Cognition des éléphants

Les études sur la cognition des éléphants ont montré que ces animaux sont parmi les espèces les plus intelligentes de la planète[1]. Leur masse cérébrale pèse entre 4 et kg (soit le cerveau le plus lourd parmi tous les mammifères terrestres) et ils ont un ratio cerveau - masse corporelle (en) faible par rapport à celui de l'homme mais leur cerveau contient 257 milliards de neurones et est semblable à celui de l'homme en termes de structure et de complexité, notamment en ce qui concerne le cortex, suggérant une convergence évolutive à ce niveau[2].

Les éléphants présentent une grande variété de comportements, y compris ceux associés à la douleur, l'apprentissage, l'éducation par plusieurs femelles des petits (en), les imitations, le jeu, l'altruisme, la communication non verbale, l'utilisation d'outils, la compassion, la coopération, la conscience de soi, la mémoire et le langage. Le philosophe Aristote disait de l'éléphant qu'il « surpasse les animaux en compréhension »[3].

Structure cérébrale

Cortex cérébral

L’éléphant – que ce soit d’Asie ou d’Afrique – possède un néocortex très grand et très complexe, caractéristique également partagée par les humains, les autres primates et certaines espèces de dauphins.

De tous les animaux terrestres, les éléphants d’Asie ont le plus important volume de cortex cérébral disponible. Les éléphants ont un volume de cortex cérébral dépassant celui de toutes les espèces de primates. Selon une étude, ils peuvent être placés dans la catégorie des grands singes en termes de capacités cognitives pour l’utilisation et la fabrication d’outils.[1]

Le cerveau de l’éléphant propose un motif cérébral plus complexe et avec des plis cérébraux plus nombreux que celui des humains, des primates ou autres carnivores, mais moins complexe que celui des cétacés.[4] Les éléphants seraient similaires aux dauphins en termes de capacités à résoudre des problèmes,[5] et de nombreux scientifiques placent l’intelligence des éléphants au même niveau que celle des cétacés. Un article publié en 2011 par ABC Science suggère que « les éléphants [sont aussi] intelligents que les chimpanzés [et] les dauphins»[6].

Autres zones du cerveau

Les éléphants possèdent un hippocampe très convoluté et une structure cérébrale du système limbique plus grosse que n’importe quel humain, primate ou cétacé[7]. L’hippocampe d’un éléphant occupe environ 0,7% des structures centrales du cerveau contre 0,5% pour les humains, 0,1% pour les dauphins de Risso et 0,05% pour le grand dauphin[8].

L’hippocampe est lié à l'émotion par le traitement de certains types de mémoire, notamment spatiale. Cela pourrait être la raison pour laquelle certains éléphants souffrent de flashbacks psychologiques ou de l’équivalent d’un Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT)[9],[10].

Le quotient d’encéphalisation – taille du cerveau en fonction de la taille du corps – des éléphants varie entre 1,13 et 2,36. Le quotient d’encéphalisation moyen est de 2,14 pour les éléphants d’Asie et de 1,67 pour les éléphants d’Afrique, avec une moyenne globale de 1,88.[11] En comparaison, le dauphin de la Plata a un quotient d’encéphalisation de 1,67 ; 1,55 pour le dauphin du Gange ; 2,57 pour l'orque ; 4,14 pour le grand dauphin et 4,56 pour le tucuxi.[12] Pour les chimpanzés, il est de 2,49 ; 1,17 pour les chiens ; 1,00 pour les chats et 0,50 pour les souris. Les humains ont un coefficient d’encéphalisation de 7,44[13].

Taille du cerveau à la naissance en fonction de sa taille à l'âge adulte

Comparer la taille du cerveau à la naissance à celle du cerveau d’un adulte ayant terminé son développement est une manière d’estimer combien un animal dépend de l'apprentissage, par opposition à l'instinct. La majorité des mammifères naissent avec un cerveau pesant environ 90% de sa masse à l’âge adulte.[13] Cependant, ce chiffre est de 28% pour les humains,[13] 42,5% pour les grands dauphins,[14] 54% pour les chimpanzés[13] et 35% pour les éléphants.[15] Cela pourrait indiquer que les éléphants ont besoin d’un niveau d’apprentissage élevé durant leur développement et que leur comportement est moins instinctif qu’enseigné. Cette théorie est soutenue par la longueur de la période juvénile de l’éléphant et la taille importante de ses lobes temporaux, qui sont associés au stockage des souvenirs.

Neurones en fuseau

Les neurones en fuseau semblent jouer un rôle important dans le développement du comportement intelligent. On en trouve dans le cerveau des humains et du reste des grands singes, ainsi que dans celui des baleines à bosse, des rorquals communs, des orques, des cachalots, des grands dauphins, des dauphins de Risso et des bélugas, comme dans celui des éléphants d’Asie et d’Afrique.[16] Les similitudes entre le cerveau des éléphants et le cerveau humain soutiennent la thèse d’une convergence évolutive[10].

Société des éléphants

La société des éléphants est l’une des plus unies du règne animal. Les familles d’éléphants ne peuvent être séparées que par la mort ou la capture. Elles vivent en hardes dirigées par la femelle la plus âgée du groupe et pouvant contenir jusqu'à 20 individus. Comme les éléphants sont très soudés et vivent dans une société extrêmement matriarcale, ils peuvent être dévastés par la mort de l’un des leurs - particulièrement celle d’une matriarche – et certains groupes ne retrouvent jamais leur organisation après un tel évènement. Cynthia Moss, une éthologue spécialiste des éléphants, a observé une mère qui, après la mort de son petit, a marché lentement à l’arrière du groupe pendant plusieurs jours.[17]

Les éléphants seraient similaires aux chimpanzés en termes de capacités de coopération[2].

Altruisme

Les éléphants seraient des animaux très altruistes, aidant même d’autres espèces, dont les humains. En Inde, un éléphant aidait des locaux à soulever des bûches en suivant un camion et en plaçant le bois dans des trous pré-creusés, sous les instructions du cornac (dresseur d’éléphants). Arrivé à l’un des trous, l’éléphant refusa de placer la bûche. On découvrit alors qu’un chien dormait dans le trou en question. L’éléphant attendit que le chien soit parti pour reprendre sa tâche[18].

Cynthia Moss a souvent vu des éléphants faire un détour pour éviter de blesser ou de tuer un humain, même quand cette action était difficile pour eux (par exemple en faisant demi-tour pour éviter une personne).

Joyce Poole a documenté une rencontre rapportée par Colin Francombe au ranch de Kuki Gallman, dans le comté de Laikipia. Un membre du personnel du ranch était seul avec des chameaux quand il tomba sur une famille d’éléphants. La matriarche chargea et le renversa avec sa trompe, brisant l’une de ses jambes. Le soir venu, l’homme ne revenant pas, une équipe de recherche fut envoyée en camion pour le retrouver. Quand il fut trouvé, une éléphante le gardait. Elle chargea vers le camion, mais les hommes tirèrent sur elle et l’effrayèrent. Le blessé expliqua ensuite que l’éléphante avait utilisé sa trompe pour l’aider à se placer sous l’ombre d’un arbre après avoir remarqué qu’il ne pouvait pas se lever. Elle l’avait gardé toute la journée et le touchait doucement avec sa trompe[14].

Automédication

En Afrique, les éléphants s’auto-soignent en mâchant les feuilles d’un arbre de la famille des Boraginacées. Les kenyans utilisent également cet arbre dans le même but[19].

Rituels funéraires

Les éléphants sont les seuls mammifères connus autres que les Homo sapiens sapiens et les Homo neanderthalensis[20],[21],[22],[23],[24],[25],[26] à effectuer des rituels funéraires reconnaissables en tant que tels. Ils montrent un grand intérêt pour les os de leurs congénères, même si leur mort remonte à longtemps et s’ils n’ont pas de lien familial avec eux. Ils sont régulièrement observés en train de manipuler doucement les ossements avec leur trompe et leurs pieds, tout en restant très silencieux. Parfois, des éléphants sans aucun lien avec les défunts viennent voir leurs tombes[27].

Le chercheur en éléphants Martin Meredith mentionne dans son livre un rituel funéraire propre aux éléphants observé par Antony Hall-Martin, un biologiste sud-africain ayant étudié les éléphants à Addo durant plus de huit ans. Tous les membres de la famille d’une matriarche décédée, y compris son jeune petit, touchaient doucement son corps avec leurs trompes, tentant de la soulever. Le troupeau barrissait bruyamment. Le petit a été observé en train de pleurer et d’émettre des sons semblables à un cri. Tout le troupeau s’est ensuite tut, puis a commencé à jeter des feuilles et de la terre sur le corps et à casser des branches d’arbres pour le recouvrir. Les éléphants ont passé les deux jours suivants à se tenir silencieusement à côté du cadavre. Ils devaient parfois partir pour aller chercher de l’eau ou de la nourriture, mais revenaient toujours[28].

Les cas d’éléphants se comportant de cette manière autour des humains sont communs en Afrique. À de nombreuses occasions, des éléphants ont enterré des humains morts ou endormis ou les ont aidés quand ils étaient blessés[14]. Meredith se rappelle un évènement que lui a raconté George Adamson, un garde-chasse kenyan, à propos d’une vieille femme Turkana qui s’était endormie sous un arbre après s’être perdue. Quand elle s'est réveillée, un éléphant se tenait près d’elle, la touchant doucement. Apeurée, elle est restée très calme. D’autres éléphants sont alors arrivés et ont commencé à crier très fort, puis l’ont enterrée sous des branches. Le lendemain, elle a été retrouvée saine et sauve par les bergers locaux[28].

George Adamson se souvient également de la fois où il a tué un éléphant mâle appartenant à un troupeau qui ne cessait de s’introduire dans les jardins du gouvernement du nord du Kenya. Adamson a donné la viande d’éléphant aux tribus Turkana locales et transporté le reste de la carcasse 800 mètres plus loin. Cette nuit-là, les autres éléphants ont trouvé le corps, pris les os de l’omoplate et de la jambe et les ont ramenés à l’endroit exact où l’éléphant avait été tué.[29]

Jeu

À de nombreuses occasions, Joyce Poole a observé des éléphants d’Afrique sauvages jouer, ce qu’ils faisaient apparemment pour leur propre divertissement et celui des autres. Ils aspiraient de l’eau, puis levaient leur trompe et la pulvérisaient comme une fontaine[14].

Mimétisme

Des études récentes ont montré que les éléphants peuvent également imiter les sons qu’ils entendent. Cette découverte a eu lieu lorsque Mlaika, un éléphant orphelin, a copié le bruit des camions qui passaient. D’après les connaissances actuelles des scientifiques, les seuls autres animaux capables de reproduire des sons sont les baleines, les dauphins, les chauves-souris, les primates et les oiseaux[30]. Calimero, un éléphant d’Afrique de 23 ans, présentait une forme unique de mimétisme. Il était dans un zoo suisse avec des éléphants d’Asie. Ces derniers utilisent des barrissements différents des bruits profonds qu’émettent les éléphants d’Afrique. Calimero a aussi commencé à barrir et à ne plus produire les profonds appels qu'un éléphant de son espèce produirait normalement.[31]

Au parc d’attraction Everland, en Corée du Sud, un éléphant indien nommé Kosik peut imiter jusqu’à cinq mots coréens[32]. Il produit ces sons humains en mettant sa trompe dans sa bouche et en la secouant pendant qu’il expire, technique similaire à celle qu’utilisent les personnes qui sifflent à l’aide de leurs doigts[33].

L’écologiste O’Connell-Rodwell a mené en 1997 des recherches qui ont conclu que les éléphants créent des vibrations de basse fréquence (signaux sismiques) à l’aide de leur trompe et de leurs pieds pour communiquer à distance[34]. Les éléphants utilisent des appels de contact afin de rester en contact avec un autre individu quand celui-ci est hors de vue. En 2004, Joseph Soltis a conduit une étude afin de comprendre les vocalisations à basse fréquence utilisées par les éléphants pour communiquer sur de courtes distances. Ses recherches ont révélé que les éléphants femelles ayant un lien émotionnel fort avaient tendance à produire deux fois plus de « grondements » que celles avec un lien émotionnel plus faible[35].

Joyce Poole, du Amboseli Elephant Research Project, au Kenya, a démontré la capacité d’apprentissage vocal et d’imitation des éléphants les uns par rapport aux autres et à leur environnement. Elle commence à rechercher la présence de dialectes dans le langage des éléphants, caractéristique rare au sein du règne animal[30].

Notes et références

  1. (en) Hart, B.L.; L.A. Hart, M. McCoy, C.R. Sarath, « Cognitive behaviour in Asian elephants : use and modification of branches for fly switching », Animal Behaviour, vol. 62, no 5, , p. 839–847 (DOI doi:10.1006/anbe.2001.1815).
  2. (en) Goodman, M.; Sterner, K.; Islam, M.; Uddin, M.; Sherwood, C.; Hof, P.; Hou, Z.; Lipovich, L.; Jia, H, « Phylogenomic analyses reveal convergent patterns of adaptive evolution in elephant and human ancestries », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 106, no 49, , p. 20824–20829 (DOI 10.1073/pnas.0911239106).
  3. Aristoteles, Armand Gaston Camus, Histoire des animaux d'Aristote, Volume 2, Chez la veuve Desaint, , p. 294.
  4. (en) Jeheskel Shoshani, William J. Kupsky b, Gary H. Marchant, « Elephant brain, Part I: Gross morphology, functions, comparative anatomy, and evolution »
  5. (en) « What Makes Dolphins So Smart? »
  6. (en) Jennifer Viegas, « Elephants smart as chimps, dolphins », sur ABC Science,
  7. (en) « Mechanisms of Economic and Social Decision-Making »
  8. (en) « Brain of the African Elephant (Loxodonta africana): Neuroanatomy From Magnetic Resonance Images »
  9. (en) « Do Elephants Cry ? », sur Emagazine,
  10. (en) Charles Siebert, « An Elephant Crack Up? », sur The New York Times,
  11. (en) Shoshani, Jeheskel; Kupsky, William J.; Marchant, Gary H., « Elephant brain Part I: Gross morphology, functions, comparative anatomy, and evolution »,
  12. (en) « Cetacean Brain Evolution: Multiplication Generates Complexity », sur International Society for Comparative Psychology
  13. (en) Joyce Pool, « Thinking about Brain Size »,
  14. (en) Joyce Poole, Coming of Age with Elephants, Chicago (Illinois), (ISBN 0-340-59179-X)
  15. (en) « Dolphins Behavior », sur Dolphins and Whales Window
  16. (en) « Elephants Brain »
  17. (en) Butti, C; Sherwood, CC; Hakeem, AY; Allman, JM; Hof, PR, « Total number and volume of Von Economo neurons in the cerebral cortex of cetaceans »
  18. (en) Creg Holdrege, « Elephantine Intelligence »,
  19. (en) Eugene Linden, « The Octopus and the Orangutan: More Tales of Animal Intrigue, Intelligence and Ingenuity »,
  20. (en) William Rendu, Cédric Beauval, Isabelle Crevecoeur, Priscilla Bayle, Antoine Balzeau, Thierry Bismuth, Laurence Bourguignon, Géraldine Delfour, Jean-Philippe Faivre, François Lacrampe-Cuyaubère, Carlotta Tavormina, Dominique Todisco, Alain Turq, Bruno Maureille, « Evidence supporting an intentional Neandertal burial at La Chapelle-aux-Saints », sur pnas.org,
  21. (bg) Gladilin, V. N., O kulturno-khronologicheskoi prinadlezhnosti neandertalskikh pogrebenii v grote Kiik-Koba, , p. 67-76
  22. (ru) Okladnikov, A. P., Issledovaniya mustyerskoi stoyanki i pogrebeniya neandertaltsa v grote Teshik-Tash, Yuzhnyi Uzbekistan (Srednaya Aziya), , p. 7-85
  23. (ru) Okladnikov, A. P., O znachenii zakhoronenii neandertaltsev dlya istorii pervobytnoi kultury, (lire en ligne), p. 159-180
  24. (en) Stewart, T. D., « The Neanderthal skeletal remains from Shanidar cave, Iraq: A summary of findings to date », American Philosophical Society, , p. 121-165 (lire en ligne)
  25. (en) Gargett, R.H., « Middle Palaeolithic burial is not a dead issue: the view from Qafzeh, Saint-Césaire, Kebara, Amud, and Dederiyeh », Journal of Human Evolution, , p. 27-90 (lire en ligne)
  26. (en) Gargett, R.H, « Grave Shortcomings: The Evidence for Neandertal Burial », Current Anthropology, , p. 157-190 (lire en ligne)
  27. (en) Caitlin O'Connell, The Elephant's Secret Sense: The Hidden Lives of the Wild Herds of Africa, New York City, Simon & Schuster, (ISBN 978-0-7432-8441-7), p. 174, 184
  28. (en) Martin Meredith, Elephant Destiny: Biography of an Endangered Species in Africa, PublicAffairs, , 256 p. (ISBN 1-58648-233-5), p. 184-186
  29. (en) George Page, The Singing Gorilla: Understanding Animal Intelligence, Londres, Headline Book Publishing, (ISBN 0-7472-7569-6), p. 175-177
  30. (en) « Elephants Learn Through Copying », sur BBC News,
  31. (en) « Elephant Mimics Truck Sounds », sur Live Science,
  32. (en) « An Asian elephant imitates human speech », sur Current Biology
  33. (en) « Kosik, Talking Elephant, Attracts Researchers and Tourists in South Korea », sur Huffington Post
  34. (en) Mark Shwartz, « Looking for earth-shaking clues to elephant communication », sur Stanford University,
  35. (en) Joseph Soltis, Kirsten Leong, Anne Savage, « African elephant vocal communication I: antiphonal calling behaviour among affiliated females », Animal Behavior, , p. 579–587 (lire en ligne)

Annexes

Articles connexes

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