Immigration polonaise dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais

L'immigration polonaise dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais s'est effectuée avant et surtout après la Première Guerre mondiale, principalement dans les années 1920.

Avant la Première Guerre mondiale

Entre 1900 et 1913, la production française de charbon passe de 33 à 40 millions de tonnes, malgré une productivité encore faible : seulement une tonne par homme et par jour en 1913[1] : la main d’œuvre vient de Belgique ou de l’exode rural et seuls un tiers à la moitié des mineurs sont encore logés dans les corons. Les mines de Lorraine sont alors allemandes.

Le besoin de main d’œuvre est brutalement accru par la terrible catastrophe de Courrières[2], qui frappe en 1906 la Cie de Courrières, alors première compagnie minière française et tue près de 1 100 mineurs. La Cie de Courrières recrute alors 900 mineurs en Kabylie mais aussi une partie des premiers mineurs westphaliens, arrivés de la Ruhr allemande, d’origine polonaise, parmi lesquels Thomas Olszanski.

Leur savoir-faire est apprécié. Sur recommandation du prince polonais Witold Czartoryski, actionnaire de la Compagnie des mines d'Anzin, 620 westphaliens sont recrutés en 1909 et 1910 par la Cie d'Anzin, qui a par ailleurs embauché des Kabyles de Courrières. Une partie de ces mineurs westphaliens sont recrutés aussi à Barlin, Lallaing, Guesnain et Wallers par la Cie de Nœux, la Cie d'Aniche et celle d'Anzin. Au début de l'année 1913, des familles polonaises s'installent à Méricourt, dans les vieilles cités appelées « Méricourt-Coron », selon le témoignage d'un mineur polonais de l'époque[B 1]. Les ouvriers allemands savent manier le marteau-piqueur et la Cie d'Anzin en compte 142 dès 1914.

En janvier 1915, au début de la Première Guerre mondiale, les compagnies décident l’évacuation des « Westphaliens » vers le Massif central. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, il s’agit de se prémunir contre la méfiance suscitée par leur long séjour en Allemagne, où plusieurs sont même nés. Environ 80 d’entre eux arrivent ainsi à Cransac dans l'Aveyron, parmi lesquels Thomas Olszanski[B 2], de la Cie de Courrières.

Après la Première Guerre mondiale

La fosse no 4 des mines de Lens à Lens en 1918. Vaincus à Vimy, les Allemands ont causé des dommages dans la plupart des compagnies minières.

Le nombre de mineurs westphaliens d’origine polonaise est multiplié par cent dans la décennie qui suit la Première Guerre mondiale, mais ils ne sont pas les seuls Polonais à s’installer dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. Les employeurs vont aussi en recruter directement en Pologne dès la fin de la guerre, car ils ont besoin de main d'œuvre et parce qu'ils savent qu'une partie des « Westphaliens » sont revenus au pays à partir de 1919 mais sans pouvoir trouver tout de suite du travail car les mines polonaises sont en mauvais état.

En France, seule l'extrémité occidentale du bassin minier nordiste a échappé aux destructions occasionnées par l'occupation allemande. Elle est en première ligne pour l’effort de guerre, puis pour la reconstruction, car pomper l’eau dans les galeries inondées des autres mines prend du temps et consomme de l'énergie, d'où la création dès 1919 d'une « Société civile de dénoyage des houillères », à laquelle l'État prête 250 millions de francs. Pendant la guerre, les Allemands ont noyé les puits de la quasi-totalité des compagnies. La pénurie de charbon est vive, il faut reconstruire la France, les effectifs des charbonnages sont tombés à 56 000 ouvriers en 1918 contre 96 000 en 1913 et les mines elles-mêmes manquent d'énergie, qu'elles utilisent parcimonieusement, d'où la recherche de personnels très qualifiés.

La Cie de Bruay est la seule opérationnelle immédiatement. Elle avait extrait 4,5 millions de tonnes en 1917 contre deux millions en 1914, et affronte de nouveau une très forte contrainte de productivité. Elle parvient à recruter dès septembre 1920 des mineurs westphaliens[3] habitués à l'usage du marteau-piqueur dans la Ruhr allemande[B 3] : dans un premier temps, 80 viennent à Marles-les-Mines, et 14 à Bruay, les compagnies espérant qu'ils vont ensuite rapidement convaincre leurs compatriotes de la Ruhr de les suivre.

Après la conférence gouvernementale franco-polonaise du [B 3], la Compagnie de Bruay bâtit pour eux 1 600 maisons en trois ans. Venus en famille, exigeants sur la qualité de l'habitat, ils créent une quarantaine d'associations à Bruay. À Marles-les-mines, 3 000 maisons ont été bâties par la Compagnie des mines de Marles pour accueillir des « Westphaliens ». À Lapugnoy, commune voisine, d'autres polonais sont arrivés de Pologne, sans famille ni mobilier, en bateau puis en train, par la gare de Chocques, pour être installés cette fois dans des baraquements[4]. Certains sont repartis en raison de ces mauvaises conditions d'accueil, d'autres après une période d'essai d'un an.

L'Allemagne avait donné à partir de 1919 aux Westphaliens d’origine polonaise la possibilité d'opter pour la nationalité polonaise, ce qui leur permet de revenir en Pologne. La tendance au XIXe siècle était de « germaniser », atténuée de la part de l'État à partir de 1887. Les « Westphaliens » qui retournent au pays, dont le nombre est mal connu, découvrent un chômage très élevé et l'écrasement de l'insurrection de Silésie par 21 000 soldats de la Reichswehr à l’été 1919. Confrontés aussi aux prémices de la Guerre soviéto-polonaise, ils préfèrent souvent repartir, mais vers la France, qui a entrepris de les séduire, via Myslowice puis Toul, où Paris a créé un bureau d’immigration, plutôt que de revenir en Allemagne, où la situation sociale est très tendue, et va déboucher en mars 1920 sur le Soulèvement de la Ruhr[5].

Dès la fin 1919, le ministère français du Travail avait ouvert une « Mission française de la Main d'œuvre » à Varsovie, qui organise le le premier convoi venu de Pologne vers la France, mais qui doit rapidement déménager à Czestochowa, sur fond de Guerre soviéto-polonaise, qui débute en par un premier conflit près de Biaroza, en Biélorussie. Les compagnies françaises ont du mal à recruter en Pologne, même si en des Polonais seront rassemblés à Poznań pour aller à Sallaumines, où ils formeront 40 % de la population[6]. Les arrivants sont souvent des paysans peu qualifiés qui ont des problèmes de productivité. Les employeurs tentent en même temps d'éviter les mineurs qui viennent du bassin minier de Dąbrowa Górnicza, en Voïvodie de Silésie, où de nombreuses grèves avaient accompagné la tentative de Révolution russe de 1905[B 4]. La Pologne, qui se remet difficilement de la Guerre soviéto-polonaise, surveille de près la vie menée en France par les Polonais, via son ambassade. Des critères de compétence sont aussi institués. À Myslowice, dans la banlieue de Katowice (Silésie, les candidats ne sont retenus que s’ils ont deux ans d’expérience du fond, dont huit mois d’abattage du charbon[6].

Années (Nord)[B 5] Effectif total de
mineurs français
Effectif total de
mineurs polonais
Production du bassin
(millions de tonnes)
64 000 (83 %) 3 600 (5 %) 10,9
67 000 (61 %) 32 000 (29 %) 15,2
78 000 (60 %) 42 000 (32 %) 24

Les compagnies minières françaises accentuent alors leurs efforts pour recruter plutôt en Allemagne où l’activité minière est de toute façon rendue difficile par les affrontements dans la Ruhr, qui causent 2 400 morts, en plus de 35 600 assassinats politiques. En réaction, à partir du , la France occupe temporairement Francfort et Darmstadt[7]. En , c’est Duisbourg et Dusseldorf qui sont occupées, en vertu d’une décision des Alliés. En , le comité des houillères ouvre un bureau à Duisbourg[5], dans la Ruhr et c'est à l'été 1922 que le plus grand nombre de mineurs polonais arrivent dans le Pas-de-Calais[B 4].

Le débute l'Occupation de la Ruhr dans son entier, qui est très mal accueillie par les Allemands. Elle déclenche des manifestations et même le blocage de trains transportant les mineurs polonais en France, ce qui oblige à entreprendre de longs voyages vers Boulogne-sur-Mer et Dunkerque, en bateau, par la mer Baltique et la mer du Nord. Les recruteurs ouvrent alors un bureau à Wejherowo, sur la Baltique, près de Gdynia pour des liaisons vers Dunkerque et Le Havre. Les tensions sociales contre le départ des Polonais amènent le gouvernement allemand à s'élever contre les transferts de main-d’œuvre puis à obtenir le la fin de l’Occupation de la Ruhr. Dès 1924, les Français ont préféré temporiser et se tourner à nouveau directement vers la Pologne.

Entretemps, la situation s’est stabilisée en Pologne où la Guerre soviéto-polonaise s’est terminée par un armistice, entré en vigueur le . Pour éviter de renouer avec la faible efficacité des opérations de recrutement de 1920, Henri de Peyerimhoff de Fontenelle crée cette fois la Société générale d’immigration, en 1924. Il l’héberge à Paris dans les locaux du comité des houillères. C’est une société par action, au capital partagé entre les compagnies, sur le modèle de « Société civile de dénoyage des houillères » de 1919. Pour chaque recrutement, l'employeur lui verse une commission. Depuis, les mines de charbon du nord de la France se sont progressivement vidées de l'eau qui avait noyé la plupart des galeries pendant la guerre, puis ont été remises en fonctionnement. Les contraintes de productivité ne sont plus aussi fortes qu’en 1919, le besoin de mineurs très compétents moins aigu. Le recrutement se diversifie, les compagnies faisant appel à autant de Français que de Polonais.

En 1931, les mineurs, toutes régions confondues, représentaient 37 % d'une population active polonaise en France de 252 000 salariés (environ un demi-million de personnes, familles incluses)[5]. L'autre secteur représenté est l'agriculture, mais plus modestement. Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, l'immense majorité des Polonais sont mineurs. Quelques-uns d'entre eux sont aussi commerçants ou artisans. En tout, entre 100 000 et 130 000 mineurs westphaliens arrivent en France, familles incluses[5].

Sur l'ensemble du territoire, environ deux-tiers des Polonais recrutés comme ouvriers agricoles gagnèrent l'industrie dès qu'ils le purent, car la demande de main-d’œuvre était très forte, en raison d'une croissance française qui accélère à partir de 1924.

Dimension culturelle

L'église Saint-Stanislas à Calonne-Ricouart, une église polonaise près de la fosse no 2 bis - 2 ter des mines de Marles.

L'immigration polonaise a fortement influencé les traditions minières et culturelles en France[B 6]. Une « petite Pologne » voit le jour dans plusieurs cités minières. Parmi les habitants, les grands-parents paternels du célèbre footballeur Raymond Kopaszewski, des mineurs venus de Pologne dès 1919 avec quatre enfants. La proportion de Polonais atteint 70 % des habitants à Fouquières-lès-Lens, dans le secteur de la Compagnie des mines de Courrières, mais l'arrondissement de Béthune concentrait 90 % des 135 000 Polonais du Pas-de-Calais, qui accueille lui-même alors un tiers des 150 000 Polonais de France, familles incluses, proportion s'élevant à un tiers si l'on ajoute le département du Nord.

Les Polonais de Westphalie jouent un rôle important dans le syndicalisme et la vie associative, comme ils l'avaient fait en Allemagne dans les années 1890. Certaines associations créées en Westphalie ont été transférées en France avec parfois les mêmes personnes. L'instituteur et le curé venaient souvent avec les mineurs. Les compagnies minières encouragent la pratique religieuse, comme à Marles-les-Mines, où la Compagnie des mines de Marles participe à la construction d'une église. La religion catholique, qui avait été découragée en Allemagne, s'épanouit librement en France, dans toute sa dimension. De nombreuses associations du Rosaire voient ainsi le jour, de même que les sociétés de la Sainte-Barbe, de Saint-Adalbert, les Sokół, mouvement de jeunesse polonais créé en 1867, et les Strezelec (groupe sportif)[B 7].

Les deux journaux de langue polonaise qui existaient dans la Ruhr déménagent en 1924 et tissent un lien entre Polonais, qu'ils viennent d'Allemagne ou directement de Pologne. Le premier numéro de Wiarus Polski en France est publié le à Lille, imprimé par Le Grand Écho du Nord[B 8]. Trois mois après, c'est son grand rival, Narodowiec, qui déménage à Lens, en . Ces deux titres connaissent une croissance très rapide et réalisent une pénétration importante dans la population polonaise. En 1926-1928, Wiarus Polski tire à 10 000 exemplaires et Narodowiec à 15 000. Leur lectorat cumulé est estimé à 100 000 personnes[B 8].

Un Syndicat des Ouvriers Polonais (ZRPF), arrivé avec des mineurs de Westphalie en 1924, compte déjà une centaine de sections et 10 000 adhérents en 1926 mais son existence en France sera de courte durée[6]. La CFTC, nouveau syndicat français d'orientation religieuse fondé en 1919 en région parisienne, compte au début des années 1930 une quinzaine de sections polonaises dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais[6].

Références

Références

  1. L'Information géographique
  2. "Une entreprise face à la gestion de « risques majeurs » : la compagnie des mines de Courrières (1852-1944)" par Marie-France Conus, dans Histoire, économie et société 2006 page 63
  3. "De la Petite Pologne à l’intégration" sur l'Echo du 62
  4. « "De la discrimination à l’intégration" », Echo62,
  5. Gazeto Beskid, « "L'immigration polonaise des années 20 en France" »
  6. [PDF] « Les mineurs polonais dans l’histoire de la France du XXe siècle : jalons, originalités, figures », Diana Cooper-Richet, Institut d’études culturelles, dans Synergies Pologne
  7. Pierre Genevey, « Le désarmement après le traité de Versailles », Politique étrangère, vol. 32, no 1, , p. 87-112 (lire en ligne)

Références bibliographiques

  1. Mihout 1993, p. 128
  2. Mihout 1993, p. 138
  3. Ponty 2005, p. 62
  4. Mihout 1993, p. 161
  5. Ponty 2005, p. 124
  6. Thiriet 2001, p. 71
  7. Mihout 1993, p. 223
  8. Ponty 2005, p. 171

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Yves Frey, Polonais d'Alsace : Pratiques patronales et mineurs polonais dans le bassin potassique de Haute-Alsace, 1918-1948, Presses Universitaires de Franche-Comté, , 598 p. (lire en ligne). 
  • Janine Ponty, Polonais méconnus : Histoire des travailleurs immigrés en France dans l'entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, , 474 p. (ISBN 2-85944-536-6, ISSN 0768-1984, lire en ligne), p. 62, 124, 171. 
  • Jean-Philippe Thiriet, Les Polonais dans les houillères de Ronchamp 1919-1939, Salins-les-Bains/Ronchamp, musées des techniques et cultures comtoises, , 77 p. (ISBN 2-911484-05-3), p. 71. 
  • Mylène Mihout, Un militant syndicaliste franco-polonais : La vie errante de Thomas Olszanski, 1886-1959, Presses Universitaires Septentrion, (lire en ligne), p. 128, 138, 161, 223. 
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