Didymes

Didymes est une cité antique d'Asie Mineure, renommée pour son sanctuaire oraculaire d'Apollon Philésios, actuelle Didim (en Anatolie, Turquie).

Cet article possède des paronymes, voir Didym et Didyme.

Didymes

Le temple d'Apollon à Didymes. Le personnage, sur les marches, donne une idée des dimensions du temple.
Localisation
Pays Turquie
Région de l'Antiquité Carie
Province Aydın
District Didim
Coordonnées 37° 23′ 06″ nord, 27° 15′ 23″ est
Géolocalisation sur la carte : Turquie
Didymes

Site du sanctuaire d'Apollon

Le temple hellénistique d'Apollon est de dimensions telles (118 m × 60 m) qu'il ne peut être comparé, en Ionie, qu'à l'Héraion de Samos et l'Artémision d'Éphèse. Il compte parmi les grands bâtiments de l'Antiquité les mieux conservés de nos jours. Le site de Didymes est indissolublement lié à celui de Milet, situé 17 km plus au nord. L'accès ordinaire était la voie maritime ; depuis le VIe siècle av. J.-C., une voie sacrée longue de six kilomètres, empruntée par les pèlerins et les processions, reliait le sanctuaire à son port antique de Panormos.

Origine et signification du nom de Didymes

L'origine du nom est controversée, malgré son apparente clarté : les Grecs ne pouvaient que l'associer au signe des Gémeaux et aussi aux jumeaux (en grec ancien : Δίδυμοι, Didymoi) Apollon et Artémis : c'était déjà l'opinion de Lucien de Samosate selon qui « l'oracle d'Apollon, établi à Didyme, n'est ainsi nommé que par allusion aux Gémeaux du ciel[1] » ; mais il n'est pas impossible que ce nom remonte, sous une forme plus ou moins approchante, à la période carienne antérieure[2].

Histoire

Colonnes ioniques reliées par une section d'architrave.

Hérodote[3] et Pausanias[4] indiquent que les Ioniens arrivèrent au cours du Ier millénaire av. J.-C., et assimilèrent un culte et un sanctuaire déjà existants, où l'on vénérait la déesse Nature, ce que l'archéologie n'a pu confirmer. La légende rapporte que c'est en ce lieu de l'oracle que Léto aurait conçu de Zeus son fils Apollon. Plus tard, Apollon serait apparu à un berger local nommé Branchos, et lui aurait conféré le don de voyance. C'est de cet ancêtre berger que se réclamaient les Branchides, clan de prêtres et de donateurs qui exercèrent leur autorité sur le sanctuaire depuis le VIIe siècle av. J.-C. jusqu'aux guerres médiques. Par la suite, les prêtres furent choisis parmi les familles les plus élevées de Milet.

L'oracle fut célèbre dès le VIIe siècle av. J.-C. dans tout le monde grec et au-delà ; il était dirigé par le prophète, magistrat le plus élevé de l'État milésien, qui résidait à Didymes, tandis qu'une prophétesse allait chercher l'inspiration auprès de la source de l'adyton ; un membre du clergé, peut-être l’hypochrestes, était chargé de rédiger la réponse d'Apollon en vers hexamètres ; cet oracle, réputé dans le monde antique à l'égal de Delphes, fut consulté par le roi de Perse[2] et Hérodote rapporte que des offrandes vinrent du pharaon Néchao II et de Crésus, roi de Lydie. Hérodote dit aussi qu'après l'effondrement du soulèvement des Ioniens et la chute de Milet en 494 av. J.-C., le roi perse Darius Ier livra au pillage et aux flammes le temple et l'oracle de Didymes. Strabon et Pausanias rapportent que Xerxès Ier détruisit le sanctuaire de Didymes après sa défaite à Platées, en 479 av. J.-C. Les Branchides auraient alors transmis au roi perse le trésor du temple et se seraient enfuis avec lui. Les fouilles archéologiques n'ont permis de retrouver aucune trace d'incendies correspondant à ces deux dates.

Au cours du dernier tiers du IVe siècle av. J.-C., le sanctuaire passa sous la dépendance directe de la cité de Milet, qui entreprit la reconstruction du temple d'Apollon et manda des fonctionnaires annuels aux fonctions de prêtres et serviteurs de l'oracle.

À l'époque romaine, Trajan fit réparer la voie sacrée et l'aire du sanctuaire en 100-101, tandis qu'Hadrien y fut lui-même oracle. Le culte prit fin au IVe siècle, et Didymes fut érigé en évêché. Le sanctuaire fut endommagé par des séismes aux VIIe et XVe siècles, ce dernier causant l'abandon de la colonie, qui ne se repeupla qu'au cours du XVIIIe siècle. Depuis lors, le sanctuaire devint lieu d'études archéologiques, de la part d'équipes françaises[5], anglaises, puis allemandes. Diverses pièces du temple se trouvent conservées au musée du Louvre, au British Museum et au Pergamon Museum de Berlin.

Description

Temple d'Apollon

Vue aérienne du temple.

Le temple hellénistique a eu deux prédécesseurs à l'époque archaïque : l'un construit vers 700 av. J.-C., le second au cours du VIe siècle av. J.-C., déjà bordé de portiques soutenus par des colonnes. Le temple du VIe siècle av. J.-C. possédait une cella d'environ 42 x 20 m précédée d'un pronaos. Le péristyle était fait d'une double rangée de colonnes hautes de 15,45 m avec une architrave ionique sculptée, et les tambours inférieurs en façade portaient des figures de korés faisant office de caryatides[6]. La statue de culte en bronze était l'œuvre de Canachos de Sicyone. Le dernier kilomètre de la voie sacrée était bordé de statues de lions couchés - emblème de Milet - de sphinx, de corés et kouroi assis, de prêtres assis, et se terminait par une vaste esplanade où les pèlerins déposaient leurs offrandes[7]. Ce temple archaïque est assez mal connu, puisqu'il se trouve enfoui sous l'édifice hellénistique. Il en subsiste quelques vestiges, visibles dans la cour intérieure.

La construction du grand temple hellénistique que l'on peut voir de nos jours a dû commencer vers 330 av. J.-C., après la visite d'Alexandre le Grand en 334 av. J.-C. et le rattachement du sanctuaire à la cité de Milet. Les plans ont été exécutés par le maître architecte Daphnis de Milet et son confrère Paionios d'Éphèse, l'un des plus célèbres architectes de son temps. Le sanctuaire bénéficia ensuite de la générosité et de l'intérêt des premiers souverains séleucides, Séleucos Ier, Antiochos Ier et Apama, vraisemblablement en partie sur la suggestion de leur général Déodamas de Milet[8]. Vers 294, la situation était suffisamment avancée pour que l'on puisse réinstaller la statue de culte. À la fin du IIIe siècle av. J.-C. le chantier est interrompu. La construction s'est poursuivie ensuite de manière irrégulière pendant près de quatre siècles selon W.B. Dinsmoor, jusque sous l'empire romain selon d'autres.

Extérieur

Le temple, flanqué de deux portiques hypostyles, présente 10 × 21 colonnes extérieures et 8 × 19 colonnes internes. Le stylobate (soubassement du temple) mesure 51 m × 109 m. On comptait en tout 120 colonnes ioniques, immenses, d'une hauteur de 19,70 m. Au-dessus, l'architrave était entièrement ornée de motifs sculptés de végétaux, lions et têtes de Gorgones, dont l'une se trouve aujourd'hui visible, au sol près de l'entrée. Ce masque de Gorgone, destiné à effrayer les ennemis d'Apollon, est stylisé afin d'être perçu de loin et permettre des jeux d'ombre et de lumière. Ainsi ce masque préfigure un souci d'esthétisme, qui supplantera peu à peu la simple fonction protectrice, et que l'on retrouve dans les mascarons de la renaissance italienne[9].

La galerie périphérique se dresse sur un stéréobate (soubassement) à sept degrés. Son entrée est située à l'est et passe par un escalier de 14 marches. De là, on arrive, après avoir traversé la galerie, au prodomos dodécastyle (vestibule à 4 × 3 colonnes). Au lieu d'une porte de cella, on trouve ici un portail de plus de 14 mètres de haut avec un seuil de près de 1,5 mètre de hauteur, qui était donc infranchissable. À l'intérieur du temple, du côté du portail s'ouvrent les deux tunnels voûtés qui constituent les deux seuls accès à la cour intérieure. On voit ainsi que plusieurs caractéristiques de ce temple sont aberrantes par rapport au canon esthétique du temple grec[2].

Intérieur

Cour (sékos), adyton.

À l'intérieur du temple se trouve une cour, désignée par des inscriptions comme l'adyton. Dans la partie ouest de la cour se trouvent les fondations d'un bâtiment de 14,23 m × 8,24 m, qui servait de protection cultuelle à une source d'eau douce. L'importance de cette source tient à ce que le sanctuaire est situé sur un plateau calcaire pauvre en eau. Sur le côté est de la cour, entre les deux galeries du tunnel, un escalier de 24 marches conduit à un mur à trois portes (Trithyron). Ce mur comporte deux pilastres corinthiens et forme à l'intérieur de la cour une façade architecturale. Derrière elle se trouve une salle à deux escaliers opposés, ainsi que le « Grand Portail ». Là encore, les seuils d'une hauteur de 50 centimètres sont assez élevés et ne pouvaient être franchis sans moyens auxiliaires. Les bâtiments d'escaliers sont appelés labyrinthoi. Toute cette construction a été clairement conçue selon des objectifs cultuels. Sur l'utilité et la fonction de ces différents éléments architecturaux, on ne peut émettre que des suppositions.

Un sanctuaire hypèthre

Malgré six siècles de travaux, le temple n'a jamais été achevé. Strabon rapporte que le temple, en raison de sa taille, n'était pas couvert : il s'agit donc d'un sanctuaire hypèthre. De fait, le zones du prodomos et des galeries extérieures n'ont jamais reçu de toiture, et l'on constate que le dernier ravalement des murs n'a jamais été exécuté. Des dessins de chantier ont été découverts en 1979 par L. Haselsberger : il s'agit de toute évidence de plans de mise en place des colonnes, charpentes et autres éléments architecturaux. Des dessins de grandes dimensions apparaissent gravés sur les murs, tracés à la règle et au compas sur des surfaces allant jusqu'à 25 mètres, avec une précision de quelques millimètres.

Didymes faisait partie, avec Delphes, Dodone et Claros, des sanctuaires grecs les plus importants qui prononçaient des oracles. Le déroulement exact des prophéties n'est pas connu. Ce qui est sûr, c'est que, dans leur forme finale, elles étaient formulées en vers par des prêtres.

Le sanctuaire a été florissant jusqu'au Ier - IIe siècle.

Stade

Au sud-est du temple se trouve un stade où l'on organisait des compétitions, depuis environ 200 av. J.-C. Les marches ouest du stylobate, où sont inscrits les noms de quelque deux cents spectateurs, servaient alors de gradins pour le stade, dont la ligne de départ est conservée. Au cours du festival des Didymeia, tous les quatre ans, se déroulaient des épreuves athlétiques et des concours oratoires, dramatiques et musicaux[2].

Notes et références

  1. Lucien de Samosate, De l'Astrologie, 23, cité par Jean Richer, Géographie sacrée du monde grec, Guy Trédaniel éditeur, 1983, p. 57.
  2. Christian Llinas, in Kostas Papaioannou, L'Art grec, Éditions d'art Lucien Mazenod, 1972, p. 558-559.
  3. Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], Livre I, 157.
  4. Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], Livre VII, 26.
  5. Fouilles entreprises par Bernard Haussoullier et Emmanuel Pontremoli et financées par le baron Edmond de Rothschild voir Didymes, Fouilles de 1895 et 1896, Bernard Haussoullier et Emmanuel Pontremoli, Paris, éd. Ernest Leroux, 1904.
  6. Kostas Papaioannou, L'Art grec, Éditions d'art Lucien Mazenod, 1972, p. 119.
  7. Kostas Papaioannou, L'Art grec, Éditions d'art Lucien Mazenod, 1972, p. 123. et ibid., Christian Llinas, p. 559.
  8. Louis Robert, « Documents d’Asie mineure », BCH 108-1, 1984, p.  466-471.
  9. Jean Damestoy et Anne-Marie Lochet-Liotard, préface de Jean-Claude Lasserre Mascarons, Mollat, 1997, p. 9. (ISBN 2 909 351 36 X)

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • (de) T. Wiegand, Didyma, 2 vol. in 4°, rapport archéologique, Berlin, 1941-1958
  • (de) Klaus Tuchelt, Didyma-Branchidai, von Zabern, Mayence, 1991, (ISBN 3-8053-1316-0)
  • (de) Stephan W. E. Blum, Frank Schweizer et Rüstem Aslan, Luftbilder antiker Landschaften und Stätten der Türkei, avec vues aériennes de Hakan Öge, von Zabern, Mayence, 2006, p. 48–51. (ISBN 3-8053-3653-5)
  • (en) Joseph Fontenrose, Didyma. Apollo's Oracle, Cult and Companions, Berkeley, 1988
  • (en) Robin Lane Fox, Pagans and Christians, chap. 5, 1986
  • (en) H. W. Parke, The Oracles of Apollo in Asia Minor, 1985
  • (en) N. G. L. Hammond, « The Branchidae at Didyma and in Sogdiana », The Classical Quarterly, vol. New Series, no 48.2, , p. 339-344.
  • Carle Claude Van Essen, « Notes sur le deuxième Didymeion », Bulletin de correspondance hellénique, n°70, 1946, p.  607-616. Lire en ligne.
  • Pierre Bonnaure, Ludovic Laugier, Un chapiteau du temple oraculaire d’Apollon à Didymes : Une redécouverte dans le jardin de l’hôtel Marigny, ancienne propriété de la famille Rothschild, in : De la sphère privée à la sphère publique : Les collections Rothschild dans les institutions publiques françaises, Paris, Publications de l’Institut national d’histoire de l’art, 2019 (consulté le 29 mars 2020) Lire en ligne.
  • Christian Le Roy, « Artémis à Didymes et en Lycie », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, no 1992, , p. 144-149 (lire en ligne, consulté le )
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