opposer à tant de revers, à tant de fléaux, pour repousser tant de corruption, qu’une âme sensible, un esprit naturel et beaucoup de courage ; hasarder en un mot les peintures les plus hardies, les situations les plus extraordinaires, les maximes les plus effrayantes, les coups de pinceau les plus énergiques, dans la seule vue d’obtenir de tout cela l’une des plus sublimes leçons de morale que l’homme ait encore reçue ; c’était, on en conviendra, parvenir au but par une route peu frayée jusqu’à présent. »

Le roman

Un résumé a été donné par Maurice Heine dans sa biographie du marquis de Sade :

« Vers 1775, Justine, renvoyée à douze ans du couvent parce qu’elle est soudain devenue orpheline et pauvre, mène, à Paris, une vie de misère et de combats pour sa vertu. Faussement accusée de vol par son maître, l’usurier Du Harpin, elle s’évade à seize ans de la Conciergerie, mais c’est pour courir au-devant d’un viol dans la forêt de Bondy. Elle trouve une bonne place dans un château voisin et la quitte au bout de quatre années, sous la dent des molosses déchaînés contre elle par le jeune comte de Bressac dont elle a refusé d’empoisonner la tante. Recueillie et soignée par Rodin, aussi habile chirurgien que libertin instituteur, elle en est marquée au fer rouge et chassée, quand elle cherche à l’empêcher de disséquer vive une enfant dont il est le père. À vingt-deux ans, elle reprend courageusement la route, atteint Sens, puis Auxerre, d’où elle repart le . Un pèlerinage auprès de la Vierge miraculeuse de Sainte-Marie-des-Bois la fait devenir victime et rester six mois captive des quatre moines lubriques et meurtriers de cette abbaye. Évadée au printemps de 1784, elle tombe, dès le surlendemain, au pouvoir du comte de Gernande qui la saigne pendant près d’un an, beaucoup moins pourtant que son épouse qui en meurt. Il ne lui arrive rien de bon à Lyon où elle retrouve son violeur, ni sur la route du Dauphiné où, près de Vienne, elle a la malchance de croire aux promesses d’un nommé Roland, qu’elle vient de secourir, sans se douter qu’elle va suivre dans son repaire des Alpes le chef d’une bande de faux-monnayeurs. Plus maltraitée qu’une bête de somme pendant des mois, ensuite arrêtée et conduite à Grenoble avec le reste de la bande, elle n’est sauvée de l’échafaud que par l’éloquence de l’illustre et généreux Servan. Mais bientôt compromise dans une nouvelle affaire et se disposant à quitter Grenoble, elle manque y être la victime d’un évêque coupeur de têtes, puis se voit par vengeance accusée d’incendie, de vol et de meurtre. Incarcérée de ce chef à Lyon, elle y est tourmentée et condamnée par un juge prévaricateur et débauché. Conduite à Paris pour la confirmation d’une sentence capitale, elle est reconnue à une étape par sa sœur Juliette qui a fait fortune et dont l’amant en crédit intervient. Sauvée enfin et réhabilitée, Justine semble devoir vivre heureuse dans le château de ses hôtes. Mais le dernier mot reste au Ciel qui ne saurait laisser la vertu en paix, et celle qui l’incarne meurt, à l’âge de vingt-sept ans, foudroyée au cours de l’affreux orage du . »

De longues dissertations morales et philosophiques qui débouchent sur des professions radicales d’athéisme et d’immoralisme, précèdent, interrompent ou terminent presque toutes les scènes d'orgies du roman.

Les réactions

Le succès de scandale du roman est certain. Il est attesté par Louis-Sebastien Mercier — qui affirme que « Justine ou les malheurs de la vertu est étalé sur des planches » du Palais-Royal devenu Palais-Égalité — ainsi que par le nombre des rééditions (5 jusqu’en 1801).

La première critique connue paraît fin 1791 dans la Feuille de correspondance du libraire et accepte le point de vue de l’auteur défendu dans la préface :

« Si pour faire aimer la vertu on a besoin de connaître l’horreur du vice tout entière, (…) ce livre peut être lu avec fruit. » Mais elle met en garde contre une lecture inconsidérée : «  Ce livre est donc au moins très dangereux, et si nous en faisons connaître ici l’existence, c’est que comme le titre pourrait induire en erreur des jeunes gens sans expérience, qui s’abreuveraient alors du poison qu’il contient, nous sommes bien aise d’en avertir les personnes qui sont chargées de veiller à leur éducation. »

La seconde critique, parue un an plus tard dans les Petites-Affiches, est beaucoup plus violente :

« Tout ce qui est possible à l’imagination la plus déréglée d’inventer d’indécent, de sophistique, de dégoûtant même, se trouve amoncelé dans ce roman bizarre, dont le titre pourrait intéresser et tromper les âmes sensibles et honnêtes. (…) Si elle est bien déréglée, l’imagination qui a produit un ouvrage aussi monstrueux, il faut convenir en même temps que, dans son genre, elle est riche et brillante. Les incidents les plus étonnants, les descriptions les plus singulières, tout est prodigué ; et si l’auteur de ce roman voulait employer son esprit à propager les seuls, les vrais principes de l’ordre social et de la nature, nous ne doutons point qu’il y réussît complètement. Mais sa Justine est bien éloignée de remplir ce but louable et que doit se prescrire tout homme qui écrit. La lecture en est à la fois fatigante et dégoûtante. Il est difficile de ne pas fermer souvent le livre de dégoût et d’indignation. Jeunes gens, vous en qui le libertinage n’a point encore émoussé la délicatesse, fuyez ce livre dangereux et pour le cœur et pour les sens. Vous, hommes mûrs, que l’expérience et le calme de toutes les passions ont mis au-dessus de tout danger, lisez-le pour voir jusqu’où peut aller le délire de l’imagination humaine ; mais soudain après, jetez-le au feu : c’est un conseil que vous vous donnerez à vous-même si vous avez la force de le lire entièrement. »

En 1797, un article du Spectateur du Nord, le journal fondé par Amable de Baudus en 1797, écrit par un officier émigré, Charles de Villers, témoigne de la multiplication des éditions qui se répandent dans toute l'Europe :« Tout le monde veut savoir ce que c'est qu'un tel ouvrage ; on le demande, on le recherche, il se répand, les éditions s'épuisent, elles se renouvellent, et le poison le plus cruel circule avec l'abondance la plus funeste. »

En 1798, l'écrivain français Nicolas Edme Restif de La Bretonne écrit un roman libertin intitulé L'Anti-Justine ou les délices de l'amour, qui forme une réponse littéraire à Justine. Restif de la Bretonne avait pour ambition d'écrire un roman tout aussi érotique que celui de Sade mais qui en refuse la cruauté. Le roman ne semble jamais avoir été vraiment publié. Tombé dans l'oubli, il a été redécouvert à partir des années 1860.

Les illustrations

Sources

  • Maurice Heine, Le Marquis de Sade, Paris, Gallimard, 1950
  • Gilbert Lely, Vie du marquis de Sade, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1952-1957
  • Sade, Œuvres, t. II, édition établie par Michel Delon, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995

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