Erreur fondamentale d'attribution

L'erreur d'attribution fondamentale est un biais psychologique qui consiste à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d'un agent (caractère, intentions, émotions, connaissances, opinions) au détriment des facteurs externes et situationnels (faits) dans l'analyse du comportement ou du discours d'une personne dans une situation donnée. À l'inverse, ce biais nous incite à considérer les facteurs externes et situationnels parfois de manière disproportionnée par rapport aux caractéristiques internes quand nous sommes à l'origine de la situation.

Cas d'études et démonstration

En 1967, Jones et Harris formulent l'hypothèse, basée sur la théorie de l'inférence correspondante (en), que les gens attribueraient des comportements apparemment librement choisis aux dispositions internes à l'individu et des comportements apparemment imposés au hasard à la situation. Cette hypothèse a été invalidée par l'erreur d'attribution fondamentale[1].

Ils font lire à des sujets des dissertations pro-Castro et anti-Castro écrites par des auteurs qui expriment librement leurs opinions et par des auteurs qui défendent une opinion qu'on leur a attribuée au hasard. Les sujets doivent évaluer l'attitude réelle des auteurs envers Castro. On dit aux sujets soit que les orateurs s'expriment librement, soit, au contraire, qu'ils défendent un point de vue qui leur a été imposé au hasard. Lorsqu'ils croient les auteurs libres, les sujets estiment naturellement que les auteurs tenant un discours pro-Castro sont pro-Castro. Cependant, dans le cas où les sujets croient que les auteurs défendent une opinion attribuée d'avance, ils évaluent tout de même, en moyenne, les auteurs qui tiennent des discours pro-Castro comme étant réellement pro-Castro.

Dans les deux cas, les sujets ont majoritairement attribué des opinions sincères aux auteurs. Ils ont donné plus de poids aux facteurs internes supposés (opinion personnelle) et n'ont pas tenu compte des facteurs situationnels connus (opinion imposée).

C'est Lee Ross qui introduit le terme d'erreur d'attribution fondamentale, en 1977[2]. Dans une expérience menée en collaboration avec Amabile et Steinmetz, Ross démontre à son tour la propension de l'individu à favoriser les causes internes. Dans cette expérience, un premier sujet, désigné comme questionneur, interroge un autre sujet, désigné comme questionné. Les questions portent sur la culture générale et sont rédigées par le questionneur en fonction de ses propres compétences et centres d'intérêt. Des observateurs doivent ensuite évaluer le niveau de culture générale du questionné et du questionneur. Le questionné ne sait bien évidemment pas toujours répondre aux différentes questions qu’a choisies le questionneur. L'expérience révéla que c'est toujours le questionneur qui est jugé le plus cultivé, alors qu'il n'a pas eu à répondre aux questions – et qu'on ne sait pas s'il en connaissait les réponses.

Causes et origines

Il n'y a pas d'explication universellement acceptée pour l'erreur d'attribution fondamentale. voici quelques hypothèses :

  1. La croyance en un monde juste. Croyance selon laquelle l'individu obtient ce qu'il mérite et mérite ce qu'il obtient, dont le concept a été théorisé par Melvin J. Lerner en 1977 [3]. Attribuer les échecs aux causes dispositionnelles plutôt qu'aux causes situationnelles (qui ne peuvent être ni changées ni contrôlées) satisfait notre croyance en un monde juste où nous avons le contrôle de notre existence. Ceci réduit notre perception des menaces[4],[5], nous donne un sentiment de sécurité et nous aide à trouver un sens aux circonstances difficiles et perturbantes[6].
  2. La prééminence de l'acteur. Nous avons tendance à attribuer un effet observé aux causes potentielles qui retiennent notre attention. En observant les autres, la personne est le principal point de référence tandis que la situation est sous estimée et vue comme un simple arrière-plan[7],[8],[9]. À l'inverse, quand nous nous observons nous-même, nous sommes plus conscients des forces qui agissent sur nous. Cette différence de point de vue est responsable du biais acteur-observateur[10].
  3. Le manque d'efforts d'ajustement. Même quand nous avons conscience de la contrainte situationnelle sur le comportement de quelqu'un, nous pouvons ne pas prendre en compte simultanément les informations comportementales et situationnelles pour caractériser les dispositions de l'acteur[11]. Initialement, nous utilisons le comportement observé pour caractériser une personne par automaticité (niveau cognitif primaire utilisant les stéréotypes, les motifs répétitifs et les habitudes)[12],[13],[14],[15],[16]. Nous devons faire un effort supplémentaire et conscient pour considérer les contraintes situationnelles. Ceci pourrait expliquer pourquoi les gens qui subissent déjà des charges cognitives importantes commettent des erreurs d'attribution fondamentale à un degré supérieur puisqu'ils disposent de moins d'énergie ou de motivation pour traiter les informations situationnelles[17].

Certains auteurs parlent également de biais d’internalité, consistant à attribuer systématiquement à l’individu la responsabilité de sa conduite.

Erreur ultime d'attribution

L'erreur ultime d'attribution est selon Thomas Pettigrew, une variante de l'erreur fondamentale d'attribution qui ne concerneraient plus une seule personne mais son groupe d’appartenance.

Par exemple, un groupe (l'endogroupe) favorise les causes défavorables aux autres personnes (l'exogroupe) et favorise les causes favorables pour l'endogroupe lui-même.

Critique et remise en cause

Les causes de cette notion sont en réalité très controversées. Elles oscillent entre l'erreur de traitement cognitif des informations (Ross) et la préférence pour les causes internes, en passant par le contrôle (Jean-Léon Beauvois, 1976) ou l'illusion de contrôle (Ellen J. Langer, 1975).[réf. nécessaire]

Applications

En pratique, l'erreur d'attribution fondamentale entraîne souvent des sophismes puisque les causes internes à l'individu sont presque toujours inconnues des autres ou au moins difficiles à identifier formellement : on ne peut que supposer ses intentions, ses émotions, ses connaissances, ses opinions ou son caractère, sans aucune certitude et sans moyen de vérification. Cela revient donc à invoquer dans le raisonnement des éléments invérifiables auxquels on va donner plus de poids qu'aux faits tangibles (actes ou arguments), et donc engendrer un raisonnement à la logique fallacieuse.

Exemples :

  • Une personne apparemment en colère formule des critiques violentes. Les témoins attribuent ses propos à la colère (cause interne) plutôt qu'à la situation qui a provoqué la colère (cause situationnelle). Ce mode de raisonnement est couramment utilisé pour discréditer une argumentation sans même avoir à la déconstruire logiquement.
  • Une personne glisse et tombe sur un chemin, elle attribue sa chute au chemin glissant (cause situationnelle). La même personne voit une autre personne tomber sur le même chemin, elle attribue sa chute à sa maladresse (cause interne).
  • Un groupe de travail prend du retard sur le calendrier et se désorganise. Un collaborateur décide de prendre les choses en main et émerge comme leader. Il attribue son émergence à la désorganisation du groupe (cause situationnelle). Si son collègue émerge à sa place, il attribue l'émergence à son ambition personnelle (cause interne).

Notes et références

  1. Edward E Jones et Victor A Harris, « The attribution of attitudes », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 3, no 1, , p. 1–24 (DOI 10.1016/0022-1031(67)90034-0, lire en ligne, consulté le )
  2. (en) Lee Ross, The intuitive psychologist and his shortcomings: Distortions in the attribution process, New York, Academic Press, (ISBN 0-12-015210-X), p. 173-220
  3. (en) Melvin J. Lerner et Dale T. Miller, « Just world research and the attribution process: Looking back and ahead. », Psychological Bulletin, vol. 85, no 5, , p. 1030–1051 (ISSN 1939-1455 et 0033-2909, DOI 10.1037/0033-2909.85.5.1030, lire en ligne, consulté le )
  4. (en) Jerry M. Burger, « Motivational biases in the attribution of responsibility for an accident: A meta-analysis of the defensive-attribution hypothesis. », Psychological Bulletin, vol. 90, no 3, , p. 496–512 (ISSN 1939-1455 et 0033-2909, DOI 10.1037/0033-2909.90.3.496, lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Elaine Walster, « Assignment of responsibility for an accident. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 3, no 1, , p. 73–79 (ISSN 1939-1315 et 0022-3514, DOI 10.1037/h0022733, lire en ligne, consulté le )
  6. Daniel T. Gilbert et Patrick S. Malone, « The correspondence bias. », Psychological Bulletin, vol. 117, no 1, , p. 21–38 (DOI 10.1037/0033-2909.117.1.21, lire en ligne, consulté le ).
  7. (en) G. Daniel Lassiter, Andrew L. Geers, Patrick J. Munhall et Robert J. Ploutz-Snyder, « Illusory Causation: Why It Occurs », Psychological Science, vol. 13, no 4, , p. 299–305 (ISSN 0956-7976 et 1467-9280, PMID 12137131, DOI 10.1111/j.0956-7976.2002..x, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Janet Robinson et Leslie Z. McArthur, « Impact of salient vocal qualities on causal attribution for a speaker's behavior. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 43, no 2, , p. 236–247 (ISSN 1939-1315 et 0022-3514, DOI 10.1037/0022-3514.43.2.236, lire en ligne, consulté le )
  9. Craig A. Smith et Phoebe C. Ellsworth, « Patterns of cognitive appraisal in emotion. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 48, no 4, , p. 813–838 (DOI 10.1037/0022-3514.48.4.813, lire en ligne, consulté le )
  10. (en) Michael D. Storms, « Videotape and the attribution process: Reversing actors' and observers' points of view. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 27, no 2, , p. 165–175 (DOI 10.1037/h0034782, lire en ligne, consulté le )
  11. Daniel T. Gilbert, Inferential Correction (DOI 10.1017/cbo9780511808098.011, lire en ligne), p. 167–184
  12. Donal E. Carlston et John J. Skowronski, « Savings in the relearning of trait information as evidence for spontaneous inference generation. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 66, no 5, , p. 840–856 (DOI 10.1037/0022-3514.66.5.840, lire en ligne, consulté le )
  13. Gordon B. Moskowitz, « Individual differences in social categorization: The influence of personal need for structure on spontaneous trait inferences. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 65, no 1, , p. 132–142 (DOI 10.1037/0022-3514.65.1.132, lire en ligne, consulté le )
  14. Leonard S. Newman, « How Individualists Interpret Behavior: Idiocentrism and Spontaneous Trait Inference », Social Cognition, vol. 11, no 2, , p. 243–269 (ISSN 0278-016X, DOI 10.1521/soco.1993.11.2.243, lire en ligne, consulté le )
  15. (en) James S. Uleman, « Consciousness and Control The Case of Spontaneous Trait Inferences », Personality and Social Psychology Bulletin, vol. 13, no 3, , p. 337–354 (ISSN 0146-1672 et 1552-7433, DOI 10.1177/0146167287133004, lire en ligne, consulté le )
  16. Laraine Winter et James S. Uleman, « When are social judgments made? Evidence for the spontaneousness of trait inferences. », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 47, no 2, , p. 237–252 (DOI 10.1037/0022-3514.47.2.237, lire en ligne, consulté le )
  17. DT Gilbert, Unintended Thought, The Guilford Press, (lire en ligne)

Voir aussi

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