Évolué

Un évolué est un terme français utilisé durant l'époque coloniale pour désigner un Africain ou un Asiatique ayant « évolué » en s'européanisant grâce à l'éducation ou par assimilation, partageant les valeurs et adoptant les types de comportement européens. Le terme est le plus souvent utilisé en référence aux habitants des empires coloniaux belge et français. Les « évolués » parlaient français, respectaient les lois européennes plutôt que locales, étaient plutôt des « cols-blancs » (quoique d'un niveau rarement supérieur à celui d'employé) et vivaient majoritairement dans les zones urbaines.

Étudiants en médecine au Congo belge.

Colonies belges

Le terme fut utilisé notamment pour décrire la classe moyenne noire qui émergea au Congo belge (actuelle République démocratique du Congo) entre la dernière partie de la Seconde Guerre mondiale et l'indépendance, en 1960. La plupart des « évolués » étaient des Congolais qui occupèrent les postes qualifiés, tels que ceux d'employés ou d'infirmières, qui se créèrent à l'occasion du « boom économique » qui suivit la fin de la guerre[1]. Les administrateurs coloniaux définissaient un « évolué » comme « un homme ayant rompu les liens sociaux avec son groupe [et] étant entré dans un autre système de motivation, un autre système de valeurs[2]. » Quoique ce ne soient pas des critères universels, il était généralement admis qu'un « évolué », pour être considéré comme tel, devait bien connaître la langue française, être chrétien et avoir un niveau d'étude au-delà du primaire[1]. Au début de leur histoire, au Congo, la plupart des « évolués » cherchèrent à utiliser leur statut pour obtenir quelques privilèges[3]. Ils demandaient que l'administration coloniale reconnaisse leur rôle de médiateur entre les Belges et les autochtones « sauvages »[4].

Un club au Congo belge.

Dans la mesure où les possibilités d'ascension sociale dans les structures coloniales étaient limitées, la classe « évoluée » créa ses propres clubs et associations. Elle bénéficiait ainsi de menus privilèges qui la distinguait de la « masse » congolaise[4]. En 1947, il y avait dans les villes congolaises 110 clubs, rassemblant 5 609 membres. Entre 1952 et 1956, leur nombre crût de 131 à 317, et le nombre de personnes de 7 661 à 15 345[5]. La plupart des associations étaient petites, mais quelques-unes couvraient des régions entières ou regroupaient tout un groupe ethnique, telle l'Alliance des Bakongo[6].

En 1958, l'administration coloniale estimait à 175 000 les personnes pouvant être considérées comme « évoluées » dans la colonie[2]. Dans les dernières années précédant les indépendances, les « évolués » jouèrent un rôle important dans la propagande coloniale, car utilisés comme exemples de la « mission civilisatrice » commencée sous Léopold II. Après l'indépendance, l'adoption des valeurs européennes par les « évolués » servit d'argument pour expliquer que les habitants Belges du Congo pouvaient continuer à y vivre, où ils pourraient former la composante européenne d'un État multiracial[2].

En 1954, le gouvernement colonial ouvrit l'Université Lovanium à Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa), pour proposer une éducation universitaire aux « évolués » Congolais.

Un grand nombre des dirigeants des partis nationalistes africains du Congo belge étaient des « évolués ». En 1970, le dictateur Mobutu Sese Seko lança une politique de zaïrianisation ; il invitait les Congolais à renoncer à l'héritage culturel de l'époque coloniale en s'habillant et en parlant selon l'« authentique » manière congolaise.

Colonies françaises

Dans les colonies françaises, les « évolués » étaient considérés comme des exemples de la réussite de la politique d'assimilation coloniale[réf. nécessaire]. Ils acquirent la légitimité à vivre dans les villes[7] afin d'adopter un mode de vie les différenciant des autres Africains des quartiers indigènes et de la campagne[8].

D'abord méfiants vis-à-vis de leurs collaborateurs indigènes, les fonctionnaires français leur permirent, après la Seconde Guerre mondiale, et à condition qu'ils donnent des gages d'anti-communisme, d'accéder à de hautes positions[9].

Articles connexes

Notes et références


  1. Gibbs 1991, p. 70.
  2. Gillet et Cornet 2010, p. 19.
  3. Willame 1972, p. 24.
  4. Willame 1972, p. 25.
  5. Willame 1972, p. 26.
  6. Gibbs 1991, p. 71.
  7. Goerg 2006, § 73.
  8. Goerg 2006, § 83.
  9. Keese 2004, Introduction.

Bibliographie

  • (en) David N. Gibbs, The Political Economy of Third World Intervention : Mines, Money, and U.S. Policy in the Congo Crisis, University of Chicago Press, coll. « American Politics and Political Economy », , 322 p. (ISBN 978-0-226-29071-3, lire en ligne).
  • Florence Gillet et Anne Cornet, Congo-Belgique 1955-1965 : entre propagande et réalité, Bruxelles, Renaissance du livre, , 159 p. (ISBN 978-2-507-00330-2 et 2-507-00330-8).
  • (en) Mark W. DeLancey et Mark Dike DeLancey, Historical Dictionary of the Republic of Cameroon, Lanham, Maryland, The Scarecrow Press, , 3e éd.
  • (en) Jean-Claude Willame, Patrimonialism and Political Change in the Congo, Stanford University Press, , 223 p. (ISBN 978-0-8047-0793-0, lire en ligne).
  • Benoît de L'Estoile, « Au nom des « vrais Africains ». Les élites scolarisées de l'Afrique coloniale face à l'anthropologie (1930-1950) », Terrain, , p. 87-102 (lire en ligne).
  • Odile Goerg, « Domination coloniale, construction de « la ville » en Afrique et dénomination », Afrique & histoire, vol. 5, no 1, , p. 15-45 (lire en ligne).
  • Alexander Keese, « L'évolution du « leader indigène » aux yeux des administrateurs français : Léon M'Ba et le changement des modalités de participation au pouvoir local au Gabon, 1922-1967 », Afrique & histoire, vol. 2, no 1, , p. 141-170 (lire en ligne).
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