Discrimination positive aux États-Unis
La discrimination positive aux États-Unis (en anglais affirmative action) a été mise en place lors de la lutte pour les droits civiques et l'abolition de la ségrégation raciale[1],[2].
Mise en place du programme
En mars 1961, le président John F. Kennedy lance un programme d'affirmative action créant l'ordre exécutif no 10925[3], qui oblige les programmes financés par le gouvernement fédéral de « prendre une action affirmative » (take affirmative action) afin de s'assurer que l'emploi ne soit pas soumis aux discriminations raciales ou sexuelles.
Le Civil Rights Act de 1964 interdit toute discrimination, en fondant la base d'une législation interdisant aux employeurs et aux établissements scolaires toute discrimination en matière d’embauche ou d’admission sur la base de caractéristiques particulières, tels la race, l’origine nationale, la religion ou le sexe. La discrimination positive, qui va au-delà de l'interdiction de la discrimination, vise à favoriser les minorités jugées en position de faiblesse. Le taux de chômage des Noirs était alors deux fois supérieur à celui des Blancs[2].
Elle apparaît véritablement sous la présidence de Lyndon Johnson dans le cadre de troubles raciaux (hot summers). Le président Johnson publie le décret présidentiel (executive order 11 246) du 24 septembre 1965, qui lance le mot d'ordre d'« égalité des chances dans l'emploi » (equal opportunity employment (en)). Ce décret oblige les entreprises attributaires des marchés publics à démontrer leur absence de discrimination par une « action affirmative » (affirmative action), mais le terme n'est pas défini. Le gouvernement crée alors la Commission pour l’égalité des perspectives d’emploi (Equal Employment Opportunity Commission, EEOC), qui propose en novembre 1965 que les grandes entreprises établissent un rapport sur la composition raciale de leurs effectifs[4].
Le gouvernement Nixon lance en septembre 1969 le « plan de Philadelphie », qui introduit l’obligation pour les entreprises attribuées des marchés publics de soumettre un plan de discrimination positive visant à recruter un nombre donné d’effectifs appartenant à une « minorité » [4]. L'Office of Federal Contract Compliance Programs (en) fut plus tard chargé de la supervision de ce programme d'égalité des perspectives d'emploi. Pour l'exécutif républicain, il s'agissait par ailleurs aussi de diviser la gauche américaine, alors que les Noirs étaient discriminés par les syndicats ; ainsi, le Parti démocrate se trouvait contraint de choisir entre ces deux parties de son électorat. Conscientes de cette manœuvre, les organisations noires n'accueillent pas la mesure avec enthousiasme. Quoi qu'il en soit, la politique de discrimination positive américaine fut plus le fait de décisions de l'État fédéral que le résultat d'une pression des associations luttant contre les discriminations[5].
En 1978, la Cour suprême affirme la constitutionnalité de l'utilisation du critère de « race » dans la détermination des inscriptions universitaires, mais interdit l’institution de quotas rigides (arrêt Regents of the University of California c/ Bakke (en))[4].
Conséquences aux États-Unis
Daniel Sabbagh, spécialiste de la discrimination positive américaine et directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales, considère que les politiques de discrimination positives américaines sont efficaces à court terme et permet aux étudiants issus des minorités ethniques d'être plus nombreux dans les universités[1]. Avec la croissance démographique des groupes minoritaires, les différences raciales ou ethniques s'effacent[réf. nécessaire]. Par conséquent, de nombreux experts[réf. nécessaire] estiment que les inégalités se réduiront et que les programmes de discrimination positive deviendront superflus[6]. Sous l'effet de ces politiques, entre 1971 et 2002, le nombre des femmes noires exerçant des fonctions de responsable est ainsi passé de 0,4 % à 2 % du total, celui des hommes de 1 % à 3,1 %[2]. De même, la présence des minorités à l'intérieur des conseils d'administration des entreprises a augmenté, 76 % d'entre eux n'étant plus uniformément blancs[2]. Entre 1970 et 1990, 41 % des postes d'officiers de police ont été obtenus par des Afro-Américains dans le pays, alors que le nombre de pompiers noirs a été presque mulitplié par cinq, passant de 2,5 à 11,5 %. A contrario, certaines universités sélectives de Californie, du Texas et de Floride ont supprimé leurs programmes de discrimination positive dans les années 1990, ce qui a conduit à une baisse très importante de la proportion de Noirs et d'Hispaniques parmi leurs élèves[5].
Aujourd'hui
La discrimination positive ne fixe pas des quotas, mais consiste à parvenir au même résultat en s'assignant un « objectif », en s'employant à ce qu'un groupe atteigne une « masse critique »[2]. Ainsi, les candidats appartenant à des minorités peuvent être admis dans des universités en ayant eu des résultats inférieurs aux autres candidats aux examens d'admissions[2].
En février 2007, le chômage (officiel) était de 4 % pour les Blancs, contre 7,9 % chez les Noirs (5,2 % chez les Hispaniques et 2,7 % chez les Américains d’origine asiatique, également concernés par la discrimination positive)[2].
Afin d'évaluer les dommages et intérêts à verser à la victime, la justice américaine s’appuie sur des critères tels que son salaire, son espérance de vie, sa couleur de peau, etc. Les inégalités existant dans la société se répercutent sur les compensations, si bien qu'à préjudice égal un notaire touchera plus qu’une infirmière, un Blanc qu’un Noir, un homme qu’une femme, etc. De même, un enfant blanc sera supposé promis à un meilleur avenir qu'un enfant noir ou hispanique. Les compensations financières seront donc plus élevées[7].
Les demandes de reconnaissance touchent également les minorités sexuelles. Depuis quelques années, des associations et des personnalités politiques réclament l’ajout dans les formulaires de recensement d'une question sur l'orientation sexuelle et l'« identité de genre » des individus, dans un argumentaire qui mêle lutte contre les discriminations et revendication identitaire[8].
Remise en cause
Dès les années 1960, le Parti républicain a cherché à exploiter le sentiment d'injustice que pouvaient ressentir les Blancs pauvres tenus à l'écart de certaines mesures de discrimination positive : « Vous aviez besoin de cet emploi et vous étiez le plus qualifié. Mais ils l’ont offert à une personne de couleur en raison d’un quota racial. Est-ce vraiment juste ? », interroge ainsi un spot électoral du parti lors de la campagne législative de 1990[8].
La discrimination positive a été remise en cause dès la fin des années 1970. En 1978, la Cour suprême condamne les quotas de la faculté de médecine de l'Université de Californie par l'arrêt Bakke[1]. En 1996, un référendum d'initiative populaire met fin à l'affirmative action dans les universités publiques en Californie (Proposition 209)[9], puis en Floride (2000), dans l'État de Washington, au Michigan (2006) et au Nebraska[1],[10]. Entre le milieu des années 1990 et 2003, la discrimination positive a été supprimée dans les universités du Texas, du Mississippi et de la Louisiane[1]. En novembre 2006, 58 % des électeurs du Michigan ont voté pour la suppression de la discrimination positive, s'élevant contre l'arrêt Grutter versus Bollinger (en) (2003) de la Cour suprême, qui estimait que la faculté de droit de l’université du Michigan était fondée à accorder un avantage aux candidats noirs et hispaniques en raison de la diversité raciale qu’ils apportaient au corps étudiant[2].
Le , la Cour suprême interdit la discrimination positive à l'entrée des écoles publiques américaines, à cinq voix contre quatre[11]. La décision de la Cour indique que « La recherche par les écoles d'un objectif estimable ne veut pas dire qu'elles sont libres d'effectuer une discrimination sur la base de la race pour l'atteindre ». Désormais, le critère ethnique n'est qu'un élément positif parmi d'autres lors de l'examen des dossiers d'entrée dans les universités américaines[1].
En 2015, des associations d'américains d'origine asiatique lancent une action en justice contre l'université Harvard, accusée de pénaliser les asiatiques dans leur procédure de recrutement[12].
Une étude publiée en juin 2017 par le New York Times semblait montrer que la politique de discrimination positive avait peu amélioré la diversité du recrutement des meilleures universités américaines. Noirs et hispaniques étaient même encore moins représentés qu'en 1980 parmi les admis en premier cycle des 100 meilleurs établissements. Cependant, l'échantillon n'était pas représentatif de l'ensemble du système américain, et Terry Hartle, vice-président senior de l'American Council on Education (qui regroupe 1700 institutions d'enseignement supérieur américaines), expliquait que la proportion de noirs et d'hispaniques s'était globalement amélioré au cours de la même période sur l'ensemble des universités enregistrées.[13],[14]
Début juillet 2018, le président Donald Trump fait annuler des directives de discrimination positive pour l'université, mises en place par son prédécesseur[15].
Effets pervers
Pour Benoît Bréville du Monde diplomatique, le fait que depuis plus de deux siècles, les résidents américains doivent déclarer leur « race » aux agents du recensement dans le but de lutter contre la discrimination, a pour conséquence que les statistiques ethniques ainsi obtenues ont fini par renforcer le sentiment d’appartenance identitaire et ainsi par légitimer les divisions qu’elles étaient supposées combattre[8].
Les politiques de discrimination positive ont également nourri un sentiment d’injustice parmi les Blancs pauvres, exclus des programmes de traitement préférentiel, désormais moins bien représentés que les Noirs dans les universités et qui se sentent bloqués au bas de l'échelle sociale[8].
Dans son ouvrage analysant les résultats des politiques de discrimination positive, Walter Benn Michaels montre que l'affirmative action est devenu le nouveau gauchisme des classes supérieures et l'un des programmes clés des néolibéraux, tout en servant à masquer l'accroissement réel de l'inégalité économique entre les plus hauts et les plus bas revenus[16].
Notes et références
- Mathilde Gérard, « L'expérience de la discrimination positive aux États-Unis », Le Monde,
- L’« affirmative action » américaine en déclin - John D. Skrentny, Le Monde diplomatique, mai 2007
- (en) Executive Order 10925 - 6 mars 1961 - The Center for Regulatory Effectiveness
- Ce partisan inattendu, Richard Nixon - Le Monde diplomatique, mai 2007
- Daniel Sabbagh, « Qu'est-ce que la "discrimination positive" ? », L'Histoire n°286, avril 2004, p. 28-29.
- Le prochain visage de l'Amérique - Sylvie Kauffmann, Le Monde, 19 novembre 2006
- Charlotte Recoquillon, « Des vies plus précieuses que d’autres », sur Le Monde diplomatique,
- Benoît Bréville, « Quelle est votre race ? », sur Le Monde diplomatique,
- Pascal Gauchon, Dominique Hamon, Annie Mauras, La Triade dans la nouvelle économie mondiale, 2002, PUF, p. 129
- États-Unis. Les droits des minorités dans le collimateur - L'Humanité, 3 mai 2003
- La Cour suprême américaine interdit la discrimination positive à l'école - Le Monde, 28 juin 2007
- « Harvard accusée de discriminer les étudiants d’origine asiatique », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne)
- Adrien de Tricornot, « La discrimination positive a peu changé le recrutement des meilleures universités américaines », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Jeremy Ashkenas, Haeyoun Park et Adam Pearce, « Even With Affirmative Action, Blacks and Hispanics Are More Underrepresented at Top Colleges Than 35 Years Ago », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
- « Discrimination positive : le coup d'arrêt de Donald Trump », francetvinfo.fr, 4 juillet 2018.
- Walter Benn Michaels, La Diversité contre l'égalité, Raisons d'agir, 2009
Annexes
Articles connexes
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