Georg Lukács

Georg Lukács ou György Lukács, né György Löwinger le à Budapest et mort le dans la même ville, est un philosophe marxiste occidental hétérodoxe, sociologue de la littérature hongroise, critique littéraire hongrois d'expression principalement allemande et un homme politique.

Pour les articles homonymes, voir Lukács.

Ne doit pas être confondu avec George Lucas ou Georges Lucas.

Dans le nom hongrois Lukács György, le nom de famille précède le prénom, mais cet article utilise l’ordre habituel en français György Lukács, où le prénom précède le nom.

Biographie

Georg Lukacs naît György Bernat Löwinger dans une famille de la bourgeoisie juive de Budapest. Il est le fils du banquier d'affaire Joszf Löwinger (Szegedi Lukacs Joszef après son anoblissement, 1855-1928) et de sa femme Adele Wertheimer (1860-1917). Après sa naissance, son père est fait chevalier par l'empire et reçoit le titre de baron, Georg Lukacs devient donc baron par héritage. Son nom devient alors en allemand baron "Georg Bernhard Lukacs von Szegedin" et en hongrois baron "Szegedi Lukacs György Bernat" (soit Baron Georges Bernard Lukacs de Szeged).

Georg Lukacs participe très tôt aux cercles intellectuels de Budapest, Berlin, Florence et Heidelberg. Il obtient son doctorat en droit sous la direction de Felix Somló en 1906 à l'université royale hongroise François-Joseph à Kolozsvár. En 1909 il complète son doctorat en philosophie à l'Université Lorand Eötvös à Budapest sous la direction de Zsolt Beöthy. En 1914 il épouse Jelena Grabenko, une activiste politique russe.

Lors du déclenchement de la Première Guerre Mondiale, il est mobilisé au bureau hongrois de la censure. De retour de son service militaire, il écrit en 1916 la Théorie du Roman, un de ses textes les plus célèbres.

En 1917, il adhère au marxisme et entre par la suite au Parti communiste de Hongrie. Il participe à la République des conseils de Hongrie de 1919 (dirigée par Béla Kun, dont il est commissaire à l'Instruction).

Après l'échec de ce soulèvement, il s'exile en Autriche, puis à Berlin, et enfin à Moscou à partir de 1933. Il revient en Hongrie en 1945, et devient député et professeur de philosophie.

Il est ministre de la Culture dans le gouvernement d'Imre Nagy en 1956[2]. Après l'échec de l'Insurrection de Budapest, qu'il avait soutenue, il est exilé en Roumanie, mais peut revenir en Hongrie en 1957. Il se consacre alors aux questions d'esthétique et de théorie littéraire.

Il est le père adoptif du physicien Lajos Jánossy, membre de l'académie des sciences et père du physicien András Jánossy et de l'économiste marxiste Ferenc Jánossy après avoir épousé leur mère Gertrud Borstieber[3].

Travaux

Théorie littéraire

Lukács est le précurseur des études sociologiques sur la littérature romanesque. Il a su adopter une perspective qui replace l'œuvre d'art dans son contexte social et historique qu'il s'efforce de reconstituer et d'analyser. Il fut également un farouche défenseur du réalisme en littérature, répudiant notamment le modernisme incarné par des auteurs tels que Kafka, Joyce ou Beckett. Cette partie de son œuvre trouve des prolongements dans celle du sociologue Wolf Lepenies.

Il a été lauréat du Goethe-Preis décerné par la ville de Francfort-sur-le-Main en 1970.

Histoire et Conscience de classe (1923)

Histoire et conscience de classe est sans doute l'œuvre la plus célèbre de Lukács. Elle est considérée comme l'œuvre fondatrice du marxisme occidental par Maurice Merleau-Ponty (Les aventures de la dialectique) et Perry Anderson (Le marxisme occidental).

Dans cet ouvrage, Lukács fait un concept historique de la théorie de la réification (appelée « fétichisme de la marchandise » dans Le Capital de Marx). Pour Lukács, l'« idéologie » est en réalité une projection de la conscience de classe de la bourgeoisie, qui fonctionne pour empêcher le prolétariat d'atteindre une conscience réelle de sa position sur le plan politique, et révolutionnaire. L'idéologie détermine la forme d'« objectivité », ainsi que la structure de la connaissance elle-même. La vraie science doit atteindre, selon Lukács, la « totalité concrète » à travers laquelle seulement il est possible de penser à la forme actuelle de l'objectivité comme une période historique. Ainsi, les lois dites « éternelles » de l'économie sont rejetées comme l'illusion idéologique projetée par la forme actuelle de l'objectivité (Quel est le marxisme orthodoxe ?, § 3). Il écrit aussi : « C'est seulement lorsque le noyau de l'être s'est montré lui-même comme devenir social que l'être lui-même peut apparaître comme un produit, à ce jour inconscient, de l'activité humaine et cette activité, à son tour, comme l'élément décisif de la transformation de l'être. » (Quel est le marxisme orthodoxe ?, § 5) Enfin, le « marxisme orthodoxe » n'est pas défini comme l'interprétation capitale comme si c'était la Bible ou l'embrassement de certaines « thèses marxistes », mais comme une fidélité à la « méthode marxiste », la dialectique.

Lukács a par la suite renié cet ouvrage, à la suite de sa lecture postérieure des Manuscrits de 1844 (seulement publiés dans les années 1930)[4], et désapprouvé sa réédition, notamment en 1960 lorsque Kostas Axelos en a fait une traduction en français (la lettre de désapprobation fut publiée par la revue Arguments cette même année).

Cet ouvrage a inspiré un certain nombre d'intellectuels marxistes du XXe siècle tels que Guy Debord ou Lucien Goldmann. Ce dernier a même avancé que le célèbre essai de Martin Heidegger, Être et Temps, est à comprendre en partie comme une réponse à l'ouvrage de Lukács. Concernant Henri Lefèvre, celui-ci est solidaire de Lukács contre les tracasseries dont il a été l'objet mais désapprouve l'idéalisation du prolétariat perceptible dans "Histoire et conscience de classe" [5]

Existentialisme ou Marxisme ? (1948)

Existentialisme ou Marxisme ? est une œuvre moins connue de Lukács. Le philosophe hongrois polémique avec l'existentialisme, qu'il qualifie de philosophie idéaliste et bourgeoise.

Œuvres

Édition de référence

[GW] (de) G. Lukács, Gesammelte Werke, Darmstadt, Luchterhand, 1968–1981.

Principales œuvres

  • (de) Die Seele und die Formen : Essays, Berlin, Egon Fleischel,
    • trad. fr. : L'Âme et les Formes : traduction, notes introductives et postface de Guy Haarscher, Paris, Gallimard, coll. « bibliothèque de philosophie »,
  • (de) Theorie des Romans,
    • trad. fr. : La Théorie du roman, (ré-éd. Denoël, 1968 ; Gallimard, 1989)
  • (de) Geschichte und Klassenbewußtsein,
    • trad. fr. : Histoire et conscience de classe (trad. Kostas Axelos et Jacqueline Bois), Paris, Minuit,
  • (de) Goethe und seine Zeit,
    • trad. fr. : Goethe et son époque, Nagel,
  • (de) Der junge Hegel : Über die Beziehungen von Dialektik und Ökonomie,
    • trad. fr. : Le Jeune Hegel : sur les rapports de la dialectique et de l'économie, Gallimard,
  • (de) Deutsche Literatur im Zeitalter des Imperialismus,
  • (de) Existentialismus oder Marxismus,
  • (de) Deutsche Realisten des 19. Jahrhunderts,
  • (de) Wider den missvertandenen Realismus, puis (de) Die Gegenwartsbedeutung des kritischen Realismus
    • trad. fr. : La Signification présente du réalisme critique, Gallimard,
  • (de) Balzac und der französische Realismus,
    • trad. fr. : Balzac et le réalisme français, Maspero,
  • (de) Der russische Realismus in der Weltliteratur, 1953/1964
  • (de) Die Zerstörung der Vernunft, Berlin,
    • trad fr. :
      • édition L'Arche (1959) : La Destruction de la raison, tome 1 : Les Débuts de l’irrationalisme moderne, de Schelling à Nietzsche (trad. René Girard, André Gisselbrecht, Joël Lefebvre, Édouard Pfrimmer), L'Arche, , 362 p. / La Destruction de la raison, tome 2 : L’Irrationalisme moderne de Dilthey à Toynbee (trad. René Girard, André Gisselbrecht, Joël Lefebvre, Édouard Pfrimmer), L'Arche, , 384 p.
      • édition Delga (2006) : La Destruction de la raison : Nietzsche (trad. de l'allemand), Paris, Delga, , 217 p. (ISBN 2-915854-03-3) assorti d’une préface de l’auteur (1966) inédite en français et augmenté des passages « anti-américains » initialement censurés dans la précédente édition française. / La Destruction de la raison : Schelling, Schopenhauer, Kierkegaard (trad. de l'allemand), Paris, Delga, , 270 p. (ISBN 978-2-915854-21-3)
  • (de) Der historische Roman, Berlin,
  • (de) Ontologie : Marx. Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins. Die Ontologischen Grundprinzipien bei Marx, - repris in Ontologie des gesellschaftlichen Seins (1984)
  • (de) Ästhetik in Vier Teilen, 1972-76
    • trad. fr. : Philosophie de l'art : 1912-1914, premiers écrits sur l'esthétique (trad. de l'allemand par Rainer Rochlitz et Alain Pernet, préf. Rainer Rochlitz), Paris, Klincksieck, , 262 p. (ISBN 2-252-02325-2)
  • (de) Gelebtes Denken. Eine Autobiographie im Dialog, 1980-81
  • (de) Zur Ontologie des gesellschaftlichen Seins,

Autres textes disponibles en français

  • Journal, 1910-1911, Rivages, coll. « Rivages poche. Petite bibliothèque » (no 526),
  • Correspondance de jeunesse, 1908-1917, François Maspero,
  • Littérature, philosophie, marxisme, 1922-1923,
  • Lénine, EDI,
  • Thomas Mann, Maspero,
  • Brève histoire de la littérature allemande, Paris, Nagel,
  • Soljénitsyne, Gallimard, coll. « idées » (no 225),
  • Écrits de Moscou, Ed. Sociales,
  • Marx et Engels historiens de la littérature (trad. Gilbert Badia), L'Arche, , 120 p. (ISBN 978-2-85181-166-0)
  • Problèmes du réalisme (trad. Claude Prévost et Jean Guégan), L'Arche, , 400 p. (ISBN 978-2-85181-161-5) ; analyses sur Cervantès, Diderot, Goethe, Balzac, Flaubert, Zola, Tolstoï, Thomas Mann ; correspondance entre Anna Seghers et Georg Lukács.
  • Textes, Éditions Sociales, coll. « Les essentielles », (ISBN 978-2-209-05692-7)
  • Pensée vécue, mémoires parlées (trad. Jean-Marie Argelès), L'Arche, , 272 p. (ISBN 978-2-85181-062-5) (autobiographie)
  • Socialisme et Démocratisation,
  • Dialectique et Spontanéité, Ed. de la Passion,
  • Le Jeune Marx, son évolution philosophique de 1840 à 1844, Ed. de la Passion,
  • Prolégomènes à l'ontologie de l'être social, Delga,
  • De la pauvreté en esprit, suivi de La légende du roi Midas, Bordeaux, Éditions la Tempête, , 72 p.
  • Nietzsche, Hegel et le fascisme allemand, Editions Critiques, 2018.
  • Le Délire raciste, ennemi du progrès humain, Éditions Critiques, 2019.

Bibliographie

  • Michael Löwy, Pour une sociologie des intellectuels révolutionnaires : l'évolution politique de György Lukacs, 1909-1929, Paris, Presses universitaires de France, Collection "Sociologie d'aujourd'hui", 1976 (thèse de doctorat d'État). Traduit en espagnol, portugais, italien, anglais, et suédois. (ISBN 978-9632703275)
  • Nicolas Tertulian, Modernité et Antihumanisme. Les combats philosophiques de Georg Lukács, Éditions Klincksieck, coll. "Critique de la politique", 2019. (ISBN 978-2-252-04336-3)
  • Nicolas Tertulian, Georg Lukács : Étapes de sa pensée esthétique, Paris, Le Sycomore, 1980. (ISBN 2-86262-095-5)
  • Yvon Bourdet, Figures de Lukács, Paris, Anthropos, 1972
  • H. Arvon, Georges Lukacs, ou le Front populaire en littérature, Paris, Seghers, coll. « Philosophes de tous les temps » (no 41), .
  • L. Goldmann, Lukács et Heidegger, Paris, Denoël-Gonthier, .
  • G. Haarscher, « Approche des écrits de jeunesse de Lukács », dans L'Âme et les Formes, , p. 277-353.
  • G. Lichtheim (trad. Sylvie Dreyfus), Lukács, Paris, Seghers, coll. « Les Maîtres modernes » (no 10), .
  • C. Preve, « Vers une nouvelle alliance. Actualité et possibilités de développement de l’effort ontologique de Bloch et de Lukács », dans Ernst Bloch et György Lukács. Un siècle après, Paris, Actes Sud,
  • P. Noutsos, Le problème de la « direction intellectuelle » chez Georg Lukács (lire en ligne)
  • R. Rochlitz, Le Jeune Lukács : 1911-1916: théorie de la forme et philosophie de l'histoire, Paris, Payot, (ISBN 2-228-13170-9)
  • (en) T. Stahl, « Georg [György] Lukács », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Edward N. Zalta (ed.), (lire en ligne)
  • Nicolas Tertulian, Pourquoi Lukács ?, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l'homme, , 480 p. (ISBN 978-2-7351-2275-2)

Annexes

Notes et références

  1. D'après le site des Éditions de Minuit (consulté le 13 mai 2013).
  2. Sonia Combe, « Anna Seghers ou l’éthique du silence », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
  3. (en) Ferenc L. Lendvai, « György Lukács 1902–1918: His way to Marx », Studies in East European Thought, vol. 60, nos 1-2, , p. 55–73 (ISSN 0925-9392 et 1573-0948, DOI 10.1007/s11212-008-9052-0, lire en ligne, consulté le )
  4. Préface de l'édition allemande de Histoire et Conscience de Classe de 1967, publié en postface à sa réédition française en 1984, éditions de Minuit, p.414.
  5. Cf Hugues Lethierry, Penser avec Henri Lefebvre, chronique sociale, Lyon, 2009

Articles connexes

Liens externes

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