Al-wala' wal-bara'

Al-wala' wal-bara' (arabe : الولاء و البراء) est une expression arabe signifiant « alliance et désaveu ». Il se réfère à un principe méthodologique qui postule que les musulmans devraient rester loyaux seulement envers leur coreligionnaires et désavouer les non-musulmans.

Ce principe fut introduit par les kharidjites, avant d’être repris par les chiites, sous la dénomination tawallá & tabarra[1] pour faire partie des ancillaires de la foi chiite (furūʿ ad-dīn arabe : فروع الدين).

Ce principe fut critiqué par le fondateur de l'école hanbalite, Ahmad ibn Hanbal, comme une innovation blâmable (bid'ah)[2].

Étymologie et signification

Le terme Al-wala (arabe : الولاء) renvoi à l'alliance, à la loyauté qui est due à Allah, à l'islam et aux autres musulmans. Cette alliance est connotée par l'idée de protection, le verbe Waliya (arabe : وَلِيَ) voulant dire "protéger"[3].

Le terme Al-bara (arabe : البراء) transcrit l'idée de désaveu, de déni, de rejet de tout ce qui n'est pas islamique, qu'il s'agisse de paroles, de pratiques, d'attitudes ou d'individus. Ce terme a une connotation éminemment positive puisque bara'a (arabe : بَرَآءَ) signifie la liberté, le fait d'être libre de quelque chose. Ici en l’occurrence être innocent des défauts qui appartiennent à autrui[3].

Histoire

La première occurrence de ce concept remonte au deuxième siècle du calendrier hégirien, où il apparaît dans un recueil de ahadith et de fatawa de l'imam ibadite Ar-Rabī' Ibn Ḥabīb Al-Umānī (mort en 791 / 175 AH). Cette notion sera exploitée par Abou Obeida (de) (mort en 767 / 150 AH), l'imam ibadite de Bassorah, qui cherche alors à identifier les critères d'appartenance à la communauté ibadite. Au rigorisme moral des premiers ibadites, va donc s'ajouter un positionnement exclusiviste, fermé et intransigeant. Dans ce contexte, appartenir au groupe signifie rejeter tout ce qui est différent de lui. Al-wala' wal-bara' est dès lors conçu comme un principe unificateur et séparateur, isolant le groupe, l'uniformisant et le préservant de toute perméabilité à ce qui lui est étranger. Dans les faits, le caractère indissociable d'Al-wala et d'Al-bara s'exprime jusque dans les liens familiaux puisque Abou Obeida ira jusqu'à renier un de ses confrères ibadites qui avait eu le malheur de marier sa fille à un non-ibadite. À l'époque, il y a une volonté de se différencier des mécréants, mais aussi des sunnites, qui constituent le groupe majoritaire, de peur que ces derniers ne subjuguent la communauté ibadite naissante[3].

Sunnisme

Ibn Taymiyya (XIIIe siècle) introduit le concept dans le sunnisme, sans pour autant utiliser le terme Al-wala' wa-l-bara', en se basant sur le Coran et la Sunna. Le verset 5:51 du Coran stipulant « Croyants, Ne prenez pas pour amis (awliya’) les Juifs et les Chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Et celui d'entre vous qui les prend pour amis, devient un des leurs. Allah ne guide pas les peuples injustes », synthétise plus ou moins ses arguments, sachant que le terme "awliya" est ambigu. Par ailleurs, Ibn Taymmiyya développe l’idée d'éviter toute relation avec des non musulmans susceptible d'induire un sentiment de loyauté envers ces derniers, car risquant alors de détourner le musulman de sa foi. Selon ce principe, il est toujours permis à un musulman de se marier à une non musulmane, mais pas l'inverse puisque le mariage dans la religion musulmane est un contrat asymétrique n'impliquant pas de relation de loyauté du mari envers une épouse, alors que les épouses se doivent d’être soumises et obéissantes à leur mari, comme inférés notamment par les versets coranique 4:34-38[réf. souhaitée].

Wahhabisme

Le concept se formalise dans la doctrine wahhabite par le petit-fils du fondateur du wahhabisme, Mohammed ben Abdelwahhab, Sulayman ibn ‘Abdallah Al al-Shaykh (1786–1818), comme un outil (takfîr) permettant de considérer toute personne susceptible de loyauté vis-à-vis d'un non musulman (kafir) comme exclue de la communauté musulmane. Hamd ibn ‘Ali ibn ‘Atiq (mort en 1883) raffine le concept en déclarant qu'un musulman ne l'est pas s'il ne montre pas d'inimitié envers les non-musulmans (la base pour cela serait essentiellement le verset coranique 60:4)[2].

Salafisme

Le al wala 'wal bara pénètre le salafisme vers la fin des années 1970, notamment sous l'impulsion du koweitien Abdul Rahman Abdul Khaliq Al-Yusuf (né en Égypte en 1939) qui diffuse ses thèses dans le journal koweitien « Al-Watan », et du saoudien Muhammad Ibn Saeed Ibn Saalim Al-Qahtani (né en 1956) qui publie dans les années 80 sa thèse de master intitulée « Al-Wala’ wal Bara’ selon les croyances des pieux anciens (salaf) »[4]. Thèse dans laquelle il argue notamment que le désaveu (bara) implique le djihad comme la seule voie permettant de séparer le parti de Dieu (hizb Allah) de celui de Satan (hizb aslshaitan).

Un autre auteur important pour le salafisme est le saoudien Salih Bin Fawzan Al-Fawzan (né en 1933), un membre des autorités religieuse saoudienne, lequel a fait la promotion d'une version plus quiétiste du al wala 'wal bara qui est devenu une pierre angulaire de la doctrine salafiste[5].

Exemple

Un exemple d'application du al wala 'wal bara est donné par l'ancien grand mufti d'Arabie Saoudite, Abd al-Aziz ibn Baz, qui s'appuyant sur les versets 60:4 et 5:51 du coran a appelé les musulmans à haïr les juifs, mais n'a rien trouvé à redire sur les politiques diplomatique et de coopération commerciale et militaire de l'Arabie saoudite avec Israël, car elle ne requiert pas de lien d'amitié ou de loyauté. Selon ce même principe, Salih ibn Fawzan al-Fawzan, a appelé les musulmans des pays non musulmans à "ré-émigrer" en terre musulmane, car résider dans un pays non musulman conduit à développer des liens de loyauté envers des kuffars, ce principe ne s'appliquant pas aux relations commerciales[2].

Notes et références

  1. Où le tawallá (arabe : تولّى) signifie l'amour des Ahl al-Bayt (le prophète Mahomet et ses proches) et le tabarra (arabe : تبرأ), le désaveu des ennemis du ahl al-bayt
  2. (en) Joas Wagemakers, « The Transformation of a Radical Concept », dans Roel Meijer, Global Salafism: Islam's New Religious Movement, Oxford, UK, Oxford University Press, (ISBN 9780199333431), p. 81-102
  3. PLURIEL Fuce, « Emmanuel PISANI | "Al-Wala wa-l-bara" : controverse sur la perception et le statut de l’autre » », sur www.youtube.com, (consulté le )
  4. (en) Muhammad Saeed al-Qahtani, Al-Wala' Wa'l-Bara': According to the 'Aqeedah of the Salaf (3 volumes), London, UK, Al-Firdous Ltd., 1999-2000 (ISBN 978-1874263708, 978-1874263807 et 1874263809)
  5. (en) Mohamed Bin Ali, The Islamic Doctrine of Al-Wala’ wal Bara’ (Loyalty and Disavowal) in Modern Salafism (thèse de doctorat en études arabes et islamiques), Exeter, UK, University d'Exeter, UK, , 263 p. (lire en ligne)
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