Ciwara

Le masque Ciwara, ou encore Tyi wara, de son nom complet Tyi wara kun (du bambara prononcé tchiwara, signifiant "tête du fauve de la culture" (ci = culture, wara = lion, et kun = tête)[1]) est un masque-cimier rituel en forme d'antilope-cheval que l'on rencontre dans la culture Bambara. C'est l'une des pièces les plus connues de l'art africain[2].

Représentation de danse avec cimiers Ciwara lors d'une démonstration à Bamako (2010)
Comparaison des styles de 4 types principaux de ciwara, de gauche à droite : Style de Bougouni, « abstrait »; Style de Ségou, « vertical »; Style de Bamako, « en longueur »; style de la région de Sikasso, « abstrait », lui aussi.

Usage

Le ciwara récompense, en milieu bambara, les plus grands travailleurs dans tous les domaines de la vie active.

Ce masque-cimier est utilisé lors des rites de la société ciwara, l'une des six institutions secrètes qui organisent la société bambara. Il est fixé sur la tête des danseurs, appartenant tous à la société ciwara, grâce à un bonnet en vannerie. Les danses de la société ciwara sont liées aux rites agraires et donc à l’idée de fertilité, de fécondité, d’ensemencement[3]. Lors de ces cérémonies rituelles, le masque devenait l'attribut d'un danseur costumé qui lui donnait vie et parole. Au travers du mouvement, et du porteur plus particulièrement, le masque trouve son sens. Les ciwaras dansaient généralement en couple. Ces cérémonies ont lieu en plein jour, au milieu des champs comme au village. Elles célèbrent l’union mythique entre le soleil, qui renvoie au principe mâle, et la terre, principe féminin, tout en stimulant l’ardeur au travail des jeunes cultivateurs[4].

Mythe fondateur

Il existe plusieurs versions du mythe fondateur concernant les ciwaras. Selon l'une d'elles, Ciwara était un être mi-animal, mi-humain, né d'un serpent et d'une femme, premier être humain, nommée Mousso Koroni (Mousso signifiant "femme", koro "vieille" et le suffixe -nin "petit", mais koroni veut tout simplement dire "très vieux ou très vieille" en bambara). Ciwara cultivait le sol avec ses griffes et un bâton offert par sa mère. Il était doté de pouvoirs magiques le rendant capable de transformer l'herbe en mil. Les cultures étaient ainsi tellement abondantes que les êtres humains se désintéressèrent de la question et ne firent plus attention aux récoltes. Tant et si bien que Ciwara partit en s'enfouissant dans le sol. Pour se faire pardonner, les humains réalisèrent un autel dans lequel pouvait résider son esprit et créèrent les masques cimiers pour rappeler la mémoire et les enseignements de Ciwara[5].

Selon une autre version, les ciwaras évoqueraient l'histoire de Sanou Koronin ("très vieil or" en bambara), fille d'un roi bambara promise en mariage au vainqueur d'une course. Celle-ci fut remportée par un caméléon ayant triché en se faisant transporter sur le dos d'une antilope-cheval (hippotrague). Mais le caméléon mourut et ce fut donc l'antilope qui épousa Sanou Koronin[6].

Variations stylistiques[7]

Selon les régions, les masques-cimiers Ciwara prennent des formes stylisées relativement différentes, dont trois principales[8] :

Couple, style de Ségou, féminin à droite, avec son faon, masculin à gauche
Style de Bougouni
Style de Bougouni
Style de Bamako
Style de Bamako

Le style de Ségou

Les masques de ce style, sans doute le plus connu, sont utilisés dans la région de Ségou, de Baninko et du Kenedougou, et ont une orientation verticale. Le dimorphisme sexuel est marqué : les ciwara masculins possèdent des cornes recourbées vers l'arrière, une crinière, un pénis proéminent. Ce cimier masculin est de taille plus importante que le cimier féminin. Ce dernier possède des cornes verticales et porte, souvent, un petit faon sur son dos.

Le style de Bougouni

Dans la région centrale et méridionale du pays bamana, ces masques-cimiers de forme verticale sont composites. Ils sont formés d'un assemblage de motifs pris à différents animaux, greffés les uns sur les autres et montés sur un quadrupède aux pattes fléchies. La crinière est souvent stylisée sous forme d'un zig-zag. Des colliers de cauris décorent souvent le bas du cou.

Le style de Bamako (Mande, Beledugu, Jitumu)

Dans ce style rencontré dans le Mandé, le Beledugu et le Djitoumou), le dimorphisme sexuel n'est pas marqué. Les cimiers sont horizontaux et sont généralement formés de deux parties réunies au niveau du cou par un collier ou des crochets métalliques : la tête avec de longues cornes étirées horizontalement vers l'arrière et un corps quadrupède. La gueule de l'animal est généralement ouverte, comme s'il allait crier. Les cornes, parfois surnuméraires, accueillent des figures miniatures, humaines ou animales[9].

Le style de Kita

Dans la région de Kita les masques ciwara se distinguent des précédents : il s'agit d'un masque anthropomorphe plat et vertical, portant trois ou quatre cornes verticales. Le front, les joues et le nez forment un plan rehaussé. Le menton et les yeux sont, quant à eux, en retrait.

Les cimiers-satellites

Ce style est généralement attribué à la région de Sikasso, mais a été également décrit dans d'autres région (Bougouni, Djitoumou). On ne peut qualifier ces cimiers de "masques" car ils sont portés en marge des manifestations Ciwara. Les cimiers sont très stylisés et fondés sur un jeu complexe de lignes et de formes épurées. Souvent les cornes ne sont pas visibles.

Ciwara, l'un des emblèmes du Mali

Les ciwaras sont aujourd'hui communément utilisés comme emblème du Mali, ou du moins comme l'une des représentations graphiques de l'art et de la culture du pays. En 2011, à l'occasion de l'exposition "Ciwara, collections du Musée du Quai Branly" au Musée national du Mali, Abdoulaye Sylla, ancien Directeur général adjoint du Musée national du Mali et Président de l’Association malienne pour la protection du patrimoine, a publié un appel pour que soit davantage respectée la signification du symbole et dénoncer l'excessive et mauvaise utilisation du Ciwara. Il regrettait notamment que ne soit généralement utilisée que la représentation mâle des ciwaras alors qu'ils s'utilisent en couple[10].

Entre autres exemples, voici quelques utilisations contemporaines et non rituelles du ciwara (nom ou symbole)  :

  • Le prix Ciwara. Par exemple, le "Ciwara d’exception" est la distinction nationale la plus importante qui est décernée par le chef de l'État[11].
  • Le logo des compagnies aériennes Air Afrique[12] et Air Mali[13].
  • Le logo d'Énergie du Mali.
  • Le programme santé "Keneya Ciwara" de l'USAID[14].
  • Une statue de ciwara mâle, monumental, se trouve dans le parc de la mairie du district de Bamako.
  • "Ciwara info" est un journal quotidien malien.
  • Un modèle de pompe hydraulique à pédale a été baptisé "Ciwara"[15].
  • Le logo de la Société des Brasseries du Mali (Bramali)[16]

Influence dans les arts occidentaux

Les masques Ciwara sont une des pièces les plus connues de l'art africain. Le plus ancien ciwara exposé en Europe a été acquis par le colonel Archinard et offert en 1883 au musée d'ethnographie du Trocadéro. Ces masques ont marqué et influencé divers artistes occidentaux : André Derain, Constantin Brancusi, Georges Braque ou encore Fernand Léger possédaient chacun un cimier Ciwara[7].

  • En 1923, Fernand Léger s'inspira d'un dessin qu'il fit de Ciwara pour réaliser les costumes du ballet La Création du monde.
  • Entre 1993 et 2000, Lorenzo Pace a réalisé une sculpture monumentale à Manhattan, appelé Triumph of the spirit, inspiré d'un masque Ciwara femelle[17].

Photographies

Notes et références

  1. Youssouf Tata Cissé, "Les dieux et les hommes : permanence du sacré dans les arts bambara" in "Arts d'Afrique", Musée Dapper Gallimard, Paris, 2000, (ISBN 2-07-011614-X)
  2. « Ciwara », sur quaibranly.fr (consulté le )
  3. « Ciwara, chimères africaines », sur quaibranly.fr (consulté le )
  4. « Le cimié Tiwara », sur african-concept.com (consulté le )
  5. « Les animaux dans l'art africain; Cimier de Tyi wara », sur cndp.fr (consulté le )
  6. « Antilopes du soleil », sur detoursdesmondes.typepad.com (consulté le )
  7. "Ciwara, Chimères africaines", Musée du Quai Branly, Paris, 2006, 93 p. (ISBN 978-2915133158)
  8. Jean-Paul Colleyn, 2009, p. 51-54
  9. Jean-Paul Colleyn, 2009, p. 52
  10. « Le mauvais usage dénoncé », sur maliweb.net (consulté le )
  11. « Le Ciwara : Pour magnifier le travail et le courage », sur afribone.com (consulté le )
  12. « Logo Air Afrique : d'où vient-il ? », sur airafrique.eu (consulté le )
  13. « Air Mali », sur air-mali.com (consulté le )
  14. « Le Programme Santé US-AID Keneya Ciwara, 10 ans après : Près de 9 millions de personnes ont bénéficié des actions du Programme », sur airafrique.eu (consulté le )
  15. p. 107 Birama Diakon, "Office du Niger et pratiques paysannes, appropriation technologique et dynamique sociale", L'Harmattan, Paris, 2012, 178 p. (ISBN 978-2-296-55709-3)
  16. « Malijet BRAMALI: Conception logo Bamako Mali », sur malijet.com (consulté le )
  17. « Triumph of the spirit », sur lorenzopace.com (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Jean-Paul Colleyn, Lorenz Homberger, Ciwara, chimères africaines, Musée du Quai Branly, Paris, 2006, 93 p. (ISBN 978-2915133158)
  • Jean-Paul Colleyn, Bamana, 5 Continents, coll. « Visions d'Afrique », , 137 p., 24 cm (ISBN 978-88-7439-347-3), p. 46-54
  • Dominique Zahan, Antilopes du Soleil : arts et rites agraires d'Afrique noire, A.Schendl, Viennes, 1980, 193 p. (ISBN 3-85268-069-7)
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