Congrès de Saint-Imier

Le Congrès de Saint-Imier, qui s'est tenu les 15 et à Saint-Imier, dans le Jura suisse (canton de Berne), a vu la fondation de l'Internationale anti-autoritaire par les anarchistes après l'éclatement de la Première Internationale, mettant un point final au conflit qui opposait les socialistes dits « marxistes » conduits par Karl Marx, et les tendances « libertaires » qu'incarnaient Michel Bakounine, James Guillaume ou encore Charles Perron, le cartographe d'Élisée Reclus[1].

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Décidé au lendemain du congrès de La Haye (2-), au cours duquel une majorité des délégués de l'AIT avait voté l’exclusion de Bakounine et Guillaume, le congrès de Saint-Imier (15-) regroupa les fédérations de l'Internationale qui refusaient de reconnaître la politique menée par le Conseil général de Londres. Les délégués de trois fédérations dissidentes étaient présentes : six italiens (Andrea Costa, Cafiero, Malatesta, Nabruzzi, Fanelli), quatre espagnols (Morago, Marselau, Farga Pellicer et Alerini), deux jurassiens (Guillaume et Schwitzguébel) et un russe (Bakounine) auxquels viennent s'ajouter les deux représentants de diverses sections françaises (Camille Camet et Jean-Louis Pindy) ainsi que celui de sections américaines (Gustave Lefrançais)[2][3]. Ce congrès n'était pas spécifiquement anarchiste. Les résolutions adoptées n'en résument pas moins les points essentiels des principes au nom desquels Bakounine et ses amis s'étaient battus contre ceux qu’ils désignaient comme « autoritaires ».

Véritable charte de l'anarchisme ouvrier, ces considérants (dont une partie deviendra les anarcho-syndicalistes) voient dans la grève le produit de l'antagonisme entre travail et capital mais dans l'organisation et la résistance de la classe ouvrière le terrain d'action privilégié pour préparer l'émancipation du prolétariat.

Résolutions

Première résolution

  • Attitude des Fédérations réunies en Congrès à Saint-Imier, en présence des résolutions du congrès de La Haye et du Conseil général:

Considérant que l'autonomie et l'indépendance des fédérations et sections ouvrières sont la première condition à l'émancipation des travailleurs ; que tout pouvoir législatif et réglementaire accordé aux Congrès serait une négation flagrante de cette autonomie et de cette liberté, le congrès dénie en principe le droit législatif à tous les congrès, soit généraux soit régionaux, ne leur reconnaissant d'autre mission que celle de mettre en présence les aspirations, besoins et idées du prolétariat des différentes localités ou pays, afin que leur harmonisation et leur unification s'y opèrent autant que possible. Mais dans aucun cas la majorité d'un congrès quelconque ne pourra imposer ses résolutions à la minorité.

Considérant d'autre part que l'institution du Conseil général dans l'Internationale est, par sa nature même et fatalement poussée à devenir une violation permanente de cette liberté qui doit être la base fondamentale de notre grande Association ; considérant que les actes du Conseil général de Londres, qui vient d'être dissout, pendant ces trois dernières années, sont la preuve vivante du vice inhérent à cette institution; que, pour augmenter sa puissance d'abord très minime, il a eu recours aux intrigues, aux mensonges, aux calomnies les plus infâmes pour tenter de salir tous ceux qui ont osé le combattre; que pour arriver à l'accomplissement final de ses vues, il a préparé de longue main le congrès de La Haye, dont la majorité, artificiellement organisée, n'a évidemment eu d'autre but que de faire triompher, dans l'Internationale, la domination d'un parti autoritaire, et que, pour atteindre ce but, elle n'a pas craint de fouler aux pieds toute décence et toute justice; qu'un tel congrès ne peut pas être l'expression du prolétariat des pays qui s'y sont fait représenter: le congrès des délégués des fédérations espagnole, italienne, jurassienne, américaine et française, réuni à Saint-Imier, déclare repousser absolument toutes les résolutions du congrès de La Haye, et pour sauver et fortifier davantage l'unité de l'Internationale, les délégués ont jeté les bases d'un projet de pacte de solidarité entre ces fédérations.

Deuxième résolution

  • Pacte d'amitié, de solidarité et de défense mutuelle entre les fédérations libres :

Considérant que la grande unité de l'Internationale est fondée non sur l'organisation artificielle, mais sur l'identité réelle des intérêts et des aspirations du prolétariat de tous les pays, les délégués réunis à ce congrès ont conclu, au nom de ces fédérations et sections, et sauf leur acceptation et confirmation définitives, un pacte d'amitié, de solidarité et de défense mutuelle. Ils proclament hautement que la conclusion de ce pacte a pour but principal le salut de cette grande unité de l'Internationale que l'ambition du parti autoritaire a mise en danger.

Troisième résolution

  • Nature de l'action politique du prolétariat :

Considérant que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire ; que nul n'a le droit de priver les fédérations et sections autonomes du droit incontestable de déterminer elles-mêmes et suivre la ligne de conduite politique qu'elles croiront la meilleure, et que toute tentative semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme ; que les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d'autre objet que l'établissement d'une organisation et d'une fédération économiques absolument libres, fondées sur le travail et l'égalité de tous et absolument indépendantes de tout gouvernement politique, et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l'action spontanée du prolétariat lui-même, des corps de métier et des communes autonomes; considérant que toute organisation de la domination au profit d'une classe et au détriment des masses, et que le prolétariat, s'il voulait s'emparer du pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploiteuse: le congrès réuni à Saint-Imier déclare :

  1. ) que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat;
  2. ) que toute organisation d'un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu'une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd'hui ;
  3. ) que, repoussant tout compromis pour arriver à l'accomplissement de la révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l'action révolutionnaire.

Quatrième résolution

  • Organisation de la résistance du travail. Statistiques :

La liberté et le travail sont la base de la morale, de la force, de la vie et de la richesse de l'avenir. Mais le travail, s'il n'est pas librement organisé, devient oppressif et improductif pour le travailleur; et c'est pour cela que l'organisation du travail est la condition indispensable de la véritable et complète émancipation de l'ouvrier. Cependant, le travail ne peut s'exercer librement sans la possession des matières premières et de tout le capital social, et ne peut s'organiser si l'ouvrier, s'émancipant de la tyrannie politique et économique, ne conquiert le droit de se développer complètement dans toutes ses facultés. Tout État, c'est-à-dire tout gouvernement et toute administration des masses populaires, de haut en bas, étant nécessairement fondé sur la bureaucratie, sur les armées, sur l'espionnage, sur le clergé, ne pourra jamais établir la société organisée sur le travail et sur la justice, puisque par la nature même de son organisme, il est poussé fatalement à opprimer celui-là et à nier celle-ci.

Suivant nous, l'ouvrier ne pourra jamais s'émanciper de l'oppression séculaire, si à ce corps absorbant et démoralisateur, il ne substitue la libre fédération de tous les groupes producteurs fondée sur la solidarité et sur l'égalité. En effet, en plusieurs endroits déjà on a tenté d'organiser le travail pour améliorer la condition du prolétariat, mais la moindre amélioration a bientôt été absorbée par la classe privilégiée qui tente continuellement sans frein et sans limite, d'exploiter la classe ouvrière. Cependant, l'avantage de cette organisation est tel que, même dans l'état actuel des choses, on ne saurait y renoncer. Elle fait fraterniser toujours davantage le prolétariat dans la communauté des intérêts, elle l'exerce à la vie collective, elle le prépare pour la lutte suprême. Bien plus, l'organisation libre et spontanée du travail étant celle qui doit se substituer à l'organisme privilégié et autoritaire de l'État politique, sera, une fois établie, la garantie permanente du maintien de l'organisme économique contre l'organisme politique.

Par conséquent, laissant à la pratique de la révolution sociale les détails de l'organisation positive, nous entendons organiser et solidariser la résistance sur une large échelle. La grève est pour nous un moyen précieux de lutte, mais nous ne nous faisons aucune illusion sur ses résultats économiques. Nous l'acceptons comme un produit de l'antagonisme entre le travail et le capital, ayant nécessairement pour conséquence de rendre les ouvriers de plus en plus conscients de l'abîme qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, de fortifier l'organisation des travailleurs et de préparer, par le fait des simples luttes économiques, le prolétariat à la grande lutte révolutionnaire et définitive qui, détruisant tout privilège et toute distinction de classe, donnera à l'ouvrier le droit de jouir du produit intégral de son travail, et par là les moyens de développer dans la collectivité toute sa force intellectuelle, matérielle et morale.

La Commission propose au congrès de nommer une commission qui devra présenter, au prochain congrès, un projet d'organisation universelle de la résistance et des tableaux complets de la statistique du travail dans lesquels cette lutte puisera de la lumière. Elle recommande l'organisation espagnole comme la meilleure jusqu'à ce jour.

Citation

Selon Max Nettlau en 1922 : « Si l’on veut tâcher de profiter des enseignements de Saint-Imier en 1872, on pourrait essayer de rétablir une vraie Internationale sur cette base : solidarité dans la lutte économique contre le capitalisme ; solidarité dans la lutte contre l’autorité, l’État ; solidarité dans le rejet absolu de la guerre et des oppressions nationalistes ; autonomie complète sur le terrain des idées et de la tactique, ce qui implique la non-intervention dans les affaires des autres et le rejet de tout monopole et de toute dictature. »[4]

Bibliographie

  • Marianne Enckell : La fédération jurassienne, Âge d'Homme, Lausanne, 1971 (rééditions: Canevas Éditeur), Saint-Imier 1991, (ISBN 2-88382-008-2)
Nouvelle édition en 2012 : Marianne Enckell, La Fédération jurassienne, Entremonde, Genève/Paris, 2012, (ISBN 978-2-940426-16-4)

Articles connexes

Liens externes

Notes

  1. Federico Ferretti, Charles Perron, cartographe de la « juste » représentation du monde, Blog du Monde diplomatique, 5 février 2010
  2. Arthur Lehning, introduction à Michel Bakounine, Œuvres Complètes, volume 3, Les Conflits dans l'Internationale, Ivrea, 1975.
  3. Jean Préposiet, Histoire de l'anarchisme, Tallandier, coll. « Approches », 2005 (ISBN 2847341900)
  4. Marianne Enckell, 1872 : Saint-Imier, berceau de l’anarchisme, Alternative libertaire, n°220, septembre 2012, texte intégral.
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