Clause de compétence générale

La clause générale de compétence (CGC) est, en France, au Royaume-Uni et en Irlande (« general competence »[1]), ou en Allemagne (« allgemeine Zuständigkeitsvermutung »[2]), un concept juridique traduisant la capacité d'initiative d’une collectivité territoriale dans un domaine de compétences au-delà de celles qui lui sont attribuées de plein droit, sur le fondement de son intérêt territorial en la matière.

Bien que le terme soit très répandu, aucun texte, de loi ou constitutionnel, ne comporte les termes de « compétence générale »[réf. nécessaire].

Ce concept ou des concepts proches (subsidiarité prévu à l'article 72 alinéa 2 de la constitution du 4 octobre 1958 par exemple) existent dans d'autres pays, dont en Tunisie (où il est inspiré du droit français[3]) et en Inde où l'Union des États indiens est régie par une constitution qui liste des compétences de l'Union, celles des États ainsi que les compétences partagées, mais qui prévoit une clause de compétence générale (article 248 de la Constitution qui attribue le pouvoir législatif à l'Union dans tous les domaines non-expressément attribués aux États dans la Liste des États ou la Liste concurrent[4].

Définition

Une collectivité territoriale, telle que la commune (depuis la loi NOTRe du 7 août 2015, le département et la région ne sont plus concernés par la clause générale de compétence), peut intervenir dans un domaine de compétences dès lors que l’intérêt de son territoire peut être invoqué. Cette notion d’intérêt traduit une approche finaliste qui permet, dans une certaine mesure, de dépasser ou d’élargir les compétences strictement attribuées par les lois en vigueur ; elle est ainsi susceptible de justifier les décisions de création d’un service public local, l’octroi de subventions ou d’aides matérielles, la réalisation de travaux, etc[5].

Au Royaume-Uni, les communes ont été longtemps contraintes par l'État, auquel il était reproché de parfois empêcher ces communes d'agir dans le meilleur intérêt de leurs administrés. L'idée de lever cette limitation en accordant un certain « pouvoir général de compétence » aux autorités locales date au moins d'un rapport de la Commission Maud publié en 1967 sur la gestion au sein des gouvernements locaux[6], mais ce n'est qu'en 1972 que l'article 111 d'une loi dénommée Local Government Act a confié aux autorités locales le pouvoir de faire des choses « accessoires » ou « favorable » au bon exercice de leurs fonctions. Ces notions d'accessoire (aux fonctions et aux activités des autorités locales).

En France, cette notion, parfois présentée comme une « précieuse variable d'ajustement » [7] n’est pas extensible à l’infini. La jurisprudence en a défini les contours. Elle ne permet en particulier pas de s’affranchir de règles de fond, telles que[5] :

  • le droit communautaire de la concurrence ou les dispositions législatives particulières en matière d’aide aux entreprises ;
  • la liberté du commerce et de l'industrie en matière de création de services publics ;
  • le principe de neutralité, qui interdit par exemple aux collectivités de s’immiscer dans un conflit collectif du travail par le soutien financier à l’une des parties.

Fondements européens

Les articles 2 et 3 de la Charte européenne de l’autonomie locale, signée à Strasbourg le 15 octobre 1985 dans le cadre du Conseil de l’Europe et approuvée par la France après la promulgation de la loi du 10 juillet 2006, disposent respectivement que « le principe de l’autonomie locale doit être reconnu dans la législation interne » et que « par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part effective des affaires publiques » . L’article 4, paragraphe 2 de la même Charte prévoit que « les collectivités locales ont, dans le cadre de la loi, toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n’est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité ».

La clause générale de compétence est également inscrite dans le droit européen, avec la nuance toutefois que celle-ci ne peut être exercée si elle est explicitement exclue des compétences de la collectivité ou si elle est exercée par une autre collectivité.

En France

Communes

L’article L. 2121-29 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) énonce : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. (…) Le conseil municipal émet des vœux sur tous les objets d’intérêt local » ;

Cette clause apparaît dès la première loi de constitution du régime juridique des communes précisant l’organisation et les attributions des conseils municipaux, la loi du 5 avril 1884. L’article 61 de cette loi dispose, dans son premier alinéa : « Le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune. »[8].

Départements

Antérieurement à la Loi n°2015-991 du 7 août 2015 (Loi "NOTRe"), l’article L. 3211-1 du même code disposait : « Le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département. Il statue sur tous les objets sur lesquels il est appelé à délibérer par les lois et règlements et, généralement, sur tous les objets d’intérêt départemental dont il est saisi (…) » ;

Comme pour les communes, cette clause apparaissait dès la loi du 10 août 1871 formant les conseils généraux et définissant leur organisation. L’article 48, 8e alinéa, précisait : « Le conseil général délibère : […] 5°/ sur tous les autres projets sur lesquels il est appelé à délibérer par lois et règlements, et généralement sur tous les projets d’intérêt départemental dont il est saisi, soit par une proposition du préfet, soit sur l’initiative d’un de ses membres ».

Cet article était communément interprété comme un principe de clause générale de compétence. Dans sa décision du 9 décembre 2010, le Conseil constitutionnel précisait toutefois que « ces dispositions n'ont eu ni pour objet ni pour effet de créer une clause générale rendant le département compétent pour traiter de toute affaire ayant un lien avec son territoire ; que, par suite, elles ne sauraient avoir donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République garantissant une telle compétence » [9],[10].

Régions

L’article L. 4221-1 énonçait : « Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires de la région. Il a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des départements et des communes. Il peut engager des actions complémentaires de celles de l’État, des autres collectivités territoriales et des établissements publics situés dans la région, dans les domaines et les conditions fixés par les lois déterminant la répartition des compétences entre l’État, les communes, les départements et les régions. »

Fondements constitutionnels

Certains considèrent que cette notion est intrinsèquement liée à la notion de collectivité territoriale au sens de l’article 72 de la Constitution française. C’est en effet cette notion qui différencie les collectivités des établissements publics (y compris de coopération intercommunale), gouvernés quant à eux par le principe de spécialité[5].

De même peut-on considérer la clause générale de compétence comme l’une des composantes de la libre administration des collectivités locales garantie par les articles 34 et 72 de la Constitution[5].

Première suppression de la CGC pour les départements et régions en 2010

Un des objectifs principaux de la loi de réforme des collectivités territoriales était, dès lors que l’option de suppression des départements n’était pas retenue, de clarifier les compétences respectives de chaque collectivité, ce qui devait se traduire par la mesure phare de suppression de la clause générale de compétence. La loi votée le 16 décembre 2010 (dite loi "RCT") mettait en œuvre cette disposition pour les départements et régions, mais introduisait quelques exceptions. La date d'entrée en vigueur était fixée au [11].

En ce qui concerne le conseil général, l’article 73 de la loi précisait que le premier alinéa de l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales, libellé ainsi : « Le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département »[12], était complété par « dans les domaines de compétence que la loi lui attribue ». Cela équivalait de fait à une suppression de la clause générale de compétence et au passage à un bloc de compétences bien identifiées.

Mais le deuxième alinéa qui était rédigé ainsi : « Il statue sur tous les objets sur lesquels il est appelé à délibérer par les lois et règlements et, généralement, sur tous les objets d'intérêt départemental dont il est saisi. » était remplacé par le suivant : « Il peut en outre, par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d’intérêt départemental pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique. » Une exception était ainsi introduite pour les compétences spécifiques qui n'auraient pas été attribuées à une autre collectivité.

Une disposition similaire était prise en ce qui concernait les conseils régionaux de métropole et d'outre-mer avec la modification de l'article L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel, saisi sur la constitutionnalité de ces dispositions législatives nouvelles, précisait dans sa décision du 9 décembre 2010 « que les dispositions critiquées permettent au conseil général ou au conseil régional, par délibération spécialement motivée, de se saisir respectivement de tout objet d'intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique ; que, par suite, doit être écarté le grief tiré de ce que les dispositions critiquées seraient contraires au principe de libre administration des collectivités territoriales ; que n'est pas non plus méconnu le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution qui dispose que ces dernières ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » [9],[10].

Annulation de la suppression pour les départements et régions en 2014

La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi MAPTAM) annula la suppression de la clause générale de compétence des régions et départements dont l'entrée en vigueur était prévue pour le .

Débat

En janvier 2014, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault annonça que la clause générale de compétence pourrait être retirée aux départements et régions dans la prochaine loi de décentralisation pour être réservée aux communes, dans le cadre d'un « nécessaire choc de simplification »[13]. La loi NOTRe du 7 août 2015 est destinée à rationaliser, à simplifier les politiques publiques issues de la décentralisation territoriale. La suppression de la clause générale de compétence doit permettre de mettre fin à "l'enchevêtrement de compétences" en transformant la région et le département en collectivités territoriales (CT) spécialisées. Cela étant, cette nouvelle notion rend floue la séparation juridique et notionelle entre Établissements publics territoriaux (EPT) et CT spécialisées.

L'apparition de collectivités territoriales spécialisées est aussi, selon Jean Marie Pontier, professeur à l'université d'Aix Marseille, une manière de créer un État décentralisé mais dirigiste. Manuel Valls proposa, le mardi 8 avril 2014, lors de son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, la suppression pure et simple de la clause générale de compétence[14], approuvée par le Sénat le 15 janvier 2015[15].

Loi NOTRe du 7 août 2015

La loi du 7 août 2015 dispose que les départements et régions sont dotés de compétences spécialisées, avec une reconnaissance de compétences partagées en matière de culture, sport, tourisme, promotion des langues régionales et éducation populaire (art. L. 1111-4 nouveau). Elle reprend la même formule que la loi du 16 décembre 2010, sans toutefois ménager la possibilité pour les départements et régions de « se saisir, par délibération motivée, de tout objet d'intérêt départemental ou régional pour lequel la loi n'a donné aucune compétence à aucune autre personne publique ».

La loi NOTRe du 7 août 2015 entérine donc la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et régions. Les départements ont subi, dans le même temps, d'importants transferts de compétences vers les régions[11].

Sources

Notes et références

  1. Mark Callanan, Justin F. Keogan (2003) Local Government in Ireland: Inside Out ; Institute of Public Administration, 1er janvier 2003 - 610 pages voir par ex p. 10 (extraits avec Google livre
  2. Hellmut Wollmann, Roland Roth (1999) Kommunalpolitik: Politisches Handeln in den Gemeinden ; Springer-Verlag, 30 janv. - 851 pages(extraits avec Google Livre) voir p. 194 et suivantes
  3. Le droit tunisien distingue clairement les affaires locales, et les affaires nationales, les compétences d’intérêt national étant confiées à l’État, et les compétences d’intérêt local aux collectivités locales décentralisées ; principe plusieurs fois consacré par le droit positif local tunisien selon le juriste tunisien Tarchouna Lotfi, in Le statut constitutionnel de la décentralisation en Tunisie (faculté de droit de l'université de Sousse), PDF, 13 pages
  4. Mesmin Saint-Hubert (2000) La Cour Suprême de l'Inde, garantie de la structure fondamentale de la Constitution  ; Revue internationale de droit comparé , Vol 52, no 3, p. 631-643
  5. Collectif sous la présidence de Edouard Balladur, « La clause générale de compétence », sur www.reformedescollectiviteslocales.fr/ Site du Comité pour la réforme des collectivités locales,, (consulté le )
  6. HMSO, Management of Local Government (Maud Committee), 1967, voir para 283
  7. Casteigts, M. (2010). Réforme (s) territoriale (s): de la complexité comme solution à la simplification comme problème. Espaces et sociétés, (2), 125-130.
  8. « Loi municipale du 5 avril 1884 », sur www.cdg90.fr/ (consulté le )
  9. « Décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 », sur www.conseil-constitutionnel.fr (consulté le )
  10. « Communiqué de presse du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010 - “Communiqué de presse - 2010-618 DC », sur www.conseil-constitutionnel.fr, (consulté le )
  11. « Qu'est-ce que la clause générale de compétence ? - Quelles sont les compétences des collectivités territoriales ? Découverte des institutions - Repères - Vie-publique.fr », sur www.vie-publique.fr, (consulté le )
  12. article L3211-1 du code général des collectivités territoriales
  13. « Jean-Marc Ayrault veut maintenant réserver la clause de compétence générale aux communes », Le courrier des maires et des élus locaux, lire en ligne
  14. Eric Nunès, « Fusionner les régions, supprimer les départements : ce que propose Valls », Le Monde, (lire en ligne).
  15. http://www.cbanque.com/actu/49896/reforme-territoriale-le-senat-approuve-la-suppression-de-la-clause-de-compétence-générale-pour-les-régions

Annexes

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

  • Garnier, G., & Bavay, F. (2010). Les collectivités locales et la réforme de l'État: le point de vue des élus territoriaux. Cahiers libres, 220-236 (http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DEC_BONEL_2010_01_0220 Lien CAIRN Info].
  • Lambert, A. (2007). Les relations entre l’État et les collectivités locales. Rapport du groupe de travail, Révision générale des politiques publiques. Assemblée Nationale, La Documentation Française.
  • Marcou, G. (2011). La clause générale de compétence. Dictionnaire des politiques territoriales, Paris: Presses de Sciences Po, 57-62.
  • PONTIER, J. M. (2006). Nouvelles observations sur la clause générale de compétence. La Profondeur du droit local. Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Douence, 365-394.
  • Pontier, J. M. (2011). Requiem pour une clause générale de compétence?. Réforme des collectivités territoriales, JCP Administrations et Collectivités territoriales, (2), 47-55.
  • Pontier, M. J. M. (1984). Semper manet. Sur une clause générale de compétence. Revue de droit public, (6).
  • Rangeon, F. (1996). Le gouvernement local. La Gouvernabilité, Paris, PUF, 167.
  • Michel VERPEAUX, Laetitia JANICOT. Droit des collectivités territoriales. Paris, PUF, octobre 2015, 444 pages.
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