Fusillade du 11 novembre 1984 à Châteaubriant

La fusillade du à Châteaubriant est un crime raciste et xénophobe ayant eu lieu dans le département de la Loire-Atlantique.

Un militant d'extrême droite[1], Frédéric Boulay, assassine à bout-portant deux ouvriers turcs et en blesse cinq autres dans un salon de thé du centre-ville.

Ce drame frappe durablement les esprits et est abondamment commenté dans les médias nationaux de l'époque.

Contexte historique

Lors de la fusillade à Châteaubriant le 11 novembre 1984, la France est déjà le théâtre de crimes contre des étudiants ou des travailleurs immigrés.

Dans le contexte politique, le Front National perce lors des élections municipales à Dreux en mars 1983 et les élections européennes de juin 1984.

Touche pas à mon pote

Du point de vue sociétal, l'affaire Habib Grimzi, mise à l'écran dans Train d'enfer, et la marche des Beurs constituent deux marqueurs de cette période. Le 15 octobre 1984, l'association SOS Racisme est fondée dans les rangs du Parti socialiste avec le slogan « Touche pas à mon pote ».

Politiquement parlant, le gouvernement de Pierre Mauroy prend un virage social-démocrate avec la rigueur caractérisée par le blocage des prix et des salaires[2] et les premières grandes vagues de restructuration dans l'industrie sidérurgique et métallurgique pilotées par le gouvernement Laurent Fabius[3].

Un petit groupe de Turcs habite à Châteaubriant depuis une dizaine d'années, constituant un groupe de 300 personnes[4]. Les Turcs sont employés pour les « tâches les moins nobles » à la fonderie Huard. Ils sont assez peu acceptés par la population[4] et seuls deux cafés acceptent de les accueillir : celui de la fonderie, et celui de la rue de Couéré tenu par Memduh Gürsoy[5] ouvert un an auparavant[4].

Déroulé

La fusillade

Un des immeubles de la rue de Couéré.

Le dimanche 11 novembre 1984, au 17 rue de Couéré dans le centre-ville de Châteaubriant, dix à quinze ouvriers turcs qui travaillent à la Fonderie Huard se réunissent dans un salon de thé ouvert par Memduh Gürsoy. Ils ont l'habitude d'y prendre le thé et jouer aux cartes[5],[6].

À 18h, alors que la nuit est tombée, Frédéric Boulay, 23 ans, domicilié à Martigné-Ferchaud, se tient au milieu de la rue de la Couéré en face du café. Armé d'un fusil à pompe Remington et de 20 cartouches à ailettes qui servent habituellement à la chasse au sanglier[5],[6], il tire à sept reprises à mi-hauteur des ouvriers, depuis le milieu de la rue[5]. Après que l'un d'eux se soit aperçu qu'on leur tirait dessus, ceux-ci utilisent une table comme protection[5].

Certains se sont couchés à plat ventre pour se glisser jusque dans les toilettes[5]. Frédéric Boulay ajuste son tir vers la partie basse du salon de thé afin d'atteindre ses victimes. Salih Kaynar, 40 ans, et Abdullah Yildiz, 38 ans, sont tués sur le coup. Parmi les autres convives du café, cinq personnes ont été grièvement blessés[7].

Au même moment, deux gendarmes patrouillent dans le centre-ville. Ils aperçoivent Frédéric Boulay qui recharge son fusil en prenant des balles qu'il a placées dans une sacoche de sa moto, garée rue de la Coquerie[6] et l'interpellent[8]. Arrêté, il est immédiatement inculpé d'assassinat et de tentative d'assassinat[9].

Réactions

Le lendemain, lundi 12 novembre, une foule immense se réunit devant le café pour rendre hommage aux victimes. Le député-maire de l'époque, Xavier Hunault, convoque un conseil municipal extraordinaire[6] qui assure la communauté turque de sa solidarité et son soutien[9]. Le maire exprime le souhait que cette « dramatique affaire » ne soit pas « récupérée par certains »[9].

Le 14 novembre 1984, un millier de lycéens se réunissent dans le centre-ville de Châteaubriant, tandis que les salariés de la Société Huard débrayent en signe de solidarité, se joignant également à la manifestation[9].

Un millier de personnes se rassemblent également à Nantes en fin d'après-midi à l'appel du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP)[4].

Idéologie du meurtrier

Au moment des faits, Frédéric Boulay travaille à la beurrerie Bridel et est le beau-frère d'un Tunisien[6]. Il voue un culte au nazisme et à l'hitlérisme[10]. La veille du meurtre, le samedi 10 novembre 1984, il déclare avoir entendu un discours de Jean-Marie Le Pen[5].

Motivations

Maison d'arrêt de Nantes

À l'adresse du capitaine de gendarmerie Arnoult, il déclare : « je n'aime pas les étrangers non européens »[réf. souhaitée]. Devant la cour d'assises de Loire-Atlantique le 25 septembre 1985, il reconnaît les faits en donnant les détails[5] et déclare devant les juges : « en aucun cas, je ne regrette ce que j'ai fait. La France a beau être une terre d'asile, ce n'est pas un dépotoir. J'estime que j'ai servi mon pays... »[5]. Il ajoute : "je n'aime pas étrangers. Je suis chômeur alors qu'ils ont du travail"[11].

La cour d'assises de Nantes le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité après une demi-heure de délibération[8]. Pendant le procès, un journaliste du Monde décrit l'attitude de Frédéric Boulay comme « indifférente et hautaine ». Le procureur de la République voit « notre honte à tous » dans le personnage de Frédéric Boulay[12].

Devant le juge, il déclare : « aujourd'hui ce pays me met en prison, mais tout peut changer. D'ici cinq ou six ans, il y aura un régime d'extrême droite ou alors les étrangers feront la loi[10] ». Il est écroué à la maison d'arrêt de Nantes[9].

Double évasion

Transféré à la prison de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées, Frédéric Boulay participe à une première évasion le 6 décembre 1989 avec huit acolytes. En cavale durant trois mois, il est finalement intercepté par le SRPJ à Grabels dans l'Hérault alors qu'il s'apprêtait à commettre un braquage[13]. Le 5 novembre 1990 à 17h15, il prend part à une seconde évasion en hélicoptère[14] avec quatre comparses. La course-poursuite prend fin le 6 novembre 1990[15] dans le centre-ville de Saragosse (Espagne) vers 6h45 du matin[16]. Frédéric Boulay est alors incarcéré en Espagne, il a 28 ans[17].

Mémoire

Une plaque commémorative est posée au 17 rue de Couéré[5]. Le 11 novembre 2014, une cérémonie du souvenir est organisée[5].

Bibliographie

  • José Féron Romano, Les Droits de l'Homme, Paris, Hachette, , 243 p. (ISBN 978-2-01-011657-5, lire en ligne)

Références

  1. Vilmauve, « Le terrorisme d'extrême droite. », Club de Mediapart, (lire en ligne, consulté le )
  2. Encyclopædia Universalis, « 9-28 juin 1982 - France. Dévaluation du franc, blocage des prix et des salaires - Événement - Encyclopædia Universalis », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )
  3. « INA - Jalons - Les restructurations industrielles de l'année 1984 - Ina.fr », sur INA - Jalons (consulté le )
  4. JM Durand-Souffland, « Les silences de Frédéric Boulay », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  5. « Deux turcs tués il y a trente ans, Châteaubriant se souvient », Chateaubriant Actualités, Le Site d'Informations de Châteaubriant, (lire en ligne, consulté le )
  6. Ouest France, « L'hommage aux deux turcs tués », Ouest France, (lire en ligne)
  7. José Féron Romano, Les Droits de l'homme, Hachette (réédition numérique FeniXX), , 221 p. (ISBN 978-2-01-461764-1, lire en ligne)
  8. Ouest France, « Châteaubriant honore la mémoire de deux turcs tués », Ouest France, (lire en ligne)
  9. « MANIFESTATIONS A CHÂTEAUBRIANT », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  10. Jean Marc Théolleyre, « La logique vertigineuse de Frédéric Boulay tueur par racisme proclamé », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  11. Collectif Turc d'Edition et de Diffusion, « L'immigration turque entre deux feux », Info Turk, , p. 1 et 2 (lire en ligne)
  12. Mogniss H. Abdallah, « 21 mars 1984, les mères de la place Vendôme contre les crimes racistes et sécuritaires », Paris-Luttes Info, (lire en ligne, consulté le )
  13. « La grande évasion en procès », Rebelles, , p. 15 (lire en ligne)
  14. « Les principales évasions en hélicoptère », L'Obs, (lire en ligne, consulté le )
  15. Bruno Huet, « Bernadette Garcia revient en France », ladepeche.fr, (lire en ligne, consulté le )
  16. La Dépêche du Midi, « L'hélicoptère au mitard », ladepeche.fr, (lire en ligne, consulté le )
  17. « UN AUTRE EXEMPLE DE PROCES POUR EVASION, LANNEMEZAN 1989 », L'Envolée, (lire en ligne)
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