Felix von Luckner

Le comte Felix Graf von Luckner est un officier de la marine militaire allemande du début du XXe siècle, né le à Dresde et mort le à Malmö en Suède. Il commanda un voilier durant la campagne navale du Pacifique et gagna ainsi la célébrité.

Controverse juridique

Luckner est devenu célèbre pour la manière dont il a participé aux opérations navales pendant la Première Guerre mondiale : à bord d'un voilier, ce qui lui donne les apparences des guerres anciennes et ce qu'une analyse superficielle assimile à la guerre de course.

En réalité, Luckner était un militaire en mission sur ordre de l'état-major de la Marine, contrairement aux corsaires qui étaient des civils et agissaient en toute autonomie après avoir obtenu une lettre de course. L'autonomie de Luckner était une autonomie de fait, seulement due à l'éloignement (il croisait dans le Pacifique) et le choix de faire la guerre sur un voilier était un choix tactique. Quant à ses attaques contre des navires marchands, elles étaient seulement dues au fait qu'un voilier ne pouvait s'attaquer à des navires de guerre.

Rien de cela n'en fait un corsaire (civil faisant la guerre de façon autonome après en avoir obtenu l'autorisation des autorités). Cette assimilation est donc parfaitement fortuite et de pure imagination d'autant que la guerre de course avait été interdite en 1856 par le traité de Paris qui mettait fin à la guerre de Crimée, traité notamment signé par la Prusse.

Rationalité stratégique

Mener la guerre navale au début du XXe siècle avec un voilier (équipé, il est vrai, d'un puissant Diesel d'appoint et d'un poste émetteur récepteur de TSF performant) peut sembler un anachronisme économique et militaire. En fait, il faut se souvenir qu'à cette époque certaines lignes maritimes étaient inexploitables économiquement à la vapeur (coût du charbon et manque de dépôts de combustible) et c'étaient justement les lignes maritimes utilisant des grands voiliers d'acier de 4 000 tonnes et plus qui transportaient des matériaux stratégiques pour l'effort de guerre allié: d'abord le nitrate de soude du Chili dont la société d'armement Bordes s'était fait une quasi exclusivité (engrais chimique en temps de paix, comme le guano, le nitrate de sodium était un composant indispensable à la confection des poudres et explosifs en temps de guerre), et ensuite le nickel de Nouvelle-Calédonie, indispensable aux aciers spéciaux, transporté notamment par les grands minéraliers à voile de la maison rouennaise Prentout et Leblond, tels le célèbre cinq mâts France II.

La manière la plus évidente de les attaquer était le blocus des côtes européennes par les U-Boot , mais la défense contre les sous-marins ne tarda pas à s'organiser: navires-pièges ou Q ships, grenades sous-marines , convois protégés, armement de certains navires de commerce, patrouilles fréquentes en Manche, mesures de détection et d'espionnage, etc.

En attaquant les grands voiliers (en général dépourvus de radio et de canons) dans l'Atlantique Sud ou le Pacifique, la marine du Kaiser pouvait ajouter à peu de frais une corde à son arc.

La guerre en voilier

En 1917, il connut son heure de gloire dans le Pacifique sud à bord du trois-mâts allemand le Seeadler.

Ce grand voilier en fer, paisible en apparence, était en réalité un vaisseau bien armé de 1700 tonneaux. Le Seeadler avait quitté l'Allemagne en décembre 1916, avec pour mission d’attaquer, de piller et de couler le maximum de cargos alliés à travers le monde. Sous le camouflage d’un inoffensif navire de commerce, il adoptait, selon les circonstances, l’apparence d’un navire britannique ou américain afin de mieux tromper ses proies, pouvoir les approcher sans risque et ne se dévoiler qu'au moment fatidique.

Il captura ainsi quatorze navires marchands dans l’Atlantique et trois dans le Pacifique. Il faut noter ici que, a priori, aucune victime directe de part et d'autre ne fut à déplorer. La tactique était simple : une fois le navire ennemi capturé, l'équipage du capitaine von Luckner transférait la cargaison trouvée sur la prise dans les cales du Seeadler (quand celle-ci avait de la valeur), et s’emparait de la caisse du bord détenue par le commandant (les navires transportaient toujours une bonne quantité de monnaies d’or, permettant, où qu’on se trouve, de faire face aux dépenses du navire et aux achats de marchandises). Puis, après avoir recueilli sur son propre navire l’équipage prisonnier, il coulait au canon le cargo prisonnier afin qu’il n’en reste plus aucune trace.

Le Seeadler fit naufrage en août 1917 sur l'atoll de Mopelia, dans l’ouest de la Polynésie, à la suite d'un mouillage mal maîtrisé conduisant le navire à être drossé sur le récif[1]. Les Allemands et leurs prisonniers, naufragés sur l'île déserte, vécurent quelques semaines ensemble dans des camps de fortune. Loin de se résigner, le comte équipa un canot à moteur de 6 mètres d'une voile et partit vers les îles Fidji avec cinq hommes avec le projet de capturer un autre navire et continuer la guerre.

Après un voyage de quatre semaines, ils furent enrôlés sur un navire américain, mais rapidement découverts et faits prisonniers. Après s'être évadés et ayant pris une goélette, la Moa, ils furent arraisonnés par un navire britannique et conduits en prison en Australie, où ils attendirent la fin de la Première Guerre mondiale.

La guerre de course étant interdite depuis 1856, toute opération de guerre ne pouvait légalement être menée que par des militaires. Si Luckner et son équipage avaient été civils, ils auraient été considérés comme pirates et pendus.

Seconde Guerre mondiale


Luckner, franc-maçon, n'a pas été sollicité par les nazis pour réintégrer la Marine nationale allemande : la Kriegsmarine. Son appartenance à la franc-maçonnerie, fréquemment désignée par Adolf Hitler comme source de bien des maux, n'est pas en odeur de sainteté au sein de la nouvelle Allemagne. Par ailleurs, Luckner n'a jamais fait montre d'une quelconque sympathie pour la cause nazie, ce qui lui vaudra quelques ennuis plus tard ; il est impliqué dans un scandale sexuel et voit ses biens confisqué pour avoir refusé de renoncer à son appartenance à la franc-maçonnerie.

En 1943, il a permis à Rose Janson, juive, de s'échapper d'Allemagne vers les États-Unis, via un pays neutre, grâce à un passeport trouvé sur une zone bombardée. Bien que Mme Janson ait attesté dans une lettre, cela n'a pas été suffisant pour qu'Yad Vashem certifie ses actes.

Pendant le conflit, il est resté en Allemagne, à Halle, ville dont il a été chargé, par le maire de la ville, de négocier la reddition auprès de l’armée de terre américaine en 1945 ; cette intermédiation lui a valu une condamnation à mort par les autorités nazies encore en place, ce qui l'a conduit à ne pouvoir revenir dans la ville avant la fin du conflit.

Après la guerre, il quitte l'Allemagne pour la Suède, pays de sa seconde épouse.

Famille

Son arrière-grand-père était Nicolas Luckner, commandant en chef de l'armée du Rhin, à qui Rouget de Lisle dédia, en , son célèbre Chant de guerre pour l'armée du Rhin, chant renommé par la suite Marseillaise. Cet ancêtre avait ensuite été anobli « comte » (Graf) par le roi de Danemark.

Son père désirait qu'il suive la tradition familiale et devienne officier de cavalerie mais le jeune homme s'échappa et s'engagea dans la marine marchande. Il réintégra la marine impériale par la voie latérale.

Luckner s'est marié deux fois : sa première épouse était Petra Schultz, originaire de Hambourg, avec qui il a eu une fille Inge-Maria, née en 1913 ; ils ont divorcé en 1914 et Luckner s'est remarié avec Ingeborg Engeström le à Malmö en Suède.

Œuvres littéraires

  • (de) Seeteufel: Abenteuer aus meinem Leben, Koehler, Berlin and Leipzig, 1926, (first published 1921).
  • (de) Seeteufel erobert Amerika, Koehler & Amelang, Leipzig, 1928.
  • (de) Ein Freibeuterleben, Woldni & Lindeke, Dresden, 1938.
  • (de) Seeteufels Weltfahrt: Alte und neue Abenteuer, Bertelsmann (Gutersloh) 1951.
  • (de) Out of an Old Sea Chest, trans. by Edward Fitzgerald, Methuen, London, 1958.
  • (de) Aus dem Leben des 'Seeteufels' , edited by Wolfgang Seilkopf, Mitteldeutscher Verlag, Halle, 2000.

Luckner a signé de nombreuses dédicaces et ses autographes ont ensuite souvent été retrouvés dans des ventes aux enchères.

Notes et références

  1. Gérard A.Jaeger, Luckner ou le roman vrai d'un corsaire du XXe siècle, Glénat, , 381 p. (ISBN 2-7234-2022-1), p. Chapitre XV, page 263

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