Gilles Saussier

Gilles Saussier, né à Suresnes en , est artiste photographe et professeur à l'École nationale supérieure de la photographie (ENSP) à Arles. Il est diplômé de l'Université Paris Nanterre en sciences-économiques et de l’Université de Paris I Sorbonne en arts plastiques. Ses différents projets artistiques ont en commun le rapport à la mémoire des sans-voix, l’histoire raconté par les pouvoirs dont les médias, la relation du document au monument.

Biographie

Tournant le dos à sa pratique de photo-reporter (agence Gamma Presse Images 1989-94), Gilles Saussier conçoit en 1997 un dispositif d'installation photographique sous chapiteau dans la vieille ville de Dhaka au Bangladesh. Il choisit d’exposer et de rendre aux habitants de Shakhari bazar, le principal quartier de la minorité hindoue, 74 portraits, reliquat d'un essai photographique initialement destiné à la presse magazine internationale. Cette dépense improductive - en forme de potlatch - assume la dilapidation et la dissolution des restes de son activité de photojournaliste dans un espace local non occidental, géographiquement et socialement marginalisé.

De retour au Bangladesh (2001, 2006-2007), Gilles Saussier rend visite aux habitants propriétaires de ses images et documente leur dissémination dans l'espace de la rue et les intérieurs des maisons. Un processus documentaire dialogique et expérimental s’engage formé de couches successives de portraits superposées et entrecroisées. Dans la rue où les boutiques de portraitistes traditionnels ont disparu supplantées par les réalisateurs de films vidéos bon marché, les habitants viennent désormais à moi comme au studio. Lourd et visible avec mon appareil moyen-format, je parviens à réaliser ces images intimes que m’interdisait la norme du reportage. Je renoue avec l’activité de portraitiste de quartier, importé par le colonisateur, popularisé par l’indigène et tombé depuis en désuétude. Studio Shakhari Bazar (Le Point du jour, Centre d'art éditeur, Paris-Cherbourg[1], 2006), conçu en collaboration avec David Barriet et le graphiste Jérôme Saint-Loubert Bié [2], initie un positionnement à la croisée de la tradition photographique documentaire, de l’art conceptuel et de l’anthropologie visuelle.

Pour Gilles Saussier, la photographie est un acte qui sans cesse modifie la relation entre le photographe, le sujet photographié et le spectateur. Dans Retour au pays, publié dans Paysages territoires - L'Ile-de-France comme métaphore (Parenthèses 2003) et exposé par Okwui Enwezor à la documenta 11 [3](2002), Gilles Saussier propose une médiation poétique sur la cohabitation des usages et les imaginaires du paysage en vallée de l'Epte à la frontière de l'Île-de-France et de la Normandie. Entre 2003 et 2008, il intervient dans le cadre de deux grands projets de renouvellement urbain dans le quartier d'habitat populaire de Malakoff (GPV) à Nantes et à Cherbourg-Octeville (AURU) et réalise de nombreux itinéraires en collaboration avec le sociologue Jean-Yves Petiteau, à Nantes dans le quartier et le marais de Malakoff (Lui et ses miroirs, 2004) puis à Saint-Nazaire sur les traces d'un sans domicile fixe mort à la rue (Logé chez l'habitant 2007-2008). Dans sa communication Être à la rue, être à la vue [4] (2008), Jean-Yves Petiteau revient sur cette rencontre et sur cette collaboration déterminante dans l'évolution de sa méthode des itinéraires[5].

En 2010, Gilles Saussier publie, en collaboration avec le graphiste et typographe David Poullard, Le Tableau de chasse (Le Point du jour éditeur, Paris-Cherbourg) dont les premières séries sont exposées au Kunstmuseum de Bâle par Hartwig Fischer[6] dans le cadre de l'exposition Covering the real, Art and the Press Picture from Warhol to Tillmans (2005). Archéologie médiatique et photographique de la révolution roumaine de 1989, Le Tableau de chasse est une aussi une vigoureuse critique, iconique et verbale, du reportage et de la photographie d'auteur qui prétend déposer ses marques et ses effets de signature sur le réel. C'est en publiant le récit du Tableau de chasse, vingt ans après les événements, que Gilles Saussier parvient à se réconcilier avec ses photographies de la révolution roumaine et à en devenir l'auteur[7]. Présenté dans de nombreuses expositions traitant des rapports entre art et médias (Antifotoperiodismo La Virreina Centro de la Imagen Barcelone 2010, False Fakes - Centre de la Photographie Genève 2013, The image of war Bonniers konsthall Stockholm 2017) Le Tableau de chasse a fait l'objet de commentaires et d'études par des chercheurs et des universitaires (Michel Poivert, Emmanuelle Cherel, Guitemie Maldonado[8], Christian Gattinoni[9], Hilde Van Gelder[10], Danièle Méaux[11]...). Dans Représentations factuelles [12](éditions du Cerf, Paris, 2020), le philosophe et théoricien des œuvres factuelles auXXe et XXIe siècle, Frédéric Pouillaude écrit: La mise en page du livre extrêmement complexe et soignée, ainsi que la concision toute poétique et symbolique des formules verbales font de cet ouvrage un petit théâtre d'idées, où se réfléchit en une sorte de performance arrêtée toute la cynégétique prédatrice de l'acte photographique (p. 317).

En 2018, Gilles Saussier publie Spolia (Le Point du jour éditeur, Paris-Cherbourg), conçu avec David Benassayag et le graphiste David Poullard, une enquête de territoire sur la fabrication de La Colonne sans fin du sculpteur Constantin Brâncuși (1876-1957), érigée à Târgu Jiu, Roumanie, et fabriquée entre 1937 et 1938 dans les Carpates méridionales. Suivant le cours du Jiû, Gilles Saussier explore les conditions de transport et de fabrication du monument et révèle l'arrière-pays minier dont il est issu. Le récit de cette élévation par des ingénieurs des mines et des ouvriers creusant infiniment sous terre croise l’histoire de l’art moderne et la construction de l’Europe contemporaine, de la révolution industrielle à l’effondrement du bloc communiste. Faisant l'objet de compte-rendus de Michel Poivert dans Art Press (2019), L'ombre projetée de l'histoire[13], et d'Anne Bertrand [14] dans Transbordeur: photographie histoire société (2020), Spolia est aussi présenté lors du colloque international Nouvelles théories de la photographie. Approches analytiques et continentales [15](Paris Sorbonne Université, 2018), au Centre Pompidou bibliothèque Kandinsky [16](2019) et à l'invitation de Véronique Yersin et des éditions Macula[17] à Art Genève [18] (2019).

Expositions personnelles (sélection)

  • 180 km avant la mer, La Terrasse espace d'art de Nanterre, 2019
  • Spolia, Art Genève à l'invitation des éditions Macula,
  • Spolia, Spolia, galerie de l'école supérieure des beaux-arts de Nîmes (ESBAN), 2018
  • Spolia, La Ville Blanche, Marseille, 2017
  • Spolia, Centre de Photographie Le Bleu du ciel, Septembre de la Photographie Lyon, 2016
  • Site Specific, Fonds Régional d'Art Contemporain (FRAC) Haute-Normandie, Sotteville-lès-Rouen, 2015
  • Sinea, Galerie Zürcher, Paris, France, 2012
  • Le chien est un loup pour la colonne, Société française de photographie, Paris, 2012
  • Le Tableau de Chasse, Le Point du jour Centre d'art, Cherbourg-Octeville, 2010
  • L'île d'après, Galerie Zürcher, Paris, France, 2009
  • Studio Shakahari Bazar, Centre la Photographie de Genève, Suisse, 2006
  • Envers des villes, endroit des corps, Galerie Zürcher, Paris, France,
  • Bivouac, l’Appartement témoin, Nantes, en collaboration avec l’association Peuple & culture 44, 2004-2005
  • Retour au pays, Galerie Zürcher, Paris, France, -

Expositions collectives (sélection)

  • Deux scénarios pour Une collection, FRAC Normandie Rouen 2021
  • La Région humaine, Le ciel est bleu, Lyon, 2021 avec Valérie Jouve, Mathieu Pernot, Sophie Ristelhueber
  • Looking at war, Bonniers konsthall, Stockholm, 2017, avec Alfredo Jaar, Martha Rosler, Natascha Sadr Haghighian, Susan Schuppli, Allan Sekula
  • Paysages Français - Une aventure photographique 1984-2017, BNF, Paris 2017
  • Learning photography, FRAC Rouen Normandie 2012
  • Antifotoperiodismo / Centre de l'image contemporaine, Barcelone, 2010 avec Harun Farocki, Susan Meiselas, Walid Raad, Allan Sekula
  • L'Archive universelle, la condition  du document et l'utopie photographique moderne, MACBA de Barcelone, 2008, avec Lotar Baumgartner, Hans-Peter Feldman, David Goldblatt, Allan Sekula
  • Covering the real / Kunstmuseum de Bâle, 2005 avec On Kawara, Gabriel Orozco, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Allan Sekula
  • Documenta 11, Kassel, 2002
  • Des Territoires, ENSBA Paris, 2001, avec Yto Barrada, Mikael Levin, Jeff Wall, Stephen Wilks

Livres, textes, entretiens (sélection)

Notes et références

  1. Le Point du Jour centre d'art éditeur, « Le Point du Jour éditions »
  2. « Gilles Saussier, Shakhari Bazar : Jérôme Saint-Loubert Bié », sur www.jslb.fr (consulté le )
  3. (en) documenta 11, « documenta11 - Retrospective - documenta », sur www.documenta.de (consulté le )
  4. Jean-Yves Petiteau, « Etre à la rue, être à la vue », Séminaire européen de recherche Marcher en ville. Grenoble, 15 janvier 2008 [CD-Audio], CRESSON, , p. XX (lire en ligne, consulté le )
  5. PETITEAU Jean-Yves, « La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire », sur HAL Archive-ouverte,
  6. (en) « Hartwig Fischer », dans Wikipedia, (lire en ligne)
  7. Emmanuel Zwenger et Gilles Saussier, « Ruines du reportage et Spolias documentaires. Entretien », dans Que faire avec les ruines ? : Poétique et politique des vestiges, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », (ISBN 978-2-7535-5778-9, lire en ligne), p. 57–68
  8. (en-US) MALDONADO Guitemie, « Guitemie Maldonado on Gilles Saussier », sur www.artforum.com, (consulté le )
  9. GATTINONI Christian, « Les engagements critiques et historiques de Gilles Saussier - revue art contemporain - revue art contemporain », sur www.lacritique.org (consulté le )
  10. (en) VAN GELDER Hilde, « Artistic ‘Non-Compliance’ with the Protocol Rules of Photojournalism. », sur depthoffield.universiteitleiden.nl (consulté le )
  11. Danièle MÉAUX, « Les Voyages en Roumanie de Gilles Saussier », https://revues-msh.uca.fr:443/viatica, (lire en ligne, consulté le )
  12. Éditions du CERF, « Représentations factuelles »,
  13. Poivert Michel, « L'ombre projetée de l'histoire », sur www.pressreader.com, (consulté le )
  14. Anne Bertrand, « Gilles Saussier, Spolia, 2018 », Transbordeur: photographie histoire société, no 4, (ISSN 2552-9137, lire en ligne, consulté le )
  15. ARIP, « [Colloque] Nouvelles théories de la photographie. Approches analytiques et continentales » (Paris, 5-6 octobre 2018) », sur ARIP (consulté le )
  16. « 29/10/2018 – Le carnet de la BK » (consulté le )
  17. « Éditions Macula - Actualités », sur www.editionsmacula.com (consulté le )
  18. « Art Talks – artgenève » (consulté le )
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