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La température baissant avec l'expansion, certaines interactions entre particules deviennent de plus en plus rares. Par exemple, en-dessous d'une certaine température, certaines réactions entre neutrinos et matière deviennent rares, voire inexistantes. Ces populations de particules cessent alors d'interagir. Lorsque cela se produit, l'équilibre thermique est rompu : les deux populations de particules s'isolent thermiquement, et divergent en terme de température moyenne. On nomme découplage de telles situations où deux populations de particules n'interagissent plus à la suite d'une baisse de température. Après un découplage, chaque population de particules a sa propre équation d'état : un gaz monoatomique n'aura pas le même coefficient qu'un gaz de protons ou un gaz d'électrons. Ainsi, une population de particules se refroidira différemment d'une autre. Par exemple, le rayonnement s'est refroidi plus vite que la matière, à cause de la diminution de fréquence des photons (la température du rayonnement n'est autre que la moyenne de l'énergie des photons, qui diminue avec le facteur d'échelle, comme vu précédemment).

La matière neutre est transparente, ce qui induit un découplage des photons.

Le cas le plus classique est celui du découplage des photons, qui s'est produit 380 000 ans après le big bang, lorsque la matière est passée de l'état de plasma à un gaz d'atomes. Avant le découplage, la matière était composée d'un plasma d'électrons libres, de baryons et de photons. Ce plasma formait un fluide unique, avec une pression, une température, une densité d'énergie, etc. Les photons interagissaient fortement avec les électrons, par diverses processus (diffusion Compton, et autres), ce qui redistribuait la température. Les photons chauffaient les électrons et réciproquement. Un équilibre thermique s'était ainsi installé entre photons et électrons libres, les deux ayant la même température/énergie cinétique moyenne. Cet équilibre incluait aussi les baryons, bien que les baryons n'interagissaient pas directement avec les photons. Les baryons interagissaient fortement avec les électrons, qui servaient d'intermédiaires avec les photons. Ce plasma avait naturellement des propriétés thermodynamiques simples : une pression, une température, un volume, etc. Sa pression était essentiellement causée par la pression de radiation des photons, avec une participation mineure de la pression des électrons libres et des baryons.

La température diminuant, les interactions entre matière et photons ont soudainement cessé lorsque la température est tombée sous les 3000 K. Les photons ont presque cessé d'interagir avec la matière et ont continué leur vie chacun dans leur coin. À cette température, les électrons se sont associés aux noyaux atomiques pour former des atomes. Ces atomes interagissant peu avec le rayonnement, le plasma s'est divisé en deux gaz indépendants : un gaz de matière, qui s'est condensé pour donner des galaxies et autres structures, et un gaz de photon. Ce dernier a subsisté jusqu’à aujourd'hui sous la forme d'un ensemble de photons de faible température, que l'on peut capter avec certains instruments. Ce gaz est appelé le fond diffus cosmologique, aussi appelé le rayonnement de fond diffus cosmologique, ou encore le CMB (Cosmic Microwave Background).

La même chose a eu lieu pour les neutrinos et anti-neutrinos qui se sont découplés de la matière et des photons un peu avant les photons. Ce fond diffus de neutrinos est malheureusement nettement moins étudié que le fond diffus cosmologique, car les neutrinos n'interagissent pas beaucoup avec la matière, et qu'ils sont donc difficiles à détecter. Nous n'en parlerons donc pas dans ce cours, par manque d'informations à leur sujet. Pour le moment, concentrons-nous sur le découplage des photons.

La découverte du CMB

Le CMB a été théorisé avant d'être découvert. Dans un article de 1948, Alpher et ses collègues théorisèrent l'existence du CMB à partir d'un modèle de big-bang usuel. Mais il fallut attendre 1965 pour que ce signal soit observé pour la première fois, par Penzias et Wilson. Ceux-ci utilisaient une antenne de grandes dimensions, pour tester la fiabilité des communications entre satellites, et étudiaient des interférences radio qui apparaissaient à haute fréquence. Leurs investigations leur ont permis de capter un signal dans la bande de 4Ghz, qui avait des caractéristiques étranges : isotrope, non-polarisé et libre de toute variation saisonnière. L'origine de ce signal est restée inconnue durant quelques années, mais les scientifiques (dont Penzias et Wilson) avaient éliminé toute origine terrestre. Il fallu que Dicke et ses collaborateurs fassent le lien avec l'article d'Alpher. Par la suite, diverses campagnes d'observation ont permis d'obtenir une carte assez détaillée du fond diffus. De nombreux projets d'observations scientifiques ont ainsi observé le fond diffus cosmologique avec une précision de plus en plus grande : COBE, puis WMAP, et enfin la mission PLANCK.

CMB vu par COBE, sans traitement (en haut), en retirant le dipôle (milieu) et en retirant la luminosité de la voie lactée (en bas).

Les observations de Penzias et Wilson montraient un CMB relativement uniforme. Par la suite, les observations du satellite COBE ont montré que le CMB a l'air d'avoir une structure en forme de dipôle, à savoir qu'il a un pôle chaud opposé à un pôle froid. Les observations plus récentes éliminent cet effet Doppler par divers traitements informatiques, et montrent un CMB sans dipôle, mais avec quelques inhomogénéités. On observe notamment une zone plus chaude au niveau de l'équateur, liée à la présence de la voie lactée (notre galaxie), qui réchauffe quelque peu le CMB de par son rayonnement. Outre sa composante dipolaire, le CMB a des composantes quadripolaires et octopolaires.

Le dipôle du CMB

Le fait que le CMB aie une forme approximativement dipolaire est en soi un gros problème, que l'on arrive pas à bien expliquer théoriquement. On pourrait croire que cela réfute l'idée d'un univers isotrope, mais ce n'est pas le cas. L'explication usuelle quant à l'existence de ce dipôle est qu'il serait d'origine cinématique, lié au mouvement de la Terre par rapport au CMB. Par effet Doppler, les zones du CMB qui s'éloignent de nous sont vues comme refroidies, alors que les zones qui s'approchent (opposées, donc) sont vues comme plus chaudes. Mais cette explication implique qu'il y ait un référentiel dans lequel le CMB serait quasi-uniforme et sans dipôle, ce qui en fait un référentiel privilégié et briserait le principe de relativité avec l'invariance galiléenne/lorentzienne...

Outre l'existence de ce dipôle, d'autres observations semblent indiquer que le CMB aurait un axe privilégié, nommé l'axe du mal (axis of evil en anglais), qui impacterait le CMB, mais aussi l'expansion de l'univers. Mais le fait que l'axe soit aligné avec le plan de écliptique (le plan sur lequel la Terre tourne autour du Soleil) met le doute quant à son origine. Une origine cinématique locale est en tout cas plus probable qu'une origine cosmologique, sauf coïncidences.

L'axe du mal du CMB.

Le spectre du CMB : un rayonnement de corps noir

Les observations montrent que le CMB est un rayonnement de corps noir quasiment parfait, ce qui est en accord avec la théorie. Le fait que le CMB soit un rayonnement de corps noir signifie que l'on peut lui attribuer une température. Au moment du découplage, on sait que le gaz de photons devait avoir la même température que le plasma. Sans expansion, cette température serait égale à la température du plasma au moment du découplage, qui a été conservée par le gaz de photons. Mais l'expansion a décalé ce rayonnement de corps noir vers le rouge, diminuant sa température. La température du fond diffus a donc diminué en conséquence. De nos jours, les mesures donnent une température d'environ 2,735 Kelvin. Mais on est en droit de se demander quelle était sa température au moment de sa formation.

Comparaison du CMB avec un rayonnement de corps noir.

La température de recombinaison

La recombinaison a eu lieu quand l'univers a atteint une certaine température, qu'il est important de connaître. En effet, grâce à elle, on peut calculer quand a eu lieu le découplage, et donc dater le CMB. Autant dire que calculer celle-ci est d'une importance primordiale. En théorie, la température du CMB est la température à laquelle un plasma se condense en atomes quand on le refroidit. Dit autrement, c'est la température d'une transition de phase. Vous avez peut-être déjà entendu que cette température est d'environ 3000 degrés Kelvin, ce qui est la température mesurée sur Terre. Reste qu'il vaut mieux la calculer et en rendre compte théoriquement. Les mesures réalisées sur Terre ne sont peut-être pas représentatives des conditions de l'univers primordial : la pression est plus élevée, la densité différente et j'en passe. Dans cette section, nous allons calculer la température théorique à laquelle le découplage a eu lieu.

L'approximation par l'énergie photonique moyenne

Une première méthode est de comparer l'énergie d'ionisation de l'hydrogène avec l'énergie d'un photon. Dans un gaz de photons de température , l'énergie moyenne d'un photon est de . L'énergie d'ionisation d'un atome d'hydrogène (la plus faible de toutes) est de 13,6 électrons-Volts (l'EV est une unité d'énergie). Si l'énergie moyenne des photons est supérieure à l'énergie d'ionisation de l'hydrogène, alors la matière restera ionisée. Si ce n'est pas le cas, les photons ne sont pas assez énergétiques pour ioniser la matière, qui se condense. On peut alors calculer une approximation de la température de découplage avec le quotient suivant :

On voit que la température obtenue est diablement haute, comparée aux valeurs réelles : plus de 10 fois la valeur réelle. Cela vient d'un phénomène simple : l'énergie moyenne n'est qu'une moyenne, qui cache le fait que certains photons sont plus énergétiques que la moyenne. Même si l'énergie moyenne d'un photon est de 13,6 eV, de nombreux photons ont une énergie suffisante pour ioniser un atome dans le gaz de photon.

On peut obtenir une approximation plus crédible en étudiant plus en détail la dispersion des énergies des photons. Dans un gaz de photons, tous les photons n'ont pas la même énergie. Et l'énergie n'est pas répartie équitablement entre les photons, mais suit une loi assez compliquée. Mais pour simplifier, on peut estimer que le nombre de photons suit la loi de Boltzmann. Pour résumer, le nombre de photons qui a au moins une énergie est proportionnel à l'exponentielle de leur énergie. Mis sous forme de formule, cela donne :

.

Supposons maintenant qu'il faille un photon par atome à ioniser pour que l'ionisation se fasse. Sachant qu'il y a environ photons par baryon.atome, on peut trouver la température de découplage suivante :

L'approximation par l'équation de Saha

Il est possible d'obtenir une approximation plus précise avec l'équation de Saha. Celle-ci permet de déduire le degré d'ionisation d'un gaz. Le gaz en question correspond à un gaz d'hydrogène, composant principal de l'univers, qui s'est justement formé lors du découplage. Avant le découplage, on peut considérer que l'univers était rempli d'un plasma formé par ionisation du gaz d'hydrogène, à savoir un gaz qui mélangeait protons et électrons. L'équation de Saha nous dit que, si on note :

  • , et la concentration en électrons, protons et hydrogène ;
  • la masse de l'électron ;
  • l'énergie d'ionisation d'un atome d'hydrogène.
Vous remarquerez que l'équation de Saha ressemble beaucoup à la distribution de Boltzmann.

Pour diverses raisons techniques, les physiciens décrivent souvent l'ionisation d'un gaz en utilisant la fraction d'électrons libres. Elle correspond au rapport en nombre d'électrons libres et nombre de protons (libres ou appartenant à un atome d'hydrogène). Elle vaut donc :

Le plasma primordial est neutre électriquement. Or, la neutralité électrique de la matière signifie que . Avec cette contrainte, l'équation de Saha se réécrit comme suit :

L'équation nous dit que le découplage n'est pas un évènement qui a eu lieu à une température bien précise, mais un processus continu dans lequel l'ionisation a baissé lentement. À 5000 Kelvins, la matière est ionisée à près de 99%. Le taux d'ionisation chute ensuite progressivement avec la température, pour atteindre 50% à 4000 Kelvins, puis 1% à 3000 Kelvins. Les scientifiques estiment, par pure convention, que le découplage a eu lieu quand le degré d'ionisation descend en-dessous de 1%, c'est à dire à une température d'environ 3700 Kelvin.

Les approximations plus précises

Les observations ne sont pas complètement compatibles avec cette approximation, bien que le modèle de Saha colle à-peu-près. Les mesures semblent indiquer non seulement que la température calculée n'est pas tout à fait exacte, mais qu'en plus, le découplage a pris plus de temps, s'est déroulé plus lentement. Pour obtenir des résultats plus précis, divers modèles ont été inventés par les physiciens. Le plus simple de ces modèles est le modèle de Peebles, aussi connu sous le nom de modèle d'atome à trois étages. Il a été complété par de nombreux modèles, qui sont devenus de plus en plus complexes avec le temps, incluant de plus en plus d'acquis théoriques provenant de la physique atomique. Nous ne parlerons pas de ces modèles, qui sont assez compliqués pour ce cours et qui font notamment appel à quelques concepts de physique quantique.

L'âge de la recombinaison

La température du fond diffus au moment du découplage est estimée à 3000 degrés Kelvin, température de condensation d'un plasma en atomes. À partir de la température mesurée actuellement, et de la valeur théorique de formation d'un plasma, on peut déduire l'âge qui s'est écoulé depuis la formation du CMB. En théorie, on peut déduire la température du CMB en utilisant la formule suivante, établie dans le chapitre "L'évolution du rayonnement" :

Mais utiliser cette formule présuppose de connaître et . Cependant, on peut ruser en remplaçant le facteur d'échelle par le redshift. Pour cela, on utilise la formule vue dans le chapitre "L'évolution du rayonnement". Le décalage vers le rouge est mesuré entre l'époque actuelle et la recombinaison, ce qui fait qu'on le notera .

Rappelons que cette formule utilise la convention . Ici, le temps d'émission est l'instant où a eu lieu la recombinaison. En clair, la température est la température de découplage .

La température au moment du découplage était d'environ 3000 degrés Kelvin, alors que la température actuelle du fond diffus est d'environ 2,735 degrés Kelvin.

Le redshift calculé ainsi est de :

.

En utilisant un modèle cosmologique, on peut déduire une relation âge-redshift, et donc calculer combien d'années se sont écoulées entre le big-bang et la formation du CMB.

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